Le nouvel album de la légendaire paire de Tucson, analysé en mode « track-by-track », parce qu’il le vaut bien.


Alors qu’Algiers resemblait déjà à un sommet dans la carrière toujours ascendante de Calexico, Edge of The Sun remet les pendules à l’heure de l’americana. Et la prochaine limite que le duo américain s’est fixée n’est autre que celle de l’astre suprême.

Le disque s’ouvre sur « Falling From The Sky », genre de chanson qui fait systématiquement fuir les détracteurs, un hymne pop enjoué comme le groupe sait si bien les ficeler, batterie en avant, riff synthétique, la voix gouaille de Joey Burns secondée ici par celle de Ben Bridwell de Band of Horses.

Le deuxième morceau, « Bullets & Rocks », semble noir et plus en retenu, mâtiné de guitare sale et trompette lointaine : beaucoup moins porteuse d’espoir, c’est une chanson sur la corruption actuelle dans un style proche de celui d’Iron & Wine : du coup, leur vieux compère Sam Beam vient en personne donner de sa voix soul sur cet amer constat. Et de nous rappeler au bon souvenir de leur EP commun In the Reins, paru voilà dix ans.

« When The Angels Played » se veut introspectif, un court hommage country avec pedal-steel de rigueur, une chanson triste transportée par le très beau chÅ“ur féminin de Pieta Brown.

Le quatrième titre brille d’une merveilleuse lumière, et est le premier sommet de cet album. « Tapping On The line » est construite sur un beat entêtant, un écho hanté en arrière fond, une mélodie qui monte en puissance portée par l’enchanteresse Neko Case qui fait plus que de donner de la seconde voix, à la recherche d’un peu de clarté dans l’incompréhension du monde.

Déjà suggéré à la sortie de Algiers, Joey Burns et John Convertino travaillent à faire disparaître les frontières. Alors quand le groupe entame une cumbia tout synthé en avant qui finit en chÅ“urs latinos et trompettes, à la recherche d’une identité et d’une terre maternelle, continuant infiniment son chemin musical, rien n’étonne ni ne détone. Avec réussite d’ailleurs, la présence de la chanteuse espagnole Amparo Sanchez ne choquera donc personne.

« Miles From The Sea », ballade en ternaire, raconte l’histoire de celui qui nourrit l’espoir de nager sans avoir jamais vu la mer, de celui qui se repaît de ses propres rêves, mais aussi d’une lutte infernale entre eau et poussière. Où la chute du ciel sera – comme le premier titre de l’album – une nouvelle fois évoquée par la voix de Gaby Moreno, telle la chute de l’ange sur terre.

Edge of The Sun, dans sa version simple, comporte douze morceaux. « Coyoacan » vient donc à mi-parcours proposer son interlude musical : accordéon, cordes et trompettes, toute l’Amérique du Sud de Calexico suinte dans ces rythmiques enjouées et ces mélodies mélancoliques, telles la bande originale d’un film à venir.

Le groupe repart dans cette deuxième moitié de disque avec un morceau enjoué, presque ska dans ses contre-temps, latino dans son refrain, toujours hanté par les rêves de départ d’une fausse ville de rêves (« Beneath the City Of Dreams »).

« Woodshed Waltz » porte bien son nom qui puise à trois temps dans les racines country. C’est pourtant une chanteuse mexicaine, Carla Morrison, qui vient soutenir Burns dans cette histoire douce-amère.

Une nouvelle fois, un rythme chaloupé vient attraper les oreilles et secouer les épaules. Pour essayer de faire sortir de sa torpeur un amoureux éconduit qui aurait trop bu. Pourtant jamais la lune ne se lève ni les étoiles ne brillent pour lui. « Sans amour la lune ne brille pas sur moi » raconte une voix féminine au loin, comme un rêve éthéré le long de « Moon Never Rises ».

L’avant-dernier morceau du disque est une composition sombre, pour un western mystique. Ambiance de désert de poussière : quand le monde se décompose (« World Undone ») et que la tendresse se fait désirer, une mélopée monte alors en boucle jusqu’à l’enivrement.

L’album se clôt sur le merveilleux « Follow The River », une fois de plus chanson de rêve et d’espoir de départ. Portée par un très beau chÅ“ur, un accordéon et la voix de Nick Urata de Devotchka, c’est aussi un magnifique hymne au retour après les excès, une chanson de fin de disque, avec sa rythmique de guitare lancinante et son inoubliable refrain.

Si Algiers était un disque plutôt rock et près de l’os, intimiste, Edge Of The Sun est le disque de la diversité (et sa pléthore d’invités disparates et pourtant à propos), celui de l’ouverture, porteur de bonheur.