Deux ans après le feu d’artifice noisy pop de Descended Like Vultures, les fins limiers d’Oakland enfantent dans la douleur leur attendu troisième album. Mitigé.


Lorsqu’en 2004 une demo d’Out of The Shadow atterrit sur le bureau d’un des directeurs artistiques de Sub Pop, on aurait aimé être dans la même pièce, voir le grand sourire emplir son visage à la première écoute de cette « PPP » (pure pépite pop). Avec le multi-instrumentiste Zack Rogue, le label phare de Seattle tenait là enfin un sérieux rival à leur poulain The Shins – ou plutôt leur poule aux oeufs d’or – et leur myrifique Oh, Inverted World. Enfin un candidat capable de tenir tête à leur champion : même dextérité à couler les mélodies comme du béton armé, même prédisposition pour les arrangements vrillés et délurés.
A l’époque, nous écrivions que le morceau “Sewn Up” était un croisement improbable entre « No Milk Today » et « There She Goes ». On est toujours convaincu que c’est une de ces rares pop-songs ces temps-ci capables « de changer votre vie ». Comme le soufflait la délicieuse Natalie Portman à l’élu de son coeur en lui glissant à travers les écouteurs “New Slang” dans la comédie romantique Garden State. Et même si la musique de Zach Rogue n’a finalement pas rencontré le succès escompté – surtout au regard du raz-de-marée provoqué par la bande à James Mercer -, elle n’a pas perdu en chemin de son impact foudroyant. Le groupe a depuis quitté Sub Pop pour Brushfire Records, subdivision d’Universal et label du surfer bien propre Jack Johnson. Cet album n’est même pas distribué en Europe. Que le monde est injuste parfois.

Loin de là l’idée de comparer éternellement cette formation attachante à leur ancien collègue de Sub Pop, mais il faut se rendre à l’évidence : ce troisième opus souffre du même défaut que Wincing The Night Away des «Tibias». Après deux albums jubilatoires, la nouvelle vague de Rogue n’est pas la déferlante annoncée. Asleep At Heaven’s Gate se fend d’une poignée de chansons à l’intensité mémorable, puis inexplicablement, le soufflé retombe. Peut-être en attendions-nous trop, et maintenant nous voilà distraits. Il semblerait que le groupe ait traversé de mauvaises passes durant la confection de ce troisième opus. D’abord les ennuis de santé du batteur Pat Surgeon, qui a subi une transplantation rénale en janvier dernier, reportant l’entrée en studio du quatuor. Puis c’est le tour des bandes du nouvel album, sérieusement endommagées deux semaines seulement après que les sessions aient commencé à Forestville (Californie). Désemparé, le quatuor tente une opération de la dernière chance en retournant dans leur studio d’Oakland afin de sauver une partie du matériel à grands coups d’overdubs «sparadras». Malgré tous leurs efforts pour raccommoder les bouts, quelque chose d’impalpable s’est effacé sur la seconde partie de la bande.

Un autre temps, ailleurs. Cette pop-là ne suit pas les derniers codes en vigueur. Objectivement, Rogue Wave prolonge la grande tradition des formations rock psychédélique de la seconde moitié des sixties, « Une musique rouge avec des flashs pourpres » telle que le concevait The Creation, Tomorrow et The Who et puis plus tard les dB’s, Ride, Yo La Tengo… Après le mur sonique empilé par Bill Racine, le producteur Roger Moutenot (Yo La Tengo, Sleater Kinney) s’est acquitté de la succession. Un bon point. Le mini péplum “Harmonium”, placé comme une citadelle imprenable en première plage, renoue d’emblée avec la production ambitieuse de Descended Like Vultures. On fond sans réserve devant la belle mélancolie de “Chicago X 12 » ou encore la jolie bulle de savon “Christians in Black” qui n’aurait pas dépareillé sur les teintes noisy folk du premier album. Quel dommage à l’écoute de ces merveilles que le reste de l’album soit inhabité. On sent quelques concessions à la facilité, telle que la mélodie trop lisse de “Phonytown”. Anecdotique. Ou encore la tentative trip-hop ratée “Lullaby”. Eux qui nous avaient tellement habitués à l’excellence…

Toutefois, si Asleep At Heaven’s Gate déçoit, Zach Rogue reste un songwriter d’exception, toujours le premier debout lorsqu’il s’agit de relever les challenges mélodiques. C’est seulement moins fréquent. Ceci dit, avec cinq bonnes chansons sur un disque, Asleep At Heaven’s Gate reste largement au-dessus de la moyenne. Et si l’on se souvient bien, le même cas de figure ne nous a pas empêché d’user jusqu’à la corde le dernier disque des Shins.

– Le site de Rogue Wave