Avec des guitares possédées et un sens de la mise en scène implacable, ce trio londonien possède de sérieux atouts pour capter votre attention. Bikini Atoll est une oasis de radiation dissonante.


A l’écoute de Moratoria premier album de Bikini Atoll, on comprend aisément le coup de coeur de Robin Guthrie, éternel amateur de guitares aériennes (Lift to experience, Explosion in the sky…) en signant ce groupe sur sa structure Bella Union. Et pourtant, il est vrai que la première impression que nous laisse cet album, c’est de le laisser dans son boitier : une pochette pas franchement convaincante qu’on croirait confectionnée sur un bon vieux Amiga 500, qui nous donne davantage l’impression d’avoir en main le boitier d’un jeu de simulation de guerre qu’un véritable album de rock.

De guerre, il en est d’ailleurs un peu question chez Bikini Atoll, qui tient son nom d’une île du nord pacifique dévastée à grand coup de bombes à hydrogène par les ricains entre 1945 et 1962, à titre honorifique d’expérimentation pour « le bien de l’humanité »… Il faut tout de même avouer que les américains ont toujours eu le sens de la formule à deux balles, n’est-ce pas Saddam ?
Bref, nos trois rockers anglais seraient tombés sur une série de clichés photos de ses fameux champignons nucléaires. Fascinés par cette beauté morbide, ils ont décidé de rendre hommage à ces îlots complètements oubliés par le reste de l' »humanité ». La pochette laideronne du disque est d’ailleurs un hommage : on y voit une île tropisiaque envahit par les radiations.

Pour s’inspirer d’une idée pareille, il n’est pas difficile de piger que ce trio londonien déploie ici une musique sombre mais pas dénuée de lumière. Josh Gideon, à l’origine de cette formation, y tient tous les instruments de prédilection (voix, guitare, piano, séquenceurs). Ce despotisme poussé ne se retranscrit pourtant pas sur disque qui laisse une grande impression de cohésion de groupe.
Enfin, notons que le disque est produit de main de maître par Rob Kirwan, qui n’est autre que l’ingénieur du son de Depeche Mode, U2 et le dernier New Order.

La musique des Bikini Atoll mélange quelques éléments post-punk à des ambiances post-rock. On y entend quelques échos des premiers Echo & the Bunnymen, The Sound,
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et plus récemment des lugubres Black Rebel Motorcycle, mais le spectre musical ne s’y cantonne pas et brasse bien plus large. Preuve de son éclectisme, le groupe a d’ailleurs récemment tourné avec ses voisins de label Explosion in the sky et la prêtresse punk Lydia Lunch.

Moratoria est partagé entre titres instrumentaux à tendance « guitares aérienne » et ballades tragiques. La partie instrumentale nous réserve des moments d’une puissance assez époustouflante, à l’instar de « Moratoria », titre d’ouverture, et surtout l’impressionnant « Black Dog », où des guitares dissonantes à la Sonic Youth entretiennent crescendo une tension rare.

Les titres chantés ne dépareillent pas non plus. La première moitié de l’album est particulièrement réussie et aligne une belle brochette de compositions toujours sur la sellette. « Cheap Trick » est le genre de chanson que l’on aimerait entendre sur le prochain album d’Interpol : un rythme soutenu et des guitares à fière allure se mélangent au chant suicidaire de Josh Gideon.

La seconde partie est plus apaisée et se termine sur deux morceaux épiques totalisant à eux deux près de 17 minutes. Rien de vraiment post-rock pourtant, si ce n’est des mélodies désolées qui parviennent souvent à nous hérisser le poil.
Seul bémol, « Desolation Highway » a été utilisé pour la BO d’une série B à la Blair Witch qu’on ne nommera pas (My little eye, en l’occurence). N’importe quoi. Si la personne chargée de compiler cette BO se serait un peu penché sur ce fabuleux groupe, elle se serait rendu compte que « Desolation Highway » est certes un joli spleen, mais de loin le titre le moins oppressant de Moratoria. Gageons que ce petit incident ne nous empêche pas de passer à côté de ce cocktail hautement jouissif.

-Le site du groupe

-Le site de Bella Union