Rencontrer les géniteurs d’ « Almost with you » et « Hotel Womb », c’est un peu un vieux rêve de gamin qui se réalise. Rien qu’à l’idée de les voir sur la scène du Glaz’art nous évoque fébrilement des souvenirs plein la tête. L’occasion est d’autant plus belle que la paroisse australienne se fait assez rare par ici : leur dernier concert en France remonte à près de quinze ans !
Confidentiel en France mais adulé en sa patrie, The Church donne l’image d’un pilier indestructible, totalisant près de vingt-cinq ans de carrière et une discographie tout aussi imposante qui a franchement fière allure (Starfish, Heyday, The Blurred Crusade…). Alors forcément, Freduti et Paul Ramone en reporters spéciaux de la pinkushion Team avaient beaucoup de choses à leur demander…


A notre surprise générale, c’est un groupe au grand complet qui se présente devant nous. On serre chaudement la main de Steve Kilbey, visiblement fatigué et fidèle à sa réputation de personnage peu bavard, sans doute timide. A l’inverse, Marty Wilson Piper est une grande gueule qui en fait parfois un peu trop mais demeure sympathique. Suivent Peter Koppes et Tim Powless, deux chics types d’une gentillesse déconcertante et toujours passionnés lorsqu’il s’agit de parler de leur motivation mutuelle : la musique.

Pinkushion : Cela fait un bout de temps que vous n’êtes pas venu jouer en France. Qu’est-ce que vous avez fait pendant tout ce temps ?

Steve Kilbey (chant, basse) : Jouer dans d’autres pays je suppose. Nous avons tourné aux Etats-Unis en 1998, 1999 et en 2004. On a fait quelques choses comme six ou sept disques entre-temps et collaboré chacun avec d’autres gens. On a aussi fait des enfants, échappé à un crash d’avion (sic !). Beaucoup de choses…

Vous tournez depuis presque 25 ans. Jamais ressenti de lassitude ?

Tous en choeur : Non !

Vivre dans un bus toute la journée, ce n’est pas quelque chose qui vous barbe à la fin ?

Steve Kilbey : Bien sûr, lui là (montrant du doigt Tim Powless), il a conduit pendant cinq heures depuis la Hollande jusqu’ici et ce soir il joue de la batterie. C’est une très grosse journée aujourd’hui, il faut régler toute la logistique technique, c’est extrêmement éreintant.

Avez-vous déjà pensé à arrêter définitivement le groupe et continuer vos carrières solo ?

Marty Wilson-Piper (guitariste, chant) : Nous faisons beaucoup de choses en parallèle au groupe. Je veux dire, nous avons tous enregistré des disques solos, produit, écrits des chansons… pourquoi ne pourrait-on pas être dans The Church aussi ?

Tim Powless (batteur et producteur): Nous voulons tout faire. Nous voulons faire nos propres choses mais aussi jouer ensemble. C’est pour cela que nous ne pouvons pas vraiment répondre à cette question, car nous avons l’espace pour pouvoir le faire et nous avons besoin de cela pour continuer. C’est comme dans une relation amoureuse.

Pourquoi n’avez-vous jamais sorti de disque live ?

Marty Wilson-Piper : Parce que nous n’en n’avons jamais été satisfaits. Notre énergie sur scène n’a pas été capturée jusqu’ici. C’est comme faire l’amour avec un hologramme.

Peter Koppes (guitare) : Pourtant nous avons essayé ! (rires)

Vous songez tout de même à sortir un dvd ou quelque chose dans le genre ?

Steve Kilbey (qui commence à loucher sur le buffet de la table d’à côté). Nous avons un témoignage vidéo en cassette, mais je suis sûr qu’un jour nous sortirons un dvd ou quelque chose dans le genre…

Tim Powless : Il faut que ce soit vraiment impressionnant, et que le concert soit exceptionnel dans sa totalité, sinon cela n’a aucune valeur.

Vous venez juste de sortir Forget Yourself votre quinzième album, quand vous regardez derrière-vous, que ressentez-vous ?

Marty Wilson Piper : Que veux-tu dire exactement ? Est-ce que nous avons peur de nous répéter ? Si c’est cela la question, je te réponds non… (silence) Mon opinion là-dessus, c’est que tu as un son et un style que tu te dois de réinventer constamment. Tu es influencé par des choses, et certaines choses que tu préfères, mais si tu essaies de faire avancer tes propres idées et d’en développer une version différente, c’est bien plus intéressant pour tout le monde. C’est ma réponse intelligente à ta question ! (rires)

Tim Powless : Nous essayons de faire des disques qui durent. Personne ne nous dit ce que nous devons faire. Il n’y a pas beaucoup de musiciens qui puissent honnêtement dire : « nous allons faire un disque qui devrait sonner comme ceci ou comme cela ». Nous faisons les disques que nous considérons bons pour le groupe, personnes d’autre ne nous dit ce qui est bon ou pas.

Marty et Steve, durant une certaine période au cours ses années 90, vous n’étiez plus que tous les deux à la barre du groupe. J’aimerai savoir ce que vous pensez avec le recul de Magician Among the Spirits et Sometime Anywhere ?

Marty Wilson Piper : C’est marrant que tu nous poses cette question, car nous avons été interviewés tout à l’heure sur tous les albums que nous avons faits et cette question est revenue sur la table. Ma réponse fut celle-ci : Lorsque Pete (Koppes) quitta le groupe, ce fut un réel désastre, une grosse partie de l’alchimie du groupe disparaissait. Nous nous sommes retrouvés Steve et moi un peu comme des soldats qui continuaient à tenir le flambeau, contre vents et marées. On a essayé de faire quelque chose de différent sur Sometime Anywhere, je trouve que nous avons fait du bon boulot, étant donné le contexte.
Magician Among the spirit fut une nouvelle étape. Tim a intégré le groupe et Pete était de retour parmi nous. La formule n’était pas encore très au point, car nous étions dans une période d’entre-deux. La chanson titre de l’album est un morceau important, très « Live » et psychédélique qui allait en quelque sorte nous guider vers notre nouvelle direction musicale. C’était une sorte d’excursion intéressante dans nos « tréfonds ». J’espère que j’ai bien répondu à ta question…

Avec Holograam of Baal on peut considérer que le groupe entamait une nouvelle direction artistique, plutôt réussie d’ailleurs.

Marty Wilson Piper : C’est indéniable, Peter était vraiment de retour dans le groupe, nous nous sommes sentis un peu comme « The Lads are back together again ! ». Ce fut un peu comme lorsque nous avons perdu notre premier batteur, il y a eu quelques années où nous nous sentions… (il sort de gros gémissements, comme pour exprimer une douleur intolérable) et puis enfin l’alchimie d’un vrai groupe était de retour. Il s’est reproduit cette sorte de connexion invisible où quatre musiciens réunis ensemble parvenaient à créer quelques chose de supérieur et bien meilleur que notre musique individuelle. Tu comprends ? Bon, je vais rester calme maintenant.

After Everything a recu d’excellentes critiques. Est-ce que cela vous a poussé à enregistrer quelque chose d’encore meilleur ?

Tim Powless : Oui, nous avons besoin de savoir si les gens comprennent ce que nous faisons. C’est important pour un groupe qui existe depuis très longtemps que les critiques soient encourageantes. Chaques fois que nous enregistrons un nouvel album, nous essayons toujours de faire encore mieux, mais nous le faisons avant tout pour nous mêmes. Nous ne faisons pas partie d’une vague, ni d’un mouvement musical « fashion ».

Justement, j’ai lu dans un webzine que The Church reflète l’esprit de la musique indie rock. Lorsque vous lisez cela, est-ce important pour vous, ou trouvez-vous cela embarrassant ?

Steve Kilbey : Ce sont juste des choses que les journalistes inventent. The Church est ceci, The Church est cela, The Church était ceci ou cela… (soupire) Nous n’avons pas de « spirit », chacun a juste envie dans le groupe de faire la musique que nous aimerions entendre. Toutes les autres choses ne comptent pas vraiment, nous sommes juste des musiciens, tout cela n’a aucun sens. Notre seul manifesto est de faire de la bonne musique.

Il y a quand même d’autres choses qui comptent dans le groupe…

Steve Kilbey : Non ! Notre seule ambition est de faire de la musique. Il y a bien sûr d’autres choses dans le groupe, mais seul la musique compte vraiment, le reste n’est pas pertinent.

Tim semble avoir beaucoup apporté au groupe en tant que producteur. Quelles sont ses qualités ?

Steve Kilbey : Il m’a appris tout ce que je savais. (rire)

Ok, mais pensez-vous qu’il ait apporté quelque chose de nouveau ?
Steve Kilbey : Indéniablement.

Tim Powless (visiblement gêné) : C’est du temps perdu tout ça (rires). J’ai commencé à faire des choses dans ce groupe un peu par défaut. Pour moi, ma contribution musicale sur les derniers albums étaient un peu limitée, car je devais en tant que producteur penser à d’autres choses. Maintenant ça va mieux, mais sur les albums précédents, j’aurai certainement pu faire des parties de batterie bien meilleures. J’aimerai bien à l’avenir réduire mon rôle de producteur afin de plus m’investir en tant que musicien. Le problème, c’est que nous nous manageons tout seul, nous faisons tout tout seul.

Steve Kilbey : C’est de l’auto-abus !

Mais c’est peut-être mieux ainsi…

Tim Powless : C’est probablement mieux pour nous, mais c’est aussi une énorme tâche car cela implique qu’il faut faire énormément de choses tous le jours.

Dans les disques de The Church, il est assez dur de reconnaître les parties de guitares de chacun, qui fait quoi exactement ?

Peter Koppes : Il n’y a pas de lead guitare chez The Church, les styles de Marty et moi se fondent ensemble. Il arrive même parfois que j’imite son jeu pour mieux coller à la composition, voire que je joue carrément sa partie.

Marty Wilson Piper : oui, exact, nous échangeons nos parties. Certaines parties de chansons que l’on retrouve sur disque ne sont pas nécessairement celles que nous jouons sur scène. Peter joue parfois mes parties de guitare sur scène parce qu’il chante et qu’elles sont trop compliquées. Pour moi c’est trop dur de faire les deux en même temps.

Peter Koppes : Autre exemple, sur « Sealine », il y a deux parties de lead-guitares que nous alternons à un certain moment. Mais je ne sais plus exactement qui fait quoi !

Il faut signaler qu’à ce stade de l’entretien, Steve a définitivement décidé de s’intéresser au couscous de la table d’à côté et s’esquive de la discussion sans ménagement, laissant les autres membres du groupe, un brin médusés. Un grand moment de solitude également pour les deux scouts de la pinkushion team.

Une question que je me pose depuis la nuit des temps : qui a inventé le riff de « Reptile » ?

Marty Wilson Piper : Tu parles de l’intro ? c’est moi ! Peter joue ensuite cette ligne géniale qui s’imbrique sur le motif du début. Et puis pour le refrain, nous faisons une sorte mixture de deux arpèges simultanément.

Peter Koppes : Cela peut prêter à surprendre, mais nous avons à la base une formation de musicien classique et je pense que cela se reflète dans notre jeu. Nous ne venons pas du blues.

Tim Powless : Dans un groupe de rock, tout le monde s’attend à ce qu’il n’y est qu’un seul guitariste lead, ce n’est pas le cas dans The Church. Il y a un énorme trou dans ce groupe car personne ne joue de rythmique à proprement parler.

Quand vous écoutez tous ces groupes qui surfent sur cette vague rock n’roll, qu’est que vous en pensez ?

Peter Koppes : Je pense qu’il y a de bons groupes, mais pour moi tout cela m’évoque davantage des enfants qui ont envie de faire comme leurs idoles. Je veux dire par là que ses groupes jouent une musique qui existait déjà il y a plus de vingt ans. Je comprends que les jeunes puissent aller voir ses nouveaux groupes sur scène, mais je connais les modèles et je les préfèrent amplement. Cela n’a aucun sens en ce qui nous concerne.

Marty Wilson Piper : Le problème, c’est que c’est assez décevant pour nous d’entendre des gens s’enflammer sur cette musique que nous savons très vieille. Un autre point aussi, cela aurait été mieux si nous, en tant que « vieilles personnes », ne comprenions pas ce que ses musiciens créent. Cela aurait été génial, vraiment. Mais nous connaissons la formule par coeur, et c’est assez frustrant de notre point de vue. Je pense que tu devrais créer quelque chose que tu ne comprennes pas. Un exemple, lorsque mon père a écouté le premier album de Roxy Music, il n’a rien pigé ! C’était totalement nouveau. Vois-tu où je veux en venir ?

Peter Koppes : Pour en revenir à tout à l’heure, je pense quand même que les Strokes ont un style original…

Marty Wilson Piper : Je ne suis pas du tout d’accord. Les Strokes sont la chose la plus ordinaire au monde. Pour moi, leur musique ressemble à The Knack. Rien d’original là-dedans.

D’un autre côté, c’est assez dur de trouver un groupe avec une longévité telle que la votre qui continue de faire une musique aventureuse.

Tim Powless : Tout à fait.

Marty Wilson Piper : Je pense que nous sommes les seuls. Quoique, les Legendary Pink Dots font toujours de la bonne musique.

Echo & the Bunnymen est toujours là également.

Marty Wilson Piper : Le problème avec le come-back d’Echo & the bunnymen, c’est qu’ils sont vraiment frivoles. Ian a une voix magnifique, mais leur musique est tellement inoffensive. Occasionnellement ils ont quelques bonnes chansons, j’aime bien « Nothing ever last forever … (il chantonne le refrain à la manière d’un crooner). Tu veux savoir ce que je pense de ce groupe ? Ils ne travaillent pas assez dur. Will Sergeant est un guitariste tellement brillant, ils ont un tel potentiel tous les deux. S’ils travaillaient aussi dur que nous le faisons, ils seraient fantastiques.

Lorsque vous écoutez vos premiers albums, y a-t-il des choses que vous changeriez si vous aviez à le refaire ?

Marty Wilson Piper : Je ne le vois pas de cette manière… ça ne nous intéresse pas de regarder derrière nous. Et de toute manière, comment pourrais-tu ? C’était il y a 22 ans…

Peter Koppes : nous jouons assez peu de morceaux des débuts. Ce sont des compositions très naïves, tu comprends, on aurait presque l’impression de retourner à l’école si nous les jouions.

Marty Wilson Piper : Tu ne peux pas faire que des choses basées sur ton expérience passée. Et tu ne peux pas juger non plus le passé, parce que tu es une personne différente maintenant.

Vous ne jouez donc plus de vieux morceaux sur scène ?

Peter Koppes : Si, nous jouons un ou deux morceaux sur scène comme « You Took » sur notre second album (The Blurred Crusade), c’est un peu dans la veine « progressif » .

Tim Powless : Personne ne sait ce que nous allons faire. Beaucoup de groupes qui arrivent à notre stade décident soit de se séparer, soient de vivre sur leur passé. Si nous voulons avant tout jouer notre nouvel album – et c’est ce que nous faisons – tu ne peux pas non plus jouer deux heures sur scène, il te faut alors faire une sélection drastique du reste. Peut-être que la prochaine fois ce sera différent…

Que sera le futur pour The Church ? Il y a-t-il des choses qu’il vous reste à accomplir ou des ambitions ?

Marty Wilson Piper : Quand tu poses une question comme ça, je ne suis pas sûr que tu comprennes comment nous envisageons la musique. Nous ne voulons pas être ambitieux, nous préférons aller au plus profond de nous-même pour faire grandir ce qu’il y a en nous et à l’intérieur du groupe.

Hum… Attendez, c’est pas ce que nous voulions dire. Y a-t-il encore des rêves à parcourir, des choses que vous n’avez pas encore entrepris et qui vous tiennent à coeur…

Marty Wilson Piper : Oui, mais tu parles d’un concept vraiment marrant : l’ambition et la réussite. Tout cela ne compte pas. Qui se soucie de ce que nous réussissons ? Qui se soucie de ce que nous pensons ou si nous sommes célèbres ? Qui ? Faire de la musique, c’est ce que nous aimons, et quand nous jouons ensemble et aboutissons à une idée que nous trouvons terrible, c’est génial, mais cela ne dure que 10 minutes et nous passons à autre chose.
Pour moi, l’ambition rime avec monnaie, je trouve que c’est un mot sale. Je serai un putain de banquier si j’étais ambitieux ! Ce qui n’est pas le cas. Et nous ne sommes pas des sportifs, non plus. Nous ne sommes pas là pour gagner.

Tim Powless : Nous ne vendons pas beaucoup d’albums et de toute façon ce n’est pas le but. Nous passons plus de temps en studio.

Combien d’albums vendez-vous en Australie, si ce n’est pas indiscret ?

Tim Powless : Devine…

Je sais pas, environ 6000 ?

Tim Powless : Moins.

Peter Koppes : Le dernier album s’est vendu à travers le monde quelque chose comme 30 000 exemplaires.

Marty Wilson Piper : Ne ne sommes pas de gros vendeurs. Nous devons avoir quelque chose comme entre 200 et 700 personnes dans le monde qui nous aiment vraiment et achètent régulièrement nos albums.

Et bien nous en faisons partie, en tout cas! Merci beaucoup.

The Church : Merci à vous deux.

The Church, Forget Yourself (Coocking Vinyl)

-Le site officiel de The Church

-Notre Chronique de Forget Yourself