Cette excellente compilation est un voyage dans le temps qui remet l’église au milieu du village et qui montre la grande étendue du talent du ska sur les fondations du reggae.


Qu’est-ce que le ska ? Stricto sensu, le ska est un croisement entre le Rhythm and Blues américain et le mento, musique folklorique populaire jamaïcaine. En d’autres termes, c’est bel et bien l’ancêtre du reggae, reconnaissable par son rythme cadencé et répétitif, qui donne l’impression d’écouter un 33 tours de reggae joué à la vitesse du 45 tours. Dans l’histoire du reggae, le ska fait donc figure de fondation, et représente en gros toute la musique qui s’est fait sur l’île dans les années 60 et qui coïncide d’ailleurs avec son indépendance.

Il ne faut pas confondre avec la vague ska issue d’Angleterre à la fin des années 70 et ayant connu ses lettres de gloire dans les années 80 avec des groupes tels que The Specials, The Selecter ou Madness et qui fût bien malgré eux une des musiques appréciées par les têtes tondues…

Non, ici, nous parlons de la Jamaïque, et de la source du ska, celui des encore-vivants Skatalites, qui font figure de Buena Vista Social Club jamaïcain, tous papys qu’ils sont, mais aussi celui des Maytals, des Ethiopians et de Jackie Mitoo. Les titres couvrent la période qui va de 1962 à 1967.

Tout commença avec le bien reconnu Studio One de Coxsone Dodd, premier label-studio de l’île à véritablement promouvoir la musique inventée et jouée par les gars du coin. Premier aussi à avoir « cru » en Bob Marley et ses Wailers. Et une chose est sûre à l’écoute de cette formidable compilation, à prendre comme un document sonore de grande qualité informative -rien que le livret, ses photos et ses commentaires valent le détour-, c’est que le ska est un genre qui s’apparente beaucoup au jazz tellement l’utilisation des cuivres (saxo, trompette, trombonne), du piano et de la contrebasse y sont privilégié et mis en avant comme dans une formation de jazz, à savoir en solistes et non pas seulement en collectif. De plus, tous ces instrumentalistes ont suivi un enseignement plus qu’académique, voire religieux pour certains, et ça s’entend dans le professionalisme.

La soul qui émane de certains titres chantés, notamment des Maytals, montre également le grand talent qu’ont eu les musisiens du cru à recycler un style qui passait à longueur de journée sur les ondes dans un pays qui n’attendait que les sound systems et l’explosion du rock-steady pour exprimer la rage du Tiers-Monde alliée à leur très grande joie de vivre en dépit de la pauvreté et du manque de moyens. Tout ça pour dire que comme la soul aux Etats-Unis, le genre ici s’est enrichi des ingrédients locaux et le résultat est à la hauteur des espoirs.

Le CD est un grand hommage plus que mérité aux Skatalites et à ceux qui les composent : Don Drummond et Roland Alphonso nous ont laissé des titres d’une qualité indéniable. Le premier, avec « Don Cosmic », et le second, avec « Scambalena », ont bien devancé les BVSC dans cet art du dépaysement et cette passation de la joie de vivre. Ce qui force le respect à l’écoute de ce CD est sa grande facilité d’écoute : où que vous soyez, quoi que vous fassiez, il se laisse écouter avec plaisir. C’est même une petite portion de bonne humeur qui vous est insufflée à l’écoute des 17 titres qui égrainent la compilation.

Pour les années 60, on remarque une utilisation des percussions qui est plus qu’avant-gardiste mais qui s’apparente étrangement à toutes les musiques des caraïbes et de la mouvance latino-américaine : celle qui sait comment faire déhancher le plus coincé de chez coincé…

On a même droit à un prodigieux accordéon et au bon vieux mélodica, qui utilisé pour le premier comme pour le Vallenato colombien, à savoir en tant que rythmique, est un instrument qui prend tout son sens ailleurs que chez Yvette Horner

-Le site de Soul Jazz Records