La Suede n’a plus rien à envier aux pays anglophones en matière de pop. Une preuve supplémentaire de ce constat, avec le premier album de Blood Music : entre intimisme rêveur et système D.


De la poésie foutraque d’Architecture in Helsinki à la beauté glacée de Stina Nordenstam en passant par les arpèges de Nicolai Dunger ou Boy Omega, la Suède regorge sans aucun doute de talents aussi divers que passionnants.

C’est un artiste plutôt confidentiel qui nous préoccupe aujourd’hui : un « one-man band with a lot of members », comme le précise avec malice son créateur Karl-Jonas Winqvist. Ce dernier – qui officie également au sein d’un groupe, First Floor Power – livre, avec ce Sing A Song Fighter !, son premier véritable album. Soit onze vignettes comme autant de petits miracles du système D, dont Blood Music devient le nouvel ambassadeur. Auteur, chanteur, compositeur : pourquoi s’embarasser de tout un groupe quand on peut tout assumer seul ? Karl-Jonas aurait peut-être aimé aller jusqu’au bout de cette autarcie musicale, s’il n’avait eu recours, ponctuellement sur l’album, aux contributions instrumentales discrètes de ses amis, ou tout simplement à la bienveillance de son ami Jens Lekman, remercié dans les crédits de l’album. L’appellation de « projet solo de plusieurs membres », en plus d’une formule oxymorique qui fait sourire, est donc un label qui convient parfaitement à cette musique.

« My soul is wintercold, it’s been so for a year or so » : l’ouverture de “Wintercold” pointe vers une nostalgie douce-amère. Et si les quelques accords répétitifs du clavier sont agrémentés d’un beat électronique, d’une guitare ou de choeurs – dans la lignée de I’m From Barcelona – l’ensemble conserve fraîcheur et simplicité, celles-là même qu’ont avait tant appréciées sur If You’re Feeling Sinister de Belle & Sebastian. Karl déclame « There is A War in Almost Every Corner » sur fond de nappes de claviers ou « Any Good To Be Alive » à travers un vocoder sur le titre suivant, avec la même intonation, entre amusement naïf et résignation apathique. Il ne sait pas trop s’il doit se réjouir de sa mélancolie ou s’apitoyer sur ses joies, toujours passagères. En conséquense, il opte pour une égalité d’humeurs – celle d’une mélancolie suffisamment lumineuse – qui confère à l’album une unité affective très agréable.

Un regain d’énergie vient sans cesse faire mentir sa force d’inertie : la rythmique binaire appuyée nous surprend à la fin de “It’s A Party”, lorsque piano, batterie et xylophone prennent le relais de son clavier fétiche. Le débit rapide de “And She is The Future” contient, en puissance, l’énergie qui affleure bientôt dans les accords tremblottants de guitare. L’efficacité pop de certains titres, petit miracle de compostion oblige, est obtenue avec trois fois rien : banjo, ou thèmes au clavier (“Words, Don’t Fail Me Now”), violons ou cuivres dissonnants (“Rumours Travel Fast”, “I Am Your Taxi”), tandis que Brian Wilson se charge personnellement de veiller sur “Runs in the Family” – étrange réappropriation de l’esprit Pet Sounds.

Derrière ses abords nostalgiques, Sing A Song Fighter! pourrait s’avérer bien moins évident qu’il n’y paraît. Il possède en effet ce charme pastoral, cette humilité caressante qui transforme chaque titre en une nature morte, qui n’a décidément rien de moribond.

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