La fée Lisa Germano reste fidèle à sa réputation de chanteuse gracile et torturée. Pénétrer dans ce Monde du peut-être vous laissera sans doute une impression tenace de moite mélancolie.


L’univers de Lisa Germano est loin d’être le plus accessible à la première écoute. Et même à la dixième ou vingtième écoute réside cette part de mystère incompressible, qui empêche tout jugement tranché. Car Lisa n’a pas son pareil pour enrober sa voix d’un spleen contagieux, et sait accompagner ses complaintes vocales d’instrumentations vaporeuses. Ce microcosme éthéré qu’elle tisse depuis une quinzaine d’années nous intrigue, nous captive, nous destabilise aussi. Elle parvient à réactiver en chacun de nous cette part de bile noire capable de faire revivre ces amours déçues, ces regrets amers que l’on voudrait définitivement oublier. Difficile – au vu de cette puissante force d’évocation – de sortir indemne de l’écoute attentive d’un de ses albums.

In The Maybe World, son dernier album en date qui «sonne comme le dernier mais ressemble aussi à un nouveau départ» selon ses dires, porte cette caractéristique affective. Il en est même le symbole vibrant, à travers une vision parfois claustrophobique du monde.

On l’avait laissée, gracile et fantasque, sur Lullaby For A Liquid Pig, on la retrouve plus sombre encore, parfois renfrognée, sur cette évocation d’un monde approximatif, fuyant, celui de l’éternel peut-être. Un accord de piano, dissonnant et furtif, ouvre l’album : sans doute l’annonce des tourments futurs. Puis viennent la douceur enveloppante du piano – son instrument de prédilection – et la magie de sa voix qui s’attache à retracer les alliances antagonistes qui ponctuent nos vies : joie/tristesse, élévation/chute, quotidien/transcendance. «finding every good thing to be added to the sadness». “Too Much Space” s’annonce comme une ballade touchée par la grâce, portée par le piano et les cordes. Les irisations mélodiques qui l’entourent confèrent à ce titre une magie captivante. “Moon In Hell” nous fait redescendre doucement de ce petit nuage, avec un univers plus intimiste encore, porté par l’incantation répétitive de la mélodie. Seule la fin de la chanson, tout en cordes et claviers, viendra interrompre cette progression claustrophobique.

A partir de ce titre se produit un renversement : les notes oniriques du début s’assombrissent progressivement, et la rêverie veloutée engendre un spleen lyrique infiniment personnel – à l’exception de “Wire” ou “After Monday”, plus lumineux. “Golden Cities”, sur lequel plane un sifflement lointain qui évoque par instants Andrew Bird, est construit autour des balancements vocaux de Lisa Germano, et évoque une berceuse pour les grands enfants que nous sommes.
“Into Oblivion” en est un écho troublant, qui se différencie par l’usage d’une guitare réverbérée. On pense avec nostalgie aux compositions mélancoliques de Blueboy, jusqu’à ce que l’accord lugubre du début vienne empeser, de ses occurences furtives, notre rêverie éveillée. Celui-ci annonce en fait la beauté vénéneuse de “In The Land Of Fairies” : sa voix, qui évoque indéniablement l’autre fée mystérieuse qu’est Liz Frazer, suit les vagues successives suggérées par les notes du piano. Au son du triangle arrive “In The Maybe World”, seul morceau qui comprend une ébauche de rythmique, via quelques bruitages électroniques. Lisa Germano chante encore la fuite du temps : «It’s the color of remembering And the weirdness of forgetting». Puis l’album se referme doucement, comme en rêve, avec les variations éthérées de “A Seed” ou “Except For The Ghosts”.

On comprend mieux le choix de In The Maybe World pour cet album personnel aux infinis échos. Quelle appellation pourrait mieux décrire en effet cet univers fantomatique qui glorifie les icônes du peut-être ? Fuite du temps, spleen, fantômes et autres créatures brumeuses : autant de thèmes poétiques que Lisa Germano transpose avec élégance.

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