Histoire d’assouvir toutes ses envies et de boucler la boucle, Thom Yorke sort la suite de Kid A et Amnesiac sous son propre nom. Impressionnant.


Alors qu’on attend avec impatience le septième album d’un des groupes majeurs depuis 10 ans, voilà que son chanteur nous sort une sorte de troisième volume électro expérimental, à ranger aux côtés de Kid A et d’Amnesiac. Histoire d’éviter les discussions qui fâchent dans le groupe – à savoir, faire un album d’électro où quelques-uns se sentiraient mis à l’écart – Thom Yorke s’offre une petite partie de plaisir avec la cinquième (sixième) roue du carrosse, le producteur Nigel Godrich. Histoire aussi de prendre un peu l’air et de souffler après une tournée – aux dires du groupe – épuisante, qui a, dit-on, presque eu raison de lui. Il va sans dire (il le dit pourtant haut et fort…) que cet album ne met ni en danger le groupe, ni son futur, ni la bonne entente entre ses membres. Non, d’un commun accord (dit-il toujours), on l’a laissé sortir le résultat de ses pérégrinations d’hôtel au gré de la dernière tournée, bouclant ainsi la période Kid A – Amnesiac. The Eraser se veut, symboliquement, être une métaphore qui entendrait nous avertir : « faisons table rase du passé ». Rien à voir avec Eraserhead de Lynch donc, n’en déplaise aux amateurs de poulet rôti…

On peut discuter longtemps sur les bienfaits d’un album solo – ne dites pas ce mot devant Thom, il le prend paraît-il très mal. Comparaison n’est pas raison, mais force est de constater que toutes les rock stars ou presque y passent – ou sont tentés, surtout quand elles font partie d’un groupe qui vend des albums par containers… Seul et contre tous, Bono résiste encore et toujours à l’envie…

The Eraser. Neuf titres, élaborés sur laptop, et fignolés avec Nigel Godrich. Chez Thom, chez Nigel, et enfin dans le studio attitré de Radiohead.

Le résultat est absolument époustouflant.

Thom Yorke et son combat pour une planète plus propre (il fait partie de Friends of the Earth), préoccupé par le réchauffement de la terre mais aussi par la guerre en Irak (et notamment le supposé suicide du scientifique Kelly), montre aussi en interview qu’il ne se la joue pas, et qu’il a toujours plus de questions que de réponses, mais, comme il le dit, une chose est sûre, personne n’est irréprochable. On peut critiquer – comme Damon Albarn l’a fait dans The Sun – l’hypocrisie qu’il y a à la fois à courir les stades et à défendre des causes humanitaires. Thom Yorke répond qu’il vaut mieux agir – ne serait-ce qu’un peu – que ne rien faire.

« The Eraser », titre éponyme qui démarre la galette, avec ses loops de piano, ses beats atmosphériques et la voix plaintive (limite dépressive) de Thom Yorke, ouvre de manière magistrale ce disque dont l’écoute en boucle, tout comme ses boucles mélodieuses, ne fait que nourrir un plaisir qui n’est jamais rassasié si la touche repeat n’est pas actionnée. Les choeurs de Yorke, d’une beauté incandescente, nappent les refrains et l’on est touché au plus profond de soi. Vers la fin, le titre semble partir en vrille, avec des bidouillages sonores réussis. Quelle mise en bouche !

On continue avec « Analyse », construit sur des boucles récurrentes, mettant en valeur les dons hypnotiques déjà entendus chez Radiohead, et proches d’une certaine effervescence spirituelle rituelle. Des couches atmosphériques nous plongent dans un état comateux béat. La voix haut perchée de Yorke est décidément bien mise en valeur par l’électronique (flagrant sur « Atoms for peace »). Il peut être rapproché en ce sens de Björk qui, elle aussi, explore les terres de l’expéri-tronique. Le rapprochement n’est pas fortuit : rappelons-nous leur duo à l’occasion du film de Lars von Trier – autre avant-gardiste. Superbe !

A partir de « The Clock », et pour quelques autres titres, on a droit à une basse tonitruante du plus bel effet. Avec le magique « Black Swan », c’est dans l’univers de Radiohead que l’on plonge. Nul besoin de pérorer là-dessus.

Toute cette ambiance évoque également très vite le monde de The Knife (surtout son dernier opus). Incontestable sur le climat fin du monde de « And it rained all night » et l’énergie sous cocotte-minute de « Harrowdown Hill ».

Thom Yorke prouve avec ce disque deux choses : son indéniable talent, mais aussi que tout n’avait pas été dit sur Kid A et Amnesiac. Le connaissant, gageons que tout ceci donnera lieu à une suite.

– Lire la chonique de Hail to the Theif

– Le site de The Eraser