C’est dans une des chambres du Terrass Hotel, près de Pigalle, que nos Gallois préférés Gruff Rhys (chant) et Dafydd Ieuan (batteur), les deux têtes pensantes des Super Furry Animals, assurent la promotion de leur nouvel album, Phantom Power. Une promotion établie au compte-gouttes, la paire étant présente dans la capitale qu’une petite journée avant de retourner Gare de Nord où le TGV les ramènera vers leur sainte patrie. Un instant privilégiée avec ses piliers de la pop anglaise, consternants d’humilité et de simplicité.


Allongés sur le lit, les deux Gallois répondent à nos questions avec une gentillesse déconcertante et un accent à couper au couteau. Gruff Rhys parle lentement et posément, toujours le sourire aux lèvres. Dafydd Ieuan, décrit comme le « Lars Ulrich de la bande » est tout aussi attentif à nos questions : musique, technologie, engagement politique, Super Nintendo… tous les sujets y passent sans qu’un brin de lassitude ne semble émailler leur visage. Nous sortirons conquis de ses 45 minutes privilégiées.

Pinkushion : Phantom power est le titre de ce nouvel album. Pouvez-vous nous expliquer le sens de ce titre ?

Gruff Rhys : Ce titre suggère une force invisible, quelque chose de sombre qu’on ne peut pas voir, comme dans les films d’animation…
(NDLR : Gruff est subitement coupé par Dafydd qui pique un fou rire incontrôlable à notre stupéfaction!)

Dafydd Ieuan (reprenant son souffle) : Désolé les gars, mais il y a deux garçons sur l’immeuble d’en face qui crachent sur les passants.
(NDLR : Consternés, nous regardons par la fenêtre et apercevons deux morveux installés sur la terrasse d’en face, en pleine action. Fou rire général. Après cinq bonnes minutes de dérivation, nous reprenons le fil de la conversation…)

Gruff Rhys : Nous avons enregistré par nous-mêmes une grande partie de l’album. Sur la table de mixage, il y avait un bouton qui s’appelait Phantom Power. Nous étions toujours effrayés de le toucher de peur qu’une bête sorte de la console. Voilà l’origine du nom…

Dafydd Ieuan : Ce terme est connu des musiciens, mais la plupart des gens ne connaissent pas le sens de ce terme technique qui est lié aux micros. Pour les non-initiés, Phantom Power évoque beaucoup d’images et évoque un autre sens. Cela devient au final quelque chose de moins barbant qu’un simple terme technique et les deux sens nous intéressaient.

Pourrions nous considérer ce titre comme une force obscure qui nous observe en permanence. Tu parlais tout à l’heure d’une force sombre… Y a-t-il là-dedans un lien avec la liberté ?

Gruff Rhys : Oui, je sais que nous ne pouvons actuellement rien contrôler à travers la démocratie. Parce que les personnes que nous avons élu n’utilisent pas le pouvoir dans le bon sens. Ils ont rejoint la force sombre ! (rires)

Dafydd Ieuan : C’est le problème de la démocratie. Vous savez, nous dépendons de la majorité, mais la majorité peut être stupide aussi !

Tu veux dire la majorité de votre gouvernement ?

Dafydd Ieuan : Non, en général dans une société démocratique. C’est comme cela que ça fonctionne, la majorité a toujours raison. On ne laisse pas la parole aux minorités.

Gruff Rhys : L’expression peut évoquer des banques, du pétrole ou des grosses compagnies. Cela peut se prêter à plein de domaines…

Je me rappelle une carte postale où était écrit un truc du genre : « la dictature c’est ferme ta gueule, la démocratie c’est cause toujours ».

Dafydd Ieuan : Oui, cela dépend bien sûr. La démocratie est super pour certaines personnes. Si tu prends l’exemple de la Russie, certaines personnes vivent dans l’opulence alors que d’autres meurent de froid dans les rues. Dans ce cas là, la démocratie est une des pires chose qui puissent arriver. C’est aussi le cas de l’occupation des troupes américaines en Irak. Ce que je veux dire, c’est qu’il y a tellement de situations différentes. Nous ne sommes pas des prêcheurs, ni des politiciens. Nous jouons juste dans un groupe de rock. Nous n’avons pas de manifeste à écrire… Super Furry animals croit en quoi ? Dans le groupe déjà, nous n’arrivons pas à nous mettre d’accord ensemble, alors comment peut-on attendre qu’une grande société civilisée aille dans le bon sens?

Nous savons le groupe très militant. La confusion au sujet de l’Irak dans votre pays est grande : nous n’avons toujours pas trouvé d’armes de destruction massive.

Gruff Rhys : Tout le monde le savait. Nous étions au premier rang, spécialement en Angleterre où Tony Blair y a perdu beaucoup de sa crédibilité. Il n’a dit que des mensonges, le gouvernement n’a cessé de nous mentir.

Dafydd Ieuan : S’ils nous avaient simplement dit : Nous allons attraper Saddam Hussein parce que c’est une grosse ordure… Mais non, il n’y a eu aucun respect pour le citoyen, nous n’avons reçu que mensonges et déceptions…

Gruff Rhys : Si les droits humains ne sont pas les mêmes partout dans le monde, ils devraient envahir la Chine pendant qu’ils y sont. Ça n’a aucun sens.

Retournons à la musique. Sur ce nouvel album, on constate davantage de morceaux pop.

Dafydd Ieuan : Oui, c’est un album plus clair, c’était plus facile d’écrire cette fois-ci. Il y avait d’avantage de « good vibes ». Le processus d’écriture a largement été plus fluide.

Et une nouvelle fois, vos albums ont une durée très longue… Est-ce que c’est important pour vous d’inclure un maximum de chansons sur vos albums ?

Gruff Rhys : C’est propre aux Cds. Au temps du vinyle, les gens étaient limités à 40 minutes de musique. Nos albums essaient d’aller au-delà de ce format et de satisfaire l’égo de songwriter de chacun dans ce groupe (rires).

Dafydd Ieuan : C’est ce qu’on appelle la démocratie!

Oui, mais du temps du vinyle, lorsque la face A du 33t était finie, il y avait cette période de silence qui permettait de souffler avant de retourner le disque et écouter la face B. Maintenant, il faut écouter d’un trait 14 chansons… est-ce que cela ne joue pas en défaveur de la musique ?

Gruff Rhys : L’expérience est différente. Et maintenant nous arrivons à la fin de l’ère des albums. La musique commence à être distribuée sur Internet. Le concept des albums est devenu trop vieux. Les gens tendent maintenant à écouter le morceau qu’ils ont téléchargé et non plus l’album dans son intégralité, car ils ont tellement de musique à leur disposition. Il y a une culture de l’album qui est en train de disparaître.

Dafydd Ieuan : C’est pourquoi nous nous dirigeons vers le format DVD pour offrir quelque chose de nouveau. Cela coûte cher, mais c’est très excitant et intéressant comme format à travailler. Nous utilisons les possibilités stéréos pour donner un son, mais avec le dvd, vous pouvez vous impliquer davantage dans l’album : on peut travailler avec de la vidéo, remixer, offrir plein de bonus… C’est comme un jeu, vous savez les jeunes veulent avoir un maximum d’informations et je pense que ce format s’y prête bien.

Gruff Rhys : Nous avons grandi en jouant aux jeux vidéos. « Phantom Power » est un album interactif que l’on peut explorer indéfiniment. Il y a des raccourcis, différents niveaux d’accès qu’on ne peut pas envisager avec un album qui ne propose que de l’audio.

Dafydd Ieuan : De nos jours, les machines sont tellement perfectionnées que l’on peut écouter de la musique en 3D chez nous. Tu peux rester à la maison et avoir un son énorme et nous voir, plus besoin d’aller voir le groupe en tournée…

Vous préférez donc le format vidéo au format audio…

Gruff Rhys : C’est juste différent. Je veux dire, fatalement, dans les vingt prochaines années nous serons confrontés à une gigantesque catastrophe naturelle qui poussera certainement notre civilisation vers la fin. (ndlr :?!) Il nous faudra apprendre à être indépendant. Peut-être aurons-nous de l’électricité seulement trois jours par semaine… Alors automatiquement, les chansons seront chantées a capella avec peut-être une guitare ou seulement deux cailloux que l’on tapera ensemble en guise d’instruments. Les chansons et les paroles devront être chargées davantage de sens. C’est pour cela que nous utilisons toute la technologie disponible autour de nous avant que ce ne soit trop tard !

Mouais… c’est juste que, lorsqu’on écoute vos albums, on a l’impression que vous utilisez toutes les technologies possibles et inimaginables entre vos mains.

Dafydd Ieuan : Une centaine de nouvelles technologies ont été utilisées sur cet album. Il y a des programmateurs et informaticiens qui nous envoient leurs nouveaux programmes, les dernières mises à jour. Et bien sûr nous nous en servons pour enregistrer nos disques.

Gruff Rhys : Nous avons mixé et enregistré ce nouvel album chez nous à Cardiff, dans une pièce de taille similaire à cette chambre d’hôtel. Nous avons passé l’été dernier à enregistrer sur de vieilles machines et un matériel rudimentaire. Il y régnait une atmosphère très estampillée 70’s. Nous y avons enregistré des chansons comme « Hello Sunshine », « Bleed Forever » de manière très artisanale et en prise live. Ensuite, on a déplacé les bandes sur ordinateur.

Dafydd Ieuan : Ce qui est génial, car nous avions enregistré Rings Around The World à Londres dans un studio immense et très cher. Pour Phantom Power, nous n’avions pas cette pression du temps lié à l’argent et tout s’est déroulé dans une ambiance très familiale. Les donnes ont changé, ce qui n’est pas plus mal.

Mais alors comment décririez-vous votre musique : lo-fi ou hi-fi ?
Dafydd Ieuan : « Mid-fi », définitivement ! De la mid-fi maladroite…

Vous étiez en train de parler d’animation tout à l’heure. Est-ce que votre musique est toujours très influencée par les cartoons et jeux vidéos ?

Gruff Rhys : Cela semble juste. Vous savez, j’ai été influencé par Super Mario. L’univers de Super Mario est tout simplement magique ! Nous continuons d’ailleurs toujours à jouer aux jeux vidéos.

Dafydd Ieuan : Moi j’adore me défouler et je privilégie les jeux où il faut tout détruire !

Gruff Rhys : Sur notre dernier dvd, nous avons intégré cet esprit de jeux vidéos. Les vidéos sont assez lentes, tu peux ainsi mieux te concentrer sur les chansons. Pete Fowler, le réalisateur, a crée quatorze vidéos basées sur les chansons. Mais elles ne contiennent pas de chansons, c’est seulement de l’animation. En fait, avant chaque chanson, il y aura une animation. C’est assez expérimental.

Radiohead avait aussi expérimenté la vidéo avec Amnesiac et Kid A en créant de petits clips pour chacune des chansons de l’album…

Gruff Rhys : Quand tu écoutes l’album en entier, tu as environ 55 minutes d’animations. Si vous choisissez dans le dvd une des chansons au hasard, vous aurez avant une courte animation puis la chanson. Vous pouvez aussi accéder à des remixes fait par des amis comme Martin Carr de Brave Captain…

Vous avez des nouvelles de Martin Carr ?

Gruff Rhys : Il vit à Cardiff. Il s’appelle maintenant Brave Captain et ses travaux s’inspirent beaucoup de la musique électronique. Je l’ai vu jouer le mois dernier sur scène avec son ordinateur portable. Il n’a pas de groupe, juste son micro, l’ordinateur et sa pinte de bière ! Il est devenu un « laptop artist » !

Les super Fury animals semblent être devenus une petite entreprise maintenant, vu le nombre de gens que vous employez par le biais d’Internet, votre crew ect…

Dafydd Ieuan : Nous employons une équipe, des techniciens pour les tournées ainsi que du management je suppose… Actuellement, nous sommes bel et bien une entreprise !

Gruff Rhys : Pour l’exemple des gens qui travaillent pour notre site Internet, ils sont basés dans le même local que nous. Nous leur donnons beaucoup de boulot entre la création des dvd et les sites Internet. Nous avons aussi trois personnes qui travaillent au management… (silence) Nous sommes toujours très petits. En premier lieu, nous sommes avant tout des musiciens qui font de la musique. Mais c’est toujours impressionnant de penser que nous sommes écoutés dans le monde entier.

Seriez-vous intéressés pour composer une BO?

Dafydd Ieuan : Une musique de film ? Certainement, mais personne ne nous l’a encore demandé. Cela dépend aussi du film, mais c’est une idée qui nous tente bien.

Pensez-vous à un réalisateur en particulier ?

Gruff Rhys : Nous faisons une musique assez particulière. Je pense que nous pourrions faire de bons westerns, je veux dire, nous sommes de grands fans d’Ennio Morricone. On voudrait réaliser un film de cowboy qui se passe dans le golfe, ça pourrait être intéressant!

Avez-vous vu Battle Royal? Le film idéal serait un croisement entre un western mexicain et Battle Royal. Voilà le genre de score qui nous intéresserait.

Dafydd Ieuan : J’adore aussi la BO de ce film avec Yul Brinner où il joue le rôle d’un mec qui est attaqué par des robots dans un parc d’attraction censé représenter un western. Les robots sont là pour distraire les touristes, mais manquent de pot, ils deviennent complètement barrés! Merde, je ne me rappelle plus le nom de ce film… il doit dater de la fin des années 60, assez psychédélique dans l’esprit. (NDLR : Mondwest, un thriller d’action de Michael Crichton datant de 1973 ). Je pense que c’est le genre de film qui correspondrait bien à notre profil.

Le premier titre de l’album s’intitule « Hello Sunshine ». C’est une chanson très positive par le message qu’elle véhicule. Elle rappelle un peu l’esprit innocent de la pop sixties…

Gruff Rhys : Oui, c’est une chanson positive qui a émergé pendant une période assez sombre pour le groupe. Dans la chanson, il y beaucoup de références au soleil. En Angleterre, notre culture est beaucoup associée à la pluie -sûrement à cause du temps pourri!
C’est comme… (longue hésitation) Au début de l’album, nous sommes là à attendre et à chanter : « s’il te plait soleil, revient vers nous! » Et puis celui-ci vient finalement très tard au fil de l’écoute, peut-être le verrons-nous à la fin? Il y a toujours cet espoir que les choses vont s’améliorer. Je trouve que c’est une ouverture parfaite pour Phantom Power.

Avez-vous l’impression d’avoir une responsabilité sociale envers le comportement des gens qui vous écoutent ?

Gruff Rhys : Oui, mais nous admettons que nous sommes des personnes vraiment irresponsables! Quand nous sommes sur scène devant des milliers de personnes, les gens sont vraiment très attractifs et sensibles à notre musique. En ce sens, nous essayons de les rendre heureux à travers nos chansons. J’aime ce sentiment de respect mutuel, mais l’important pour nous est que le public se sente bien. En même temps, nous pouvons aussi les rendre tristes, cela dépend de la chanson! (rires).

Sur cet album, vous avez travaillé avec le producteur Mario Caldato Jr. Pourquoi lui?

Gruff Rhys : Nous recherchions quelqu’un capable de nous à aider à mixer l’album de différentes manières, à travers différents styles. Parce que nous avons enregistré l’album dans différents studios et différentes pièces. Nous avons adoré son travail avec Money Mark. C’est aussi un grand songwriter qui utilise d’excellentes textures sonores. Il a vraiment une vision très claire de ce qu’il veut faire et parvient à nous motiver à travailler le son sans pour autant s’embarquer dans une enregistrement barbant.

Dafydd Ieuan : C’est vraiment quelqu’un d’humainement très accessible, cela a été très cool de travailler avec lui. Et puis après avoir mixé deux chansons ensembles, nous savions que nous avions fait le bon choix.

Y a-t-il d’autres gens avec qui vous aimeriez travailler?

Dafydd Ieuan : Nous n’avons jamais collaboré avec d’autres artistes par nécessité ou pour une quelconque quête musicale.

Gruff Rhys : Nos rencontres avec John Cale ou Paul Mc Cartney se sont déroulés par pur accident. Pour Paul Mc Cartney, nous avons sympathisé aux Grammy Awards. On s’est échangé nos cartes et je lui ai dit : « passez-moi un coup de fil, je remixerai vos pistes! » C’est comme cela qu’on s’est retrouvé à remixer quelques pistes des Beatles (NDLR : Liverpool Sound College). Pour John Cale, nous avons été invités pour être son backing band dans un film. Mais pour résumer ce processus de rencontres, c’est plus motivé par un intérêt social que musical.

Quelle est la raison d’avoir dédicacé une chanson à Marcos Valle?

Gruff Rhys : C’est juste parce qu’il nous a inspiré. Il y a cette chanson sur notre album qui s’appelle « Valet Parking ». Je n’ai aucune idée de ce qu’il dit mais nous adorons ses mélodies. Il y a beaucoup de sexe dans ce qu’il véhicule, cela nous a inspiré et en même temps dirigé vers une nouvelle optique musicale.

Mais votre hommage ne sonne pas comme une chanson brésilienne.

Gruff Rhys : Oui, mais nous sommes du Pays de Galles (rires).
Dafydd Ieuan : Peut-être que les Brésiliens n’ont pas été gallois depuis trop longtemps!
Gruff Rhys : Nous allons jouer en octobre dans un festival free jazz à Rio. Nous sommes vraiment excités.

Un groupe de rock dans un festival de jazz?

Gruff Rhys : Oui, ça paraît fou!

Super Furry Animals, Phantom Power (Epic)

Un grand merci à Matthieu