Inutile de fumer des grosses quantités d’herbe pour flotter librement, il suffit de se laisser emporter dans l’univers de Ramona Cordova, où une voix d’ange asexuée vous guide dans les méandres d’un folk onirique des plus charmants.


On entre dans le disque de Ramona Cordova comme dans un film de Pedro Almodovar, par la petite porte, en surprenant une scène en apparence anodine. Ici des pépiements d’oiseaux couverts par une voix qui fredonne une mélodie légère comme on le fait en étendant du linge dans le jardin. Puis, très vite, après cette entrée en matière, une porte s’ouvre sur une assemblée de gitans jouant un flamenco d’arrière-cour, rugueux et spontané. Le chant fluet du début mue alors en une complainte rauque mais asexuée. Impossible encore de dire qui est cet artiste qui tourne sur ma platine. Il faut attendre la troisième plage pour que les masques tombent (un peu). Ramona Cordova est un homme. Songwriter solitaire, un de plus. Il n’est pas madrilène comme Almodovar mais originaire de Philadelphie. Ramon Alarcon, de son vrai nom, est Américain, métisse aussi (parents portoricain et haïtien) et sa renommée musicale s’est répandue comme une traînée de poudre sur la blogosphère.

Il faut dire que l’homme possède de sérieux arguments pour nous enchanter de la sorte. D’abord, cette voix mutante qui tutoie les aiguës de Jay Jay Johanson, Antony et Jeff Buckley. Peut-être avec un filet encore plus ténu qui lui donne une grâce et une fragilité supplémentaires. Une voix lointaine, enfin, qu’on jurerait sortir d’un poste de radio réglé sur une station intemporelle. Tout ça pour dire que quand Ramon pousse la chansonnette, il le fait pour moi, assis au milieu du salon. Il y a dans ce disque cette intimité immédiate qui s’installe, peut-être parce que l’artiste raconte des rêves étranges et sans fard, s’accommodant mal de l’amplification électrique.

Ensuite, il y a des mélodies dépouillées qui se déploient gracieusement en volutes aériennes sur des pickings de guitare sommaires. Esthète, un brin précieux, Ramona pince les cordes en nylon de sa guitare acoustique tandis qu’une scie musicale se plie à ses exigences, qu’une batterie cogne sporadiquement et que, parfois, des clapotis électro s’agitent autour de lui. Alternant comptines surréalistes (« Sung with the Birds », « Mixing the Potion », « Brother ») et berceuses maternantes (« Heavy on My Head », One Day, Someday), son univers de baladin folk charrie des alizés improbables.

Key West, San Juan de Porto Rico, les plages de Varadero ? Qu’importent les lieux où l’imaginaire porte, seule compte cette torpeur propice au jeu du travestissement que Ramon pousse à outrance. En modulant sa voix comme d’autres jouent plusieurs personnages, il s’invente son petit cabaret décadent, avec son double, Giver, personnage central qui traverse les chansons comme autant de mini épopées naïves tout en en pinçant pour Marcia, la jeune fille à qui il se refuse finalement. Allez comprendre !

Amusé par toutes ces fantaisies autant que par ces faux-semblants, j’en viendrais presque à oublier l’album en lui-même. The Boy Who Flotted Freely, possède un charme enjôleur manifeste mais manque un peu de rythme sur la longueur. Ramon finit par se répéter dans son numéro androgyne alors même que l’on pressent sur quelques titres épars comme « Givers Reply », « Chasser » ou « Take Flight », petites perles lo-fi prometteuses, que le disque pourrait s’emballer davantage. Son folk hybride et bucolique mâtiné d’effluves latino à la Devendra Banhart (sans la voix chevrotante) n’était sans doute pas conçu pour jouer les outsiders de printemps. Le voilà qui déboule sur les lecteurs MP3 avec cette fausse modestie digne des antifolkeux qui font mine de jouer de la musique pour eux-mêmes (Kimya Dawson, Tender Forever, Dawn Landes). Pas de bol, on l’aime cette musique jusque dans ses imperfections ! Car malgré quelques pêchés de jeunesse (Ramon n’a que 22 ans), ce conte musical pour grands enfants est un rayon de soleil, une tranche de poésie à consommer de préférence aux heures creuses. Bref, comme moi, vous tenez là votre nouveau pêché mignon.

– Le site de Ramona Cordova.