«Nous sommes The Fall. La différence entre vous et nous est que nous avons un cerveau.» en dit long sur l’état d’esprit de Mark E.Smith et de son groupe souterrain qui a pourtant marqué et influencé la scène rock alternative. Cet énième album montre que le monstre, sorte de Barfly du rock briton, n’est pas mort. Il file une de ces pêches !


Groupe créé en 1977, à l’instar des Stranglers, franchement inclassable si ce n’est dans le punk-rock, teinté d’expérimental, The Fall tient son nom du roman d’Albert Camus La Chute. Mark E.Smith, intellectuel d’un nouveau genre, écrivant sans cesse, inspiré par les Buzzcocks, Elvis Presley, le Velvet Underground et Can pour la musique et par Henry Miller et Norman Mailer pour l’écriture, est fondamentalement contre la classe ouvrière, ses habitudes et ses opinions.

Musicalement, The Fall se plaît d’abord à faire de la musique inclassable, non commerciale, bruitiste et mal produite, aux textes très dadaïstes, si ce n’est une parenthèse plus pop à partir de sa liaison avec Laura Elise, une américaine qui aime tout ce qu’il n’aime pas (…). Il montre à partir de là une certaine aisance à maîtriser la mélodie, mais toujours de manière désinvolte et désintéressée. En 1986, The Fall connaît enfin un modeste succès commercial, que Smith s’empressera de détruire, notamment en renvoyant l’un après l’autre les différents membres du groupe. A ce propos, il déclarera en 1993 au magazine britannique Volume : «Etre dictatorial est la seule façon d’avancer. Je veille à ce que personne ne prenne trop ses aises ou ne devienne un trop bon musicien.»

Très imbu de sa personne, Mark E.Smith fera de The Fall sa bête, son monstre, et forcera l’admiration de formations comme Pavement ou Sonic Youth. Sa manière hachée, très désinvolte et nonchalante de chanter, son accent du nord de l’Angleterre à couper au couteau en feront une des figures so british de la scène punk-rock anglaise. Ce qui frappe dans leur carrière c’est le nombre d’albums qu’ils ont fait : au moins un par an, et ce depuis 1977 ! L’album Shiftwork (1991) est celui par lequel j’ai fait connaissance avec ce groupe atypique mais néanmoins attachant. Je m’y intéressais parfois, sans toutefois suivre scrupuleusement leur production plus que prolixe.

Et voici qu’arrive de nulle part cet énième (entre 30 et 40ème) album, intitulé d’un titilleur The Real New Fall LP (Formerly Country on the Click), et les mots manquent pour dire la surprise qu’il suscite à son auditeur. C’est un album puissant, qui donne une pêche d’enfer, qui brasse à peu près tout ce qui s’est fait de bien dans le noise rock mais aussi dans les mouvances plus dance de la british pop, une rencontre sous acid de Pulp, Blur, Primal Scream et des Stranglers (troublant sur « Open the Boxoctosis #2 »), avec toujours les Happy Mondays en filigrane.

Tous les membres des débuts, mais aussi tous ceux qui se sont succédés au cours des années 80 et 90 ont disparu… Mark E.Smith est entouré d’un nouveau combo, principalement des guitares et des synthés, et une batterie puissante. Tout en prenant tous les ingrédients des années 80 et 90, The Fall parvient à sonner novateur et à nous livrer un album de très haute tenue qui a déjà pris, en ce qui me concerne, une place dans mes innombrables classements de groupes, hobby fort prisé chez les amateurs de musique tout comme dans High Fidelity de Nick Hornby.

La basse sur « Recovery Kit » et « Mountain Energei » est enivrante, hypnotisante, on se surprend à vouloir écouter ces titres en mode Repeat et Superbass System, élevé sur des enceintes canons. « Contraflow » joue sur les murs de guitare qui crissent et on boit du petit lait quand tout se met en branle. « Last command of Xyralothep via M.E.S. » concentre une énergie très puissante, et pourrait être comparée à une bouilloire qui siffle et que l’on s’empresse de retirer du feu, de peur qu’elle explose. On comprend pas toujours ce que vocifère Smith, apparenté ici et là à un Bukowsky complètement bourré (mais a-t-il déjà été sobre…) s’essayant à de la poésie d’alcoolique consterné.

Enfin, rien que le titre « The Past #2 » vaut tous les discours. Tout y est : le rythme, la force, la puissance, la joie, l’esprit du rock’n’roll ! Heu-Reux !