Avec son allure de potentiel troisième frère des Proclaimers, Marc Bianchi (sous le pseudo Her space Holidays) cache bien son jeu. Seuls les quelques tatouages sur ses doigts à la manière de Robert Mitchum dans La nuit du chasseur laissent paraître quelques tourments bien enfouis. Finalement, la musique d’Her Space Holiday ressemble à cela, de subtiles mélodies electro-rock illustrant des propos opposés, plus bruts et introspectifsÂ… Distribué pour la première fois en France, The Young Machines, son quatrième album, marque de nouvelles étapes décisives dans la carrière de ce talentueux jeune homme (changement de label, nouvelle vie et aspirations ) . Explications par l’intéressé himselfÂ…


Pinkushion : L’année 2003 fut particulièrement difficile pour toiÂ…

Marc Bianchi : Oui, il y a eu beaucoup de changements. Tout d’abord j’ai déménagé de San Francisco pour aller au Austin, Texas. Ma grand-mère avec qui j’étais en contact depuis près de neuf ans est décédée au cours de l’année (ndlr : Marc est orphelin). Je me suis aussi séparé de mon ancien label Tigerstyle pour travailler avec d’autres structures. Cela fait beaucoup de changements. En même temps j’ai enregistré le nouvel album qui m’a permis de capturer tous ces évènements sur disque.

Depuis que tu as déménagé, te sens-tu mieux à Austin ?

J’estime que oui, parce que c’est tellement différent de la façon dont je me sentais quand je suis parti de San Fransisco. Mais c’est vraiment une expérience étrange de se déconnecter de certaines choses dont on est habitué, cela devient un peu surréel. J’expérimente beaucoup de nouvelles choses autour de moi en ce moment. Mais je me sens bien, merci.

Est-ce que le fait de déménager a changé ta manière de composer ?

Oui, je pense. Lorsque je vivais dans ma banlieue de San Fransisco, je restais cloîtré chez moi pour enregistrer. Austin est une petite ville très concentrée qui a beaucoup de clubs et où il se passe beaucoup de choses. Les gens sont plus accessibles et je pense que je sors bien plus depuis que je vis au Texas. C’est une chose fantastique personnellement, mais ce n’est pas aussi bien que ça en terme de créativité. Quand il y a beaucoup de distractions autour de toi, c’est très facile d’être moins productif.

Peux-tu m’expliquer la signification du titre de l’album : The Young machines ?

Et bienÂ… The Young machines parle deÂ… (silence et longue réflexion) ce qui se passe c’est que quand beaucoup de choses changent autour de toi, tu as tendance à te poser des questions sur les évènements, tes erreurs et ce que tu aurais pu faire pour changer la situation. Bien souvent lorsque j’étais en tournée, beaucoup de jeunes venaient me voir et me parlaient de tous ces nouveaux programmes d’enregistrement à la mode et cela m’ a inspiré. The Young Machines est une sorte de titre qui parle de nous-mêmes en tant que machines.

En tant que machines ?

Oui, dans le sens ou nous sommes entourés par la technologie et que nous avons du mal à trouver notre place humainement parlant. Si on regarde un peu autour de nous, nous sommes une sorte de jeune programme avec plein de bugs et il faut apprendre à regarder un peu derrière soi pour s’améliorer et devenir une personne meilleure. Je sais que c’est un peu compliqué et que je m’embourbe, mais en gros c’est ça !

Il y a un contraste entre les mélodies, très enfantines, et les paroles, très sombres.

Oui, je suis tout à fait d’accord. Ce n’est pas quelque chose à laquelle je fais attention lorsque je compose, mais après coup je m’en rends raconte. Avant tout, je voulais faire un album gai. C’est vraiment ce que je voulais entreprendre avant que tout le mqtériel ne soit prêt. Beaucoup de musique a été faite et centrée sur un être et le caractère humain, ce qui inclut quelques aspects joyeux de la personnalité. Si la musique est très sombre et les paroles aussi, cela pourrait avoir des conséquences trop obtuses sur le contenu. Les chansons sont plus aptes à être écoutées si les propos sombres sont soutenus par des mélodies plus légères.

C’est un concept qui peut rappeler ce que faisait Phil SpectorÂ…

Je vois ce que tu veux dire, mais je ne fonctionne pas comme ça. Je n’est pas commencé à le faire intentionnellement pour que cela affecte le disque ensuite. C’est un contraste bizarreÂ…

Mais est-ce que tu aimes jouer avec ça ?

Je suppose. Si les paroles concordaient avec la musique, je pense ressemblerait trop à une chanson de Nine Inch Nails…

Qu’est-ce que tu préfères finalement, les paroles ou la texture?

Probablement la texture, parce que je suis très conscient de mon chant et de mes paroles. Séparé de la musique, tout cela peut sonner plus anonyme, voire quelconque. Tu sais, si tu passes beaucoup de temps sur la musique, cela peut être moins personnel que si tu écris des paroles. C’est bien plus un risque d ‘écrire des paroles et des vocaux que de travailler avec un instrument.

Est-ce que c’est facile pour toi d’écrire sur papier ce que tu ressens ?

C’était plus facile sur ce disque parce que rien n’était prédéterminé avant que je le fasse. Je me suis juste contenté de prendre les choses comme elles me venaient. Cette fois, je pense que ça marche parce que le résultat est naturel. C’est un peu étrange pour moi de parler des paroles parce que c’est définitivement mon disque le plus personnel et je n’ai pas vraiment de justification à donner sur ce que j’écris.

Mais cela ne me dérange pas que l’on me pose des questions là-dessus, parce que ça fait partie du jeu. J’étais tellement coupé à ce moment-là, en train de faire le disque, que je n’ai pas de recul nécessaire. The young machines a été terminé en 2002, c’était une période si différente… C’est assez étrange de remanier encore ces histoires, mais ça ne me dérange pas de parler de ça, c’est pour cela que je suis là.

J’ai trouvé quelques similitudes entre tes textes et ceux de Conor Orbest (Bright Eyes), assez brutes et centrées sur l’insatisfaction. Tu es aussi ami avec lui. En avez-vous déjà discuté ?

Je suis ami avec Conor depuis longtemps, mais nous n’avons jamais vraiment parlé de ses textes. Je ne sais pas comment il ressens les choses qu’il écrit. Personnellement, je pense que je passe une grande partie de mon temps – comme beaucoup de gens – à chercher des réponses à travers plusieurs gens. Les gens pensent que leur vie serait tellement mieux s’ils étaient amis avec telle personne. Et à la fin, tout ce que tu fais c’est pousser tes attentes à travers cette personne qui ne peux évidemment pas résoudre tes problèmes. Je pense que ce disque, c’est moi réalisant que nous avons besoin de gens autour de nous, mais que la seule personne qui peut répondre à nos attentes c’est soi.

Que penses-tu de ta voix ?

Je ne la déteste pas. Je ne suis pas écoeuré lorsque je chante, mais c’est vraiment limité en termes de possibilités. Je veux dire que les mélodies que j’ai en tête sont tellement loin de ce que je peux faire en tant que chanteur. Je sais que certaines personnes disent que c’est à cause de cela que ça marche. Les techniques vocales de Brian Wilson et Phil Spector peuvent être tellement complexes…. Si je ne pourrais plus chanter, je pense que je ferais appel à quelqu’un d’autre sans problème pour chanter mes paroles.

Tu as signé avec Mush Records, spécialisé dans le hip hop expérimental. Est-ce que tu te sens proche de leur univers?

Oui, bien que musicalement, nous n’avons rien en commun. Auparavant, j’étais chez Tigerstyle et le gros problème c’est qu’ils avaient cette logique de faire un album puis de partir en tournée, une sorte de cercle infernal. Cette approche ne me convenait pas car j’enregistre des albums seuls et je ne veux pas dépendre de cette routine. Avec Mush, il y a tellement d’artistes différents que ce n’est jamais la même chose, la même tournée ou bien la même mentalité. Il n’y a vraiment pas beaucoup de respect et chaque artiste est étudié au cas par cas. C’est vraiment la meilleure décision que je pouvais prendre en signant chez eux car The Young machines est vraiment l’album le plus radical que Mush est signé, même si la plupart des choses qu’ils sortent sont assez étranges.

Es-tu resté en bon termes avec Tigerstyle ?

Oui. Ce fut vraiment la décision la plus dure à prendre parce qu’ils ont été les premiers à me donner ma chance. Je parlais avec eux tous les jours durant les trois dernières années, mais nous étions arrivés à un point où ils n’ont pas aimé le nouvel album et je ne tenais pas à me mettre tout le temps en opposition ave eux. C’est pour cela que nous avons pris d’autres chemins. Mais il n’y a pas d’animosité entre nous.

Depuis que tu es sur Mush, es-tu en contact avec d’autres artistes du label?

Oui, j’ai rencontré odd Nosdam et Dose de cLOUDDEAD, lorsque j’ai signé et je suis resté en contact avec eux. J’en ai rencontré d’autres comme Busdriver et Radioinactive mais plutôt lors des Showcases de Mush. Pas vraiment hors du taf, si je peux dire.

Musicalement, tu te dis différent de ces groupes-là, mais il y a tout de même un point commun : cette fascination commune pour My Bloody Valentine.

Oui, je peux voir cela, spécialement avec cLOUDDEAD. Ils ont beaucoup emprunté cette atmosphère tourbillonnante. Je n’avais jamais envisagé le rapport de cette manière, mais maintenant que tu me le disÂ…

Quel est ton rapport avec la musique en général ? Est-ce que tu en écoutes tout le temps ?

J’écoute de la musique constamment. Lorsque j’étais plus jeune, j’achetais tout ce qui était nouveau et finalement je ne les écoutait pas beaucoup. Pendant des années j’ai collectionné des disques, mais je n’avais pas vraiment l’occasion d’en écouter autant que ça. Depuis que je suis au Texas, j’ai décidé d’écouter mes vieux disques. C’est bien plus excitant maintenant pour moi d’écouter des vieux trucs de Brian Eno. La seule chose récente que j’écoute, ce sont les albums que Mush me donne ou des choses de Def Jux, du hip hop underground pour l’essentiel. Ce n’est pas vraiment une musique avec laquelle je me sens connecté artistiquement parlant, elle sonne vraiment nouvelle pour moi.

Est-ce que tu écoutes encore des choses plus rock ?

Plus beaucoup. J’ai écouté beaucoup plus de musique joyeuse et entraînante du style Outkast ou les Neptunes, juste pour la sensation d’entendre des trucs fun. Mais de temps à autres, je me remets un bon vieux BedheadÂ…

Qu’est-ce que tu fais lorsque tu n’enregistres pas de disques ?

Je passe mon temps à me ballader avec mon vélo aux alentours de chez moi. Vraiment, je fais des trucs normaux : je vais voir des films, j’ai aussi commencé à peindre. C’est très important pour moi de retrouver une vie normale, parce que j’enregistre constamment dans mon studio et je tourne beaucoupÂ…

Pour finir, la question rituelle, tes cinq albums préférés de tous les temps ?

Voyons, je dirais en premier Pet Sounds des Beach Boys, Rubber Soul, Vespertine, Richard D. JamesÂ… et enfinÂ… je ne sais pas, ça change tout le temps mais je dirais le premier album d’Aesop Rock, Float, un disque qui a eu un gros impact sur moi.

Her space holiday, the young machines (Wichita/Mush/V2)

-Le site officiel