Après un long silence, le solitaire et mélancolique Robin Proper Sheppard reprend contact. La communication est limpide et engageante. Plus que jamais, son collectif Sophia, miroite d’une pop élégante et inspirée.




Le vendredi 11 octobre 1996, Sophia donna son premier concert dans la salle Londonienne du Hope And Anchor, à Islington. A l’ancre et l’espoir ! L’espoir en son temps, était de convaincre et conquérir un nouveau public, en jetant une ancre musicale dans notre vaste et sombre inconscient.

Pour toucher au cÅ“ur, Robin Proper Sheppard s’est appuyé sur le sobre et magistral ‘’Fixed Water’’. Un premier disque mélancolique qui entérinera le début d’une nouvelle vie, en tout cas d’une nouvelle trajectoire. Construit sur les cendres de son ancienne formation – les soniques The God Machine – ce premier essai fut dicté par la disparition brutale de leur bassiste et ami Jimmy Fernandez. Désarmant de simplicité, d’une profonde honnêteté et empli d’une tristesse mesurée, Robin Proper Sheppard y laissera poindre aussi beaucoup d’optimisme. Un hommage musical qui marquera durablement les esprits « chagrins » et les âmes en villégiature.

Vingt ans après, c’est une ancre rutilante qui orne la pochette de leur nouvel opus. L’état d’esprit n’est plus le même, les plaies sont pansées, et As We Make Our Way est déjà le 6e album studio de sa formation, et le premier, depuis There Are No Goodbyes il y a 7 ans.
Robin est un artiste discret et sobre, on l’imagine mesuré dans ses paroles et ses actes. A son image, sa formation s’est logiquement elle aussi frayée un chemin dans le spleen et la discrétion. La suite des événements (The Infinite Circle en 1998 et People Are Like Seasons en 2004) sera en tout point remarquable : un sans-faute intimiste et triste, traversé de temps à autres de spasmes soniques.
Patiemment suivi à la trace, on n’aura de cesse de guetter ses sorties trop espacées, mais dans tous les cas, piquées d’une intense émotion.
Puis peu à peu, sans trop le rechercher, les liens se sont distordus. Ce nouvel album est donc l’occasion idéale pour renouer les contacts. As We Make Our Way est comme un nouveau commencement, une synthèse somptueuse et cohérente, un Best Of de nouveaux titres. Toute la palette du savoir-faire de Robin est ici représentée.

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L’approche est douce et tranquille ; le piano de l’instrumental ‘’Unknown Harbours’’ résonne de quelques notes minimales. Pour évacuer l’anxiété, Robin Proper Sheppard enchaîne ensuite sur le tendu ‘’Resisting’’. Sous le doux vacarme des guitares, pointe une touche de mélancolie. Ce titre convaincant nous évoque le meilleur de la noisy-pop et de ses vaillants représentants de l’époque – Moose, Pale Saints, Ride et consorts…
Pour aboutir à la version finale de son album, Robin et ses musiciens ont ouvert les portes de nombreux studios d’enregistrements. Une première pour lui, et un carnet de voyages à notre attention ?
Malgré un territoire bien balisé depuis ‘’Fixed Water’’, cet opus respire une relative diversité de styles. Les premières bornes – ‘’The Drifter’’ et ‘’Don’t Ask’’ – sont pourtant classiques. La première, semi-acoustique, distend sa mélodie et spatialise l’espace au son d’une guitare réverbérée et d’un synthé chagrin. Les premiers mots de Robin posent le décor :
– « She asked : ‘Where have you been all my life?’ I said : ‘Where all the monsters hide’ ». L’humeur est sombre, on est en terrain conquis.
La deuxième partie du disque commence à nuancer les plaisirs. ‘’Blame’’ est une effervescence intérieure qui n’exprime jamais son anxiété – la batterie ne démarre jamais vraiment, la guitare se fait discrète, seul le synthé trouve sa voie.
Les trois morceaux suivants font décoller As We Make Our Way vers de nouveaux horizons. Honneur à ’’California’’ : une chanson addictive – comme peut l’être cet état des États-Unis – moite et sensuelle comme une fin de journée orangée et opiacée sur Venice Beach. Sous le vernis écrasant du soleil, se révèlent et craquèlent nos fêlures : “In California the sun isn’t everything”.

A ‘’St. Tropez / The Hustle’’ les musiciens sont en colère : guitares distordues et psychédéliques, batterie martelée, basse prédominante et Robin Proper Sheppard éructant son aversion pour ce tourbillon d’activité vain et superficiel d’une ville et de sa population en représentation permanente : le refrain est explicite – « The shit don’t get no higher »’. ‘’You Say It’s Alright’’ est passionnée habitée et extatique. Les claviers vintages remuants et d’une tristesse prononcée sont au diapason de la voix de Robin éloignée et haut perchée. Ce titre nous interroge et agite nos pensées : les regrets, les occasions manquées ou les moments heureux défilent et se télescopent.

Sur l’ultime morceau de l’album, Robin s’est particulièrement appliqué. Les paroles censées et adultes – « We’re the sum of our choices and the mistakes that we make » – sont criantes de vérité. Crescendo le rythme du morceau grandit. Le pied au plancher, il conclut magistralement cet opus.

Etoffé mélodiquement, sentimentalement convainquant, triste mais en aucune manière terne, As We Make Our Way (Unknown Harbours) respire le vécu. Quand la musique apaise les mÅ“urs.

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