Sur son quatrième opus, le guitariste de Nashville élargit son panorama folk en fusionnant American Primitive, pop psychédélique et Dire Straits.


La cote du guitariste et compositeur américain William Tyler ne cesse de grimper depuis la parution de son troisième album, Impossible Truth (2013). Ce natif de Nashville, qui a fait ses armes au sein des meilleures formations locales (Lambchop, Silver Jews, Bonnie ‘Prince’ Billy… on ne ment pas comme vous pouvez le constater), sort depuis 2008 des disques instrumentaux so(lit)aires et réverbérés. Impossible Truth donc, son premier album pour le label Merge Records, trouvait une ligne médiane singulière, entre la folk American Primitive et la pop psychédélique sixties de la côte ouest. L’homme au son de Telecaster baroque (qu’il alterne selon l’envie avec sa six-cordes acoustique) a également brillé l’an dernier sur un split vinyle partagé avec Six Organs of Admittance, pour la très classe série Parallelogram du label Three Lobed Recordings, signant une incroyable pièce de 11 minutes, « No Marigolds in the Promised Land ».

Modern Country, son quatrième opus et premier enregistré hors de son fief de Nashville, propose une approche un peu moins (égo)centré sur la six-cordes. L’écriture prend un tour collectif, au contact de son groupe constitué du multi-instrumentaliste Phil Cook (Hiss Golden Messenger, Blind Boys of Alabama), du bassiste Darin Gray (Jeff Tweedy, Jim O’Rourke) et du percussionniste Glen Kitche (Wilco). Très bien entouré, William Tyler peut laisser alors libre court à son imagination, élargir les panoramas : “Highway Anxiety” plante d’emblée le décor, très cinégénique, et nous projette perdu dans le désert de Paris, Texas de Wim Wenders, sentiment d’errance prolongée par cette pochette d’album acidulée où l’on distingue en arrière des plaines arides.

Plus loin, le très laid back « Albion Moonlight », renvoie un Communiqué réconciliateur à… Dire Straits ! Et l’on peine à y croire, mais le charme prend. Toujours en groupe, la pièce folk alambiquée « I’m Gonna Live Forever », aurait pu sans nul doute figurer sur le superbe Simple Songs de Jim O’Rourke paru l’an dernier. Même dans un contexte collectif, William Tyler possède un son très distinct, reconnaissable instantanément par la dextérité de ses arpèges tout à la fois complexes et captivants – « Albion Midnight » ou encore « Sunken Garden » escorté d’un piano).



Bien que le mot d’ordre soit l’union de groupe, on peut encore entendre ici et là encore quelques envolées de picking bien sentis. Comme sur le solitaire « Kingdom of Jones », splendeur pastorale qu’on jurerait composé en hommage au guitariste Glenn Jones. Il n’en ai rien pourtant, le morceau s’inspire plutôt de l’histoire, celle du comté du Mississippi pendant la guerre civile, dont la position contre l’esclavage le mettait en contradiction avec le reste de la Confédération. On y trouve une économie paradoxale de l’emphase, à la manière d’un Sandy Bull reprenant seul « Carmina Burana » (« Gone Clear »).

« The Great Unwind »… enfin, plage atmosphérique tirée sur plus de huit minutes où un feedback saturé se mêle à des gazouilles d’oiseau… à mi-chemin la pièce prend une trajectoire krautrock inattendue, un bottleneck en retrait façonne quelques halos atmosphériques. William Tyler, s’efface alors lentement, humblement, laissant respirer le morceau par ses propres moyens, comme un tout. N’y a-t-il pas plus belle manière que de disparaître ainsi ?