The Script of the bridge est l’exemple parfait du disque new wave (et j’entends par-là ce à quoi se réfère véritablement ce mot, à savoir nouvelle vague…) tombé dans l’oubli et qui a pourtant influencé une pléthore de formations actuelles (Interpol en première ligne). Nous tenterons ici de rendre à César les lauriers qui lui appartiennent.

Issus de Manchester, les Chameleons ont eu une assez courte existence, de 1981 à 1987, mais cela leur a suffit pour enregistrer trois disques et quelques EPs, dont deux chef-d’oeuvres intemporels : l’album présent et le suivant, What does anything mean basically? (1985). Après un troisième album plus qu’honorable, ils se sépareront suite à la mort de leur ami et manager Tony Fletcher en 1987 (une chanson lui est d’ailleurs dédicacée sur l’excellent EP posthume du groupe : Tony Fletcher Walked on Water).


Malgré ce destin tragique, les Chameleons avaient à leur début tout pour devenir un grand groupe. Leur premier EP est produit par le grand Steve Lillywhite, déjà responsable entre autres du son de U2, Peter Gabriel et puis plus tard Morrissey, pour ne citer qu’eux. Sur les monumentaux « Nostalgia » et « In Shreds » qui figure sur ce premier court format, on retrouve la patte caractéristique de ce prodigieux producteur, à savoir ce son de batterie énorme pour l’époque et ces guitares à la fois tranchantes et sophistiquées.
Assurément une des meilleurs production de l’homme à cette période. Bizarrement, ces deux chansons ont été rajoutées sur la réédition CD de What does it meanÂ… qui n’est pourtant que le second album du groupe.

Après une alliance plus que prometteuse, Lillywhite déclare pourtant forfait pour la réalisation du premier album du groupe, laissant nos musiciens orphelins au moment de rentrer en studio. Certains inconsolables se demandant toujours ce que ce magicien du son aurait pu concocter s’il était resté avec eux au lieu de rejoindre la bande à Bono et connaître le succès qu’on connaît. Le destin se serait inversé, qui sait?

Script of the bridge n’en reste pas moins un album marquant. L’énergie, autant dans les guitares de Dave Fielding et de Reg Smithies (qui est aussi l’auteur du dessin très « naïvement » noir de la pochette…), que dans la batterie de John Lever et surtout, et enfin, que dans la voix aérienne et la basse de Mark Burgess, a influencé des groupes, voire un style, la noisy pop.

Pas seulement contemporains du Cure de Pornography, The Top et Head of the Door, surtout dans les tempos joués par le batteur, ils font aussi penser à la guitare prodigieusement élévatrice d’un The Edge. Leur son participe déjà à ce mouvement qui sent les trente glorieuses toucher à leur fin. Il s’agit ici d’un rock apocalyptique et porteur d’un message que certains pourraient qualifier de « négatif », d’autres de lucide, un peu à l’instar d’un Killing Joke, en moins radical peut-être.
Le mariage de deux guitares, d’une batterie utilisant les timbales en guise de points d’exclamation, et de la voix grave fait en tout cas beaucoup penser à Jaz Coleman et sa troupe. Les rares nappes de synthétiseurs, comme sur « Second Skin », sont vraiment la marque de fabrique des années 80 qui annoncent la fin d’un monde. Les paroles sont aussi très noires.Et pourtant, toute cette noirceur ambiante nous arrose de guitares lyriques, de mélodies attachantes et de refrains accrocheurs, et c’est en cela qu’ils ont influencé des groupes tels que My Bloody Valentine.

Cette démarche artistique relevant de la poésie à partir de sentiments de révolte, se dessine sur tous les titres de cet album. Un style attachant qui pourrait à lui seul résumer bien des groupes des années 80, allant du rock gothique à la noisy pop. En ce sens, Script of the bridge tient la route de bout en bout, et offre une panoplie de rythmes et de sons qui le rendent incontournable si l’on veut savoir comment d’autres groupes, bien plus chanceux qu’eux en termes de gloire, se sont inspirés de ces belles envolées.

Attachant. C’est le mot qui convient le mieux à ce disque paru il y a déjà 20 ans. Depuis, le groupe s’est reformé voilà deux ans et a même sorti un album (mitigé). Un témoignage live sorti l’an dernier témoigne encore de la flamme scénique de ce groupe fantastique.

Tracklisting : Don’t Fall – Here Today – keyland – Second Skin – Up The Down Escalator – Less Than Human – Pleasure And Pain – Thursday’s Child – As High As You Can Go – A Person Isn’t Safe Anywhere These Days – Paper Tigers – View From A Hill