Un petit bout de femme, maternelle et mutine, nous prend la main pour ne la lâcher que lorsque nous avons littéralement quitté la terre ferme pour un voyage aussi agréable qu’inquiétant.


Une très jolie blonde aux origines multiples, née dans un pays méditerranéen du Vieux Continent, lorgne vers la langue de Shakespeare (entre autres) sur un disque aussi délicat que vénéneux. Pour ce troisième album en solo, elle décide de s’entourer de mentors qui sont autant de légendes du rock. Elle susurre plus qu’elle ne chante des petites mélodies aussi sucrées que longues en bouche. Vous ne voyez pas ? Non, il ne s’agit pas ici du retour de Carla Bruni et de Bertignac, son compagnon musical ectoplasmique. Christina Rosenvinge, sur Continental 62, est épaulée, entre autres, par Steve Shelley et Lee Ranaldo, pas moins. Forcément, la comparaison est outrageusement écrasante en faveur de la petite sirène qui nous intéresse ici.

Christina Rosenvinge partageant sa vie entre son Espagne d’adoption et son Danemark de prédilection, sa musique sent bon le voyage en première classe. Dans un avion à la carlingue translucide, l’hôtesse de Continental 62, qui est aussi le capitaine, nous dorlote, nous chouchoute, nous carresse dans le sens du poil pour mieux nous poignarder au moment où l’on s’y attend le moins. Ne surtout pas se fier à la photo au dos de son album, sur laquelle elle tient deux enfants par la main (les siens fort probablement), semblant les éloigner de notre vue : il s’agit plutôt d’un geste maternel qui tendrait à les protéger du spectacle sanglant de l’auditeur transpercé par ce disque aussi velouté qu’acide.

Christina Rosenvinge, c’est un peu Norah Jones avec des cojones, une voix à la Lisa Ekhdal un lendemain de grosse cuite, une Diana Krall qui tendrait plus facilement un majeur qu’une coupe de champagne millésimé. Continental 62 s’adresse plus à l’auditeur épuisé, rentrant sur les rotules d’un concert dévastateur pour ses tympans et s’ouvrant une canette avec les dents qu’à un inconditionnel de Charlotte Gainsbourg cherchant à s’encanailler sous la couette en faisant l’amour à son oreiller. Les chansons polyglottes de Christina Rosenvinge, qu’elles soient ourlées d’arpèges de guitare ou de piano, ou bien qu’elles soient emmitouflées dans un lit de cordes épineuses, ne nous enlacent que pour mieux nous posséder.

Ceux qui ont déjà croisé la route de Christina Rosenvinge, notamment sur Frozen Pool en l’an 2000, ne seront pas dépaysés de prime abord. On y entend toujours ce filet de voix chaude et brinquebalante, cet ânonnement si caractéristique des chanteuses fleur bleue chères à notre Hexagone (enfin, au gotha popeux surtout). On se délecte avec toujours autant de plaisir charnel, voire d’érotisme, de cet univers châtoyant, d’un dimanche matin en hiver. Seulement on ne fricotte pas avec les mercenaires de Sonic Youth et on ne flirte pas avec feu Elliott Smith (dont Christina Rosenvinge a souvent partagé les dates, au début de la carrière que l’on sait) sans conséquences. Ici, les invités ne font pas de la figuration, ils exécutent plutôt un travail de sape sur le confort que Christina Rosenvinge semble nous offrir, un massacre sournois et discret. Et l’impression de dilettante qui accompagne l’auditeur tout au long de cet album est sans cesse remise en question par des détails invisibles mais tenaces. Le confort est ouaté, certes, mais il est surtout chloroformé. Difficile de se détacher de l’emprise de Continental 62. Et d’ailleurs, pas si sûr que l’on en ait envie.

– Le (très joli) site de Christina Rosenvinge