Au secours ! Def Leppard, Freddy Mercury et Skidrow réunis pour le meilleur et (surtout) pour le pire. Caché bien au fond de notre pile de cds Tindersticks, The Darkness est une délicieuse régression, ou plutôt lorsque l’instinct animal reprend le naturel sur l’homme.


Le rock a toujours été une affaire de « politiquement incorrect ». Pour évaluer la valeur d’un groupe, il existe une méthode infaillible connue des anciens : le blind-test de mami Moujot. Lors d’un trajet vers la supérette avec mami, faites lui soumettre l’air de rien sur le poste de sa Simca 1000, une petite cassette concoctée par vos soins. A l’écoute du subterfuge, si la vieille apprécie (Florent Pagny, Bon Jovi par exemple), la galette peut au mieux servir de frisbee ou de palette de peinture pour vos prochaines aspirations artistiques…
Dans le cas inverse, si vous observez mémé en train de serrer plus fort que d’accoutumée votre bras avec un regard frôlant la crise cardiaque, c’est que vous êtes sur le bon chemin. Parce qu’on a beau s’arrêter sur quelques détails, l’essentiel doit rester : le rock n’roll symbolise un maximum de fun et doit faire grincer mami. The Darkness est de ce tonneau.

A première vue, défendre un tel groupe relève de « mission impossible ». On a beaucoup lu ça et là dans la presse rock française des articles s’interrogeant sur cette adulation portée par les brittons pour cette bande de branquignols jouant un rock périmé depuis l’age des cavernes.
Il est vrai que leur CV fait peur : deux frères dignes clones des survoltés frères Young australiens, une voix de castra même pas correct, des solos de tappings interminables, une première partie pour les ignobles Def Leppard et ne parlons même pas de l’allure vestimentaire du groupe à faire passer David Lee Roth pour James Dean.

Face à un tel cas de figure, c’est plutôt facile de tirer sur l’ambulance, comme on dit. Mais qui a dit qu’un groupe de rock devait être parfait ? Pour mémoire, Fun House, considéré à juste titre comme le meilleur album de rock de tous les temps – à l’époque on appelait même ça du hard rock – n’est pas parfait de bout en bout non plus et c’est ce qui fait son charme. Dans un groupe de rock, c’est l’arrogance qui prime, à l’inverse d’un disque bien léché de Frank Sinatra. Ouais, je sens que vous me voyez venir.

Autre détail, ces gars-là sont tellement à rebrousse-poil du courant rock dominant qu’il faut :

– soit une sacrée foi en sa musique pour perdurer.
– soit être sacrément couillon pour sortir un disque pareil.
En ce sens, The Darkness est peut-être bien le groupe de rock le plus intègre du moment, car il reste fidèle a ses convictions premières (aussi étranges soient-elles).

Ma première confrontation (je vois pas d’autres mots plus adéquats) avec The Darkness s’est déroulée durant un week-end à Londres il y a de ça trois mois. Parachuté dans un pub local, quelle ne fut pas ma surprise d’entendre sortir des enceintes, coincé entre Travis et Coldplay, « I believe in a thing called Love », tube du moment au pays du pudding. Dès l’intro super riff, les pintes de bière ricochaient entre elles et la bonne humeur était de rigueur. Bien sûr, la première impression fut contrastée : tout ça ressemblait à une bonne grosse blague d’adolescent pré-pubère.

Quelques mois ont passé depuis ce fameux week-end, et il m’a fallu du temps pour que je l’admette : sur ma pile de cd sélectionnés chirurgicalement avant de partir en vacances, Permission to Land figurait en tête de ma playlist perso. Et oui, l’album le plus douteux du lot a méchamment squatté ma platine pendant les vacances. Relégué au placard, White Stripes, Strokes and co! Derrière mes sales manies de bourgeois, j’en ai presque eu des remords de ne pas l’avoir inclus dans mon top 20 (pas le top 5, faut pas exagérer non plus).

Chez The Darkness, il y a une chose que l’on ne peut pas leur soutirer : un sens du riff indéniable emprunté aux mastodontes du genre que sont AC/DC et Led Zep. Des riffs redoutables qui se concentrent sur l’essentiel : un antidote efficace à la prise de tête. Derrière les singles et une bonne poignée de titres imparables cet album recèle quelques pépites insouciantes dans la lignée de Thin Lizzy comme « Friday Night » et « Givin up », des odes à la festivité assez contagieuses. Bien sûr, il y a de gros dérapages : « Growing on Me » aurait facilement pu figurer sur la BO de Top Gun, mais reste d’une efficacité confondante.

Et puis la voix, sacré problème que cette voix. Lorsque Justin Hawkins pousse sa gueulante, c’est un peu Freddy Mercury qui aurait remonté un peu trop vite la fermeture éclair de sa combinaison moule-burne. Là-dessus, des paroles aussi profondes et puissantes que « I believe in a thing called love » ou « Kiss my ass goodbye » ne font pas dans la dentelle, c’est sûr. On n’avait pas entendu pareils niaiseries depuis Skidrow et Motley Crue. Mais finalement, on se dit que la mayonnaise n’aurait pu prendre autrement qu’avec cette lueur stupide que l’on peut observer dans le regard d’Hawkins.

Bien sùr, comme tout bon groupe de hard rock qui se respecte, chaque album se doit de contenir une ou deux ballades, histoire de montrer que derrière le dur hardos se cache un être sensible en mal d’affection. « Love is a feeling » est aussi beau et puissant que des feux pyrotechniques tirés à l’unisson pendant un concert de Maiden. « Holding my own », qui clôt comme il se doit l’album, se fend d’un solo de guitare tire-bouchon à défriser la permanente de Brian May. Pas de doute, le contrat est rempli.

Mais la vérité suprême, c’est que pour vraiment apprécier The Darkness, il faut avoir connu le châtiment des « Boums » du collège, où, patiemment assis sur une chaise, on attendait que Benny B et Florent Pagny laissent le terrain à « Hells Bells » et « Problem Child ». Les seuls véritables instants d’éclate dans ses fêtes où la timide parité n’avait pas trop d’effets en ces temps-là. Car celui qui n’a jamais saisi ces instants magiques et défouloirs ne peut apprécier ce groupe à sa juste valeur. Alors lorsque j’entends quelques franges à lunette me démontrer mathématiquement les qualités supérieures du second Black Rebel Motorcycle Club, je ne peux m’empêcher d’avoir un rictus nerveux au niveau de la joue.

Pour terminer, j’épiloguerai sur cette phrase lancée par ce galopin de Julian Casablancas, lors du rappel des Strokes au Zenith et qui en dit long : « A tout le monde, à tout mes amis, je vous aime, je dois partir »*. Certains n’y ont vu que du feu, mais pas moi.

* refrain d’« A tout le monde », chanson tirée de l’album Youthanasia de Megadeth

-Le site de The Darkness