Increvable, la bande à Kilbey le magnifique vient de sortir son 16eme album qui fait suite au rédempteur After everything Now This. L’un des meilleurs fleurons du rock atmosphérique signe une oeuvre d’une densité déconcertante, hors norme et additive.


Avant de chroniquer cet album, je tiens d’abord à vous raconter comment j’ai mis la main sur cette galette. Voilà deux mois, je me retrouve chez Monster Melodies, célèbre temple du vinyle parisien, en quête d’une éventuelle rareté. Scotché comme toujours sur le rayon rock indé, quelle ne fut pas ma surprise de trouver à la lettre « C » la nouvelle livraison de l’église australienne !

La trouvaille était d’autant plus surprenante qu’en ce début de novembre, l’album n’avait pas encore fait l’objet d’envois promos aux médias spécialisés. Bref, même si je suis heureux d’avoir en exclusivité trois mois avant tout le monde mon cd de The Church, je ne peux m’empêcher d’avoir du dégoût pour ce geste répugnant : il faudrait présenter un peu de respect pour l’artiste en attendant au moins la sortie officielle de l’album pour revendre sa cargaison. Peut-être que notre ami avait une urgence du genre : solder le crédit de sa nouvelle cabine d’UV ou bien son tout nouveau DVD home? Il y a des priorités dans la vie…

Certes, The Church fait partie de ces groupes familiers des bacs à solde (je les ai d’ailleurs découverts moi-même en achetant Priest/Aura à 3 euros -20 francs pour les anciens), mais un groupe de ce calibre mérite mieux qu’une exposition privilégiée dans les rayons de seconde main. Surtout lorsque ce nouvel album ne mérite pas un tel sort. Voilà, c’est dit, passons à autre chose.

Après avoir traversé la décennie précédente sous un tunnel, entre line-up déconstruits et virage artistique limite-progressif, la paroisse australienne s’était reprise en main à la fin des années 90. On avait déjà senti le vent tourner un peu auparavant avec Holograam of Bahal (1998), qui, s’il ne connaît pas la sophistication de son successeur, demeure une sublime collection de pop songs frôlant régulièrement la maestria d’un Starfish. Trois ans plus tard, After Everything… écartait nos dernières craintes d’une hypothétique rechute avec un album vigoureux, où le groupe était parvenu à renouveler sa formule avec brio et modernisme.

Contre toute attente, Forget Yourself ne s’embarque pas dans une redite du précédent album salué par la critique. Au contraire, The Church a toujours su rebondir là où on ne l’attendait pas et ce nouvel opus va dans ce sens en se voulant plus introspectif et complexe qu’After Everything. D’entrée, on reste frappé par la profondeur de l’oeuvre : aucun refrain évident ne s’en dégage, mais en même temps, l’ensemble possède une force et une cohérence surprenante. Il faudra plusieurs écoutes avant de vraiment y déceler des repaires solides, mais l’attente en vaut la chandelle.

Si Kilbey reste l’âme incontestée du groupe, ce nouvel album doit beaucoup à Tim Powless, le batteur devenu de fil en aiguille leur producteur attitré. La dernière recrue a su insuffler l’énergie adéquate pour relancer la machine : un son ample et moderne et surtout l’opportunité d’ouvrir de nouvelles perspectives plus expérimentales. De par sa densité, Forget Yourself se profile comme le petit frère du très sous-estimé Priest/Aura, son album pourtant le plus ambitieux et totalement passé inaperçu en son temps. Il n’est pas évident de trouver un équivalent actuel à l’ouvrage, mis à part cette sensation de flottement qui s’égrène tout au long du disque et évoque souvent le Disintegration de The Cure.

The Church est passé maître en la matière de suggérer des paysages et sentiments confus. « Don’t you Fall » et « I Kept Everything » construisent un pont entre les premières influences empruntées aux Byrds, et une sophistication léchée entamée depuis Starfish, finalement assez proche d’un Radiohead lyrique. Nul doute que les quelques moments de bravoure disséminés ça et là se rangeront dans la liste d’or déjà imposante du groupe. Depuis « Almost with you » il y a près de vingt ans, on sait le guitariste Martin-Wilson Piper capable de prouesses prodigieuses entre les mains de sa Rickenbacker : « Telepath » et ses arpèges fragiles laissent entendre que son savoir-faire est inépuisable, « Maya » opère le même stratagème émotionnel, la voix de Steve Kilbey étant particulièrement poignante sur ce titre. Un de ces morceaux dont on sait dès la première note que la partie est jouée d’avance. On pourrait rentrer dans les détails et évoquer tous les titres du disque, mais l’ensemble est tellement soudé qu’il faut considérer l’objet comme un tout.

Longtemps, The Church eu la réputation d’être un groupe aux albums imparfaits mais regorgeant de purs joyaux. Il semble qu’avec le temps, les évangélistes rock australiens parviennent à suivre une ligne de conduite cohérente jusqu’à son terme. Pour sûr, ces 14 nouveaux titres continueront de creuser le fossé entre fans farouches acquis à leur cause et les autres hostiles. Pour les néophytes, il est certain que cet album n’est peut-être pas le meilleur moyen d’approcher la source. On conseillera plutôt After everything et les autres classiques des années 80. Mais pour tout amateur de rock sophistiqué, passer à côté d’un tel temple serait une faute de goût impardonnable.

-Le site officiel de The Church