Sharko fait partie de cette formidable nouvelle vague de rock belge francophone qui agit comme un ouragan sur toute l’Europe. Le trio a sorti un troisième album, Sharko III , condensé de ce que les belges savent faire le mieux, à savoir dans le surréalisme auto-dérisoire et humoristique sans complexe qui fait défaut en France.
C’est chez Teuk Henri, le guitariste, que se déroula cet entretien plus que cool avec ce dernier et avec David Bartholomé, frontman serein au sourire sympathique.


Pinkushion : Votre côté surréaliste, limite absurde, prend ici, avec Sharko III, une dimension plus joyeuse, plus festive (« spotlite », « excellent ») tout en étant très émouvante (Je pense par exemple à « President » et sa fin lyrique ou « Bath », « Car was »). Rien de mieux pour être de bonne humeur! Tu es arrivé à montrer l’autre face de Sharko, celle que l’on ne découvrait qu’en concert?

David : OuiÂ… L’autre faceÂ… euhÂ… En tout cas sur cet album-ci la face live est beaucoup plus représentative.

Je comprends. C’est vrai que c’est un peu plus comme tu dis. Mais ce n’est pas voulu.

Teuk : On ne le travaille pas en tout cas.

David : Il y a aussi que plus on fait de concerts et plus on a la perspective du public dans la tête. Je ne dis pas que c’est conscient mais on y pense en tout cas quand on travaille de nouveaux morceaux. On assimile plus le côté public, oui.

A qui tu parles sur « Ripoff (a phone call) » ?

David : à XÂ…(rires). Mais peu importe en fait. C’est plus dans l’intention. C’est bizarre, cet après-midi j’étais avec (…), et on a parlé à peu près de la même chose. C’est dans l’intention, la frustration du gars qui veut trop bien faire, qui veut tellement bien faire, y mettre toute son énergie que finalement ça part en oblique parce que forcément quand tu mets trop d’énergie dans une seule source ça ne peut pas aller droit. Je pense qu’au-delà de « à qui je m’adresse » c’est ces frustrations que tout le monde connaît, comme par exemple quand tu te présentes pour un nouveau boulot, que tu veux être vraiment présentable, que tu déballes ton CV, tu t’emballes sur ce que tu as déjà fait et puis un moment tu fais une connerie et ton entretien est fini, foutu.

Le clip de « Spotlite », est-ce un hommage aux frères Coen?

David : (surpris) Non, non.
Teuk : Qui ça?

Je pensais au film Brother where art you?.

Teuk : Non, non.

J’ai cru comprendre que vous aimez énormément le cinéma. Est-ce que cela influence votre travail?

Teuk : C’est vrai surtout pour David oui. Sur le site, dans les textesÂ… Musicalement c’est un peu difficile d’être influencé par le cinéma. Peut-être les thèmesÂ… (regarde David)

Mais il y a un côté cinématographique, visuel quand on écoute votre musique. « Tonite » est très visuel par exemple.

David : Personnellement, je trouve aussi. Je trouve qu’il y a une écriture qui est très visuelle. Je vais prendre deux exemples.
Le morceau « Les Eagles », qui est un morceau qui démarre par une boucle que Teuk m’a fait découvrir. Quand il m’a déballé ça, visuellement je trouvais ça très touchant et très fort, dans la structure de l’élaboration de la musique. Forcément j’étais touché mais pour des raisons qui échappaient peut-être à Teuk. Avec cette chanson, j’imagine une étendue américaine avec des motards tatoués, méga durs, et cependant pendant un moment ils se regardent et il y a alors une complicité très touchante, très féminine, du type « je ne sais pas
où on va mais on y va ensemble ». Il y a tout ça oui. Une émotion visuelle qui m’a amené à lui dire que ce serait bien d’appeler ce morceau « Les Eagles » et Teuk, en entendant ça, n’a eu qu’une envie, sauter par la fenêtre ! (rires des deux). Il faut du temps pour expliquer ça : ce n’est pas une référence caduque ou débile du type le groupe The Eagles.
« Car was », mon deuxième exemple, obéit au même principe. Teuk m’a fait écouter des boucles que je trouvais très touchantes et qui me nourrissaient d’images Â…

Teuk : Mais il y a d’abord la musique, puis tu vois les imagesÂ…

David : oui, oui.

Comme l’auditeur en somme?

David : Oui, sauf que j’ai encore le pouvoir de voir ces images-là dans un contexte débileÂ…J’ai la possibilité, par mes textes, ou la tonalité de ma voix (en faisant une grosse voix -il imite Barry White-) d’y faire entrer autre chose. C’est souvent comme ça que ça se déroule.

Pour revenir au clip, qui en a eu l’idée ? Vous avez approché un réalisateur avec l’idée ou c’est lui qui vous l’a proposé?

David : Aucun des deux. On pensait qu’il fallait un clip, de l’image, surtout après une si longue absence. Mais on avait très peu de temps. On a alors rencontré quelqu’un qui nous a dit « moi je le fais et je vous suis ». C’était Marc Dixon. Quand quelqu’un te dit ça soit tu viens avec un concept et tu t’en sors soit tu viens avec rien Â…et tu t’en sors aussi ! (rires). On avait très peu d’idées, ce n’était ni une envie ni un réalisateur qui nous a proposé quelque chose. C’était très improvisé.

Sharko III est très bien produit. Le coup de main de Ben Findley (Peter Gabriel) t’a-t-il beaucoup apporté?

David : Tout dépend comment on définit la production. Je sais qu’en France c’est très important la réalisation et tout ça. Il a mixé des morceaux et son avis était important dans l’attention qu’il apportait à ses morceaux. Quand on lui a envoyé les maquettes il n’a pas refusé de travailler, il n’a pas rigolé, il est venu à Bruxelles mais pas dans un hôtel 4 étoiles, il mangeait des spaghettis presque tous les soirs, il sortait avec Teuk le soir. Il a eu un engagement très touchant et son impact -je le mesure maintenant- était plus grand à ce niveau-là qu’au niveau de la production proprement dite.

C’était réconfortant son avis positif?

David : Oui, c’était rassurant.

Teuk : Il était très concentré. Il écoutait 50 fois la même boucle sur deux secondes. Nous, on entendait pas la différence sur le moment, mais une heure plus tard on l’entendaitÂ…

David : C’est un travail de fourmi.

La chanson « Luv Mix » ne vous donne-t-elle pas envie de vous essayer à ce que font les 2 Many DJ’s ou Magnus, à savoir essayer quelque chose de plus ambitieux -un album- purement dance/funk?

David : (souffle) Je crois pas. Je ne sais pas. On a des goûts tellement différentsÂ…C’est pas simple comme boulot.
« Luv mix » c’est un morceau « accident », que je ne souhaitais pas nécessairement voir figurer sur l’album, et c’est Julien, notre batteur, qui tenait absolument à ce que ce titre figure dans l’album. C’était très important pour lui.

Votre album m’a fait penser à Mitsubishi Jacson.

David : Et bien merci!

King fu et son « I don’t feel good but i don’t feel that bad, I could do with but i did without » c’est ton côté existentialiste?

David : C’est la prise de conscience qu’en vieillissant tu n’as plus besoin de toucher à tes idéaux. Tu n’as pas besoin d’être sur la côte d’azur avec trois top models pour te sentir bien.

Ce sont les états d’âme du trentenaire?

David : Un peu oui.

Vous commencez véritablement à confirmer avec Sharko III un succès en Europe. Comment prenez-vous tout cela ?

David : Je ne sais pas. Nous, on a vraiment envie de jouer le plus possible, de vibrer, et forcément en live. Et plus on jouera mieux on se porteraÂ… La réussite ne passe -pour nous- que par les concerts. Là on vient de vivre une semaine vraiment bizarre : j’ai vraiment le sentiment de vivre quand c’est comme ça. Tant d’émotions te donnent le sentiment de vivreÂ…

Teuk : On vit pour ça en tant que musiciens.

David : Un exemple : si on me dit « l’album sort au Japon » , c’est bien, mais je préférerais qu’on me dise tu vas y aller pour 60 concerts. Waouh, super ! Il y a une représentation subjective comme ça, pour un musicien, que tu n’existes que si tu joues. Jouer. Exister.

Que penses-tu des autres groupes belges francophones comme Girls in Hawai et Ghinzu qui semblent, comme vous, avoir un succès international en 2004?

David : Rien de bien! (rires) Je rigole ! On est quand même surpris par l’ampleur du succès. Par le concert à L’Ancienne Belgique (en février, avec Ghinzu et Girls in Hawaï)! Des concerts on en fait depuis 98/99 et là tout d’un coup se retrouver dans des salles bourrées alors que 6 ans auparavantÂ… C’est vraiment bizarre. Je crois qu’il y a aussi une exigence qui est plus forte vis à vis de la musique qui est produite. Et qu’il y a une certaine qualité du public je suppose.

Si je vous dis que je trouve que vous sonnez plutôt flamand (c’est un compliment) que francophone, vous réagissez comment ?

David : C’est bizarre ça. Ça doit être Teuk! (-Teuk est flamand-) (ils rient tous les deux).

Y a-t-il parmi les groupes belges certains dont vous vous sentez plus proches que d’autres?

David : C’est forcément les groupes que l’on côtoie (ndlr GIH & Ghinzu) : on fait beaucoup de concerts avec eux, ce sont des gens relativement simples. C’est sûr qu’on est pas dans la même atmosphère que NovastarÂ… ou Axelle RedÂ… ou Adamo (sourire)Â…ou Maurane (rires). J’arrête.

Les groupes auxquels on vous compare si souvent : The Police, U2, Pixies, dEUS…

David : …et Beck !

Et Beck oui. Sont-ils des références?

David : Non!

Ça a le mérite d’être clair. Pourtant, sur « Bath » par exemple, on croirait entendre Bono et The EdgeÂ…

David : (surpris) Non c’est une émotion visuelle à laquelle tu dois répondre par du son.
Non, Teuk n’écoute que du Prokofiev !

A ce propos, je me disais en écoutant le disque qu’il y a comme des réminiscences de musique classique? Vous en écoutez?

David : Oui. Sur la route, on a écouté plusieurs disques de classique parce que ça fait du bien. La dynamique aussi n’est pas la même.

Teuk : Du jazz aussi.

Comme?

David : Miles Davis (regarde Teuk)

Teuk : Oui, Kind of blue. Eric Dolfy aussi.

Quelle est la prochaine étape ?

David : C’est impossible à dire. C’est un monde tellementÂ…Tu ne sais jamais vraiment où aller. Faire des concerts, on existe que par ça. Faire des concerts et faire de bonnes chansons. C’est le coeur de tout.

Votre site semble être géré de A à Z par vous-mêmesÂ…

David : Pas de a à z mais on a la possibilité de le changer.

Il y a beaucoup de vous-mêmes (je pense au journal par exemple). Cette nouvelle opportunité que donne internet de pouvoir s’exprimer directement, de groupe à public, doit spécialement vous séduire non?

David : Il y a plusieurs questions dans cette question. Il y a trois journaux, en trois langues. Le journal se veut être une remarque pertinente quotidienne, qui suit un peu les événements, et ce qui est de plus en plus impressionnant c’est le nombre de gens qui le lisent. Ce qui est bien, c’est qu’on est à un niveau où l’on n’est pas saturé par des mails et que l’on peut gérer les mails qu’on nous envoie, les réactions, on peut se permettre de faire ça. Ce que je ne veux pas, c’est les forums, où sur quinze messages un seul est intéressant. C’est plus polluant qu’autre chose. Ce n’est pas sain.
Le succès du journal vient du fait que nous sommes encore émerveillés par les choses. Si Bono faisait la même chose, il parlerait des hommes politiques qu’il rencontreÂ… il ne dirait pas tout. Chez nous c’est très humain. Nous sommes encore à un niveau où nous pouvons être touchés par ce qui nous arrive.
On m’a beaucoup parlé de ces histoires de maïsÂ… Des gens de la génération de ma mère sont très choqués par nos propos et ne comprennent pas que l’on puisse parler de choses pareilles sur un site.(rires)

Et toi Teuk, tu as aussi un site où l’on peut découvrir des dessins, des photosÂ…C’est ton hobby ?

David : Tu as ici un musée ! (en effet, nous sommes entourés de ses oeuvres)

Teuk : C’est plus qu’un hobby. Je dessine depuis plus longtemps que je ne joue la guitare en fait.

A quand tes réalisations picturales dans le livret d’un de vos CD?

David : C’est un univers tellement emprunté que ça me semble difficile.

Teuk : C’est vrai, je suis d’accord, c’est pas fait pour ça.

Quels sont vos films préférés?

David : Beaucoup ! Dernièrement, The Matchtik Men (Les moins que rien) avec Nicolas Cage. J’ai trouvé ça très touchant. Ça faisait longtemps que je n’avais plus été emballé de la sorte. Lost in translation aussi. Ça change tous les joursÂ…

(Teuk montre une k7 vidéo de Jim Jarmush (Down by law et Stranger than paradise)

Et C’est arrivé près de chez vous non ?

Les deux : Oui, bien sûr.

La rencontre avec Benoit Poelvoorde (-il est fan du groupe-) à Bourges, c’était magique?

David : C’était troublant de le rencontrer. C’est un type solaire, qui n’arrête pas une seconde, qui est comme ça tout le temps. Se retrouver au concert face à lui, c’était un peu bizarreÂ…

Quels sont vos bouquins préférés?

David : Je lis relativement peu, et ce que je lis n’est pas très intéressantÂ…

Teuk : Tu lis beaucoup de biographies de stars.

De stars?

David : Oui, Hitler, Saddam HusseinÂ… (rires)

Teuk : StalineÂ…

David : Teuk a des références très françaises. En France, sur la route une fois, avec un français, ils n’ont pas arrêté de parler de bouquins pendant 6 heures. J’étais derrière : «au-secours ». Non, moi la lectureÂ…

Teuk : T’es plutôt cinéma et moi littérature.

Question rituelle chez Pinkushion : pouvez-vous me donner vos cinq albums préférés de tous les temps ?

David : Le premier Strokes, Mike Oldfield Ommadawn), Music from Big Pink de The Band, Nevermind de Nirvana, et enfin le best of d’Abba (dont les arrangements sont tellement efficaces)

Teuk : The wall de Pink Floyd, 17 seconds de Cure, ok computer de Radiohead, Angelo Branduardi, Love Supreme de John Coltrane.

David : Et pas Prokofiev? Et t’as oublié Miles DavisÂ…

Teuk : Oui, et Joy division

David : Et Bruce Hornsby !

Teuk : Non je crois pas.(rires)

Le site de Sharko dont le fameux journal

Le site de Teuk Henri