Producteur et remixeur pour d’Otto ou Morcheeba, Bruno E explore depuis presque dix ans les facettes de la musique électronique en l’embarquant vers les confins du jazz et des rythmes NuJazz brésiliens.


Alors que Caetano Veloso, Arto Lindsay et Vinicius Cantuária sortent leur nouvel album la même semaine, un autre brésilien moins connu du grand public suscite un intérêt grandissant. Grâce à ces ambassadeurs, les musiques traditionnelles populaires brésiliennes ont parcouru le monde faisant danser des milliers de couples sur ces rythmes afro-brésiliens entre bossa-nova et samba. Pourtant il serait réducteur de limiter la culture musicale du Brésil seulement à ces genres. Il suffit de s’intéresser de près à cette scène pour y déceler une diversité de productions. On pourra se tourner du côté des fondateurs du mouvement « le Tropicalisme » (Tom Ze, Gilberto Gil, Veloso…) pour avoir ouvert une brèche dans la musique de leur pays en y incorporant des influences venant des quatres coins du monde. Bienfaiteurs quant à l’éclosion de nouveaux styles, ces trublions ont su décomplexer et donner des ailes à des musiciens alors marginalisés. Sans ces éclaireurs, combien de Lenine, Arto Lindsay, Ed Motta, Carlinhos Brown, Marcos Valle, Wagner Pá, Márcio Faraco (…) se seraient battus convaincus que leur démarche artistique allait aboutir un jour et sont devenus aujourd’hui des références pour toute une jeune génération.

Bruno E fait partie de cette vague de jeunes talents qui a amené à considérer la musique électronique comme un genre à part entière dans un pays où les traditions sont bien encrées. En 1997, il fonde le label Samba Loco (une division de Trama) permettant ainsi à de nombreux DJ en herbe de bénéficier d’une structure pour sortir leurs disques. Ainsi, Murky, Patife, XRS Land ou encore Drumagick se sont retrouvés chez Samba Loco pour éditer leurs grooves drum’n bass.

Pionnier de l’électro au Brésil, Bruno E ne se repose pas pour autant sur les dividendes de ses sorties. Partant du constat que la scène NuJazz n’est pas assez représentée dans son pays, il crée un label dédié à ce courant musical, Nova Vida Records, qui depuis a rassemblé un vecteur important d’électrons libres (Patricia Marx, Anderson Soares, Madzoo). Sans avoir l’âme d’un entrepreneur, notre DJ est une sorte de fédérateur autour de la musique électronique donnant l’opportunité à de nouveaux groupes d’occuper le terrain discographique.

A côté de son travail de défricheur de talents, Bruno E ne délaisse pas pour autant sa musique. Il la conçoit comme une perpétuelle avancée. Sa dernière création en date est un projet signé sous le nom de O Discurso qui laisse entrevoir un dialogue entre percussions et rythmes traditionnels du Nordeste. La tête tournée vers les nouvelles connexions liées aux musiques électroniques, après s’être consacré au hip hop et la soul, le brésilien explore désormais une nouvelle piste, le jazz. Comparable dans son approche, aussi bien instinctive qu’intellectuelle, le jazz se situe au centre des préoccupations de nombre de DJ aujourd’hui. Au confluent de l’improvisation et des rencontres, le jazz comme la musique électronique se conçoivent à travers des collaborations. Toujours avides de nouveaux sons riches en texture et matières organiques, les deux scènes ont en commun les expériences artistiques.

Ainsi, le nouvel album de Bruno E, Lovely Arthur, se place dans cette droite lignée d’explorations musicales entre les productions de Trilok Gurtu et Enrico Rava. En plus de ce travail sonore, Lovely Arthur est imprégné de spiritualisme. Devenu adepte du bouddhisme, notre compositeur s’est inspiré de cette nouvelle direction dans sa vie pour incorporer dans sa musique ses impulsions philosophiques et morales. Ce nouveau mode de pensée a exercé une action profonde sur des titres comme « Dado », « Free Tibet » ou « Esperança » qui en quelque sorte deviennent des reflets entre l’esprit et la matière sonore. Il se dégage de ces chansons une fluidité propre au don de soi, une sorte de libération de la personne qui au rythme des beats drum’n bass nous fait atteindre le nirvana. En empruntant à cette doctrine une conception de vie, son nouvel opus est une ode à l’amour (« Cariño » écrit pour sa femme, la chanteuse Patricia Marx), à la célébration de la vie (« Lovely Arthur » composé pour son nouveau-né).

Dans la droite lignée du courant musical NuJazz, Bruno E invente un langage et une nouvelle façon d’appréhender sa musique. Ainsi, il se rapproche de certains de ses compatriotes Raoul De Souza, Otto ou Paulo Moura, pour qui la musique est avant tout une ouverture sur le monde, conçu comme un rêve sans brides. Un rêve porteur de pensées mystiques, d’idées et de formes musicales abondantes qu’une seule nuit de sommeil ne suffit pas à envahir l’esprit.

-Le site de Trama Records