Deuxième volet éblouissant de cette collaboration atypique. C’est beau un grand gaillard, chantre du rock bruitiste, qui se fait mener à la baguette par une poupée frêle habituée aux ornements de la pop la plus enluminée.


Eh bien non, Ballad of the Broken Seas n’était pas un one shot. Isobel Campbell, charmant bout de femme salement éjectée de son groupe de poètes écossais, et Mark Lanegan, aventurier solitaire et franc tireur redoutable, soit deux êtres que tout séparait à l’origine, y compris un océan, viennent de signer la deuxième étape d’une collaboration discographique démarrée sous les meilleurs auspices. Et c’est aujourd’hui une certitude, ce disque n’était pas un miracle, mais bien le résultat d’une alchimie sulfureuse et magique. Car Sunday At Devil Dirt confirme très largement les bienfaits de cette association pour le moins antinomique sur le papier.

Si c’est bel et bien l’Écossaise qui porte la culotte (elle signe l’intégralité des chansons, à peine épaulée par Jim McCullogh sur deux titres), cela n’empêche pas le grand tatoué de se délecter de sa soumission musicale, offrant son versant le plus doux et raffiné à sa complice. D’ailleurs, aujourd’hui encore plus que sur le premier opus, on a l’impression qu’Isobel Campbell s’est abandonnée dans la musique américaine originelle dans le seul but d’écrire des chansons sur mesure à sa Bête. Folk crépusculaire, blues décharné, ballades inquiétantes, le duo se perd avec un bonheur non feint dans ce dédale de guitares caressées, de cordes provoquées et de mélodies langoureuses. Il faut dire que l’ex Belle & Sebastian a sorti sa plus belle plume pour l’occasion, écrivant même quelques classiques, comme ce blues “Salvation” que l’on croirait sorti d’un disque de John Lee Hooker ; ou encore “Come on Over (Turn Me On)”, superbe valse marécageuse qui offre un terrain de jeu idéal aux provocations amoureuses du duo et qui s’achève dans un déluge de violons et trompette comme pour mieux signaler le philtre d’amour versé à l’insu des protagonistes sur leur âme (pourtant déjà vendue au Diable).

Isobel Campbell semble s’être plongée dans les mêmes grimoires que l’Irlandais Michael J Sheehy, tant certains titres baignent dans le même cloaque que Ghost On The Motorway – le reptilien “Back Burner”, magnifié par la voix goudronneuse de Lanegan, ou le très roots “Shotgun Blues”, son dobro exsangue et ses craquements de vinyle. Et de manière générale, l’Américain et l’Écossaise figurent tellement bien l’alliance de la terre et de l’eau, que l’évocation de OP8 y est aujourd’hui encore instantanée à de nombreuses reprises, à l’image de “The Flame That Burns” que l’on imagine sans peine interprété par le duo génial Lisa Germano/Howe Gelb. Même croisement d’une voix féminine traînante et aguicheuse à se damner, et d’une voix masculine nicotinique mais toujours sous le charme, mêmes jeux de mains (jeux de vilains), même tension érotique. Le chant tranche d’ailleurs beaucoup avec la musique grave, sèche, et rocailleuse. C’est la grande réussite de ce couple musical.
N’empêche, les deux complices savent, à l’occasion de deux ballades bucoliques, “Keep Me In Mind, Sweetheart” et surtout la sublime “Something To Believe” (que n’aurait pas reniée le Johnny Cash des American Recordings), redevenir de simples amis réunis pour le plaisir d’une escapade dans les prés, sans arrière-pensée. Plus globalement, la deuxième moitié du disque est tout simplement splendide (la première se contentant d’être brillante) avec ce romantisme écorché, cette tension libératrice, et cet enchaînement de morceaux dont la lenteur donne à entendre la pulsation de deux coeurs battant en rythme, de deux esprits vibrant en harmonie.

Un disque qui n’a rien d’une association médiatique, un album naturellement beau et profond. Gageons que nous tenons là une complicité qui donnera jour, longtemps encore, à de nombreux albums de ce calibre. Un retour à la simplicité salutaire. Et avant tout un grand disque.

– Le MySpace d’Isobel Campbell