Véritable anomalie culturelle, ce jeune guitariste solitaire envoûte le temps de 16 compositions parfaites, brassant près de 70 ans d’histoire du rock, folk et blues. Des frissons pareils, vous n’en n’aurez pas beaucoup de cette trempe cette année.


Par un dimanche après-midi pluvieux, vous décidez de partir en expédition dans le grenier familial, à la recherche du vieux gilet Adidas de tonton André, redevenu furieusement tendance depuis le remake de Starsky & Hutch. En plein milieu de cette caverne d’Ali-baba où cohabitent poussières, rats et toiles d’araignées, trône au milieu de la pièce un mystérieux coffre doré. Après avoir forcé le cadenas rouillé depuis près d’un demi-siècle, vous faites une découverte cruciale : quelques vinyles 78 tours d’un autre temps. Parmi ces trésors, un blues/folk man improbable, seul avec sa guitare, vous terrasse par la pureté de ses enregistrements. Vous venez d’avoir une petite idée de ce que l’on ressent à l’écoute du second album du prodigieux Devendra Banhart.

A seulement 22 ans, ce jeune américain élevé à la mode troubadour semble avoir déjà atteint une maturité digne d’un moine tibétain et fait figure de délicieuse anomalie dans le paysage musical actuel. Remarqué en 2001 alors qu’il n’était qu’un clochard par Michael Gira (chanteur des Swans et également patron de Young Records), l’homme est subjugué par la beauté rêche de ses démos, enregistrées de manière rudimentaire sur un microphone. Le jeune musicien, derrière une allure toute droit sortie de la comédie musicale Hair (sa maigreur accentuée par sa barbe et ses cheveux longs aurait facilement pu concurrencer Tom Hanks lors du casting de Seul au monde), semble vouer une passion immodérée pour le vieux mythe des années folles, le blues rudimentaire et le folk celtique. Ce jeune là aurait du naître 70 ans plus tôt, mais forcément, on se dit qu’il n’aurait pas pu tout catalyser aussi parfaitement tous les styles qu’il affectionne.

Seul avec sa guitare en nylon, Banhart invente une poésie en marge, usant de sa palette vocale assez large, passant des trémolos à la Leadbelly vers une voix grave et lugubre, puis redevenant vertigineusement haut-perchée la seconde d’après. Avec des mélodies simples ne dépassant jamais plus de 2 minutes 30, Banhart change de style avec une aisance déconcertante, une telle facilité qui peut même paraître insolente : le fantomatique « A Sight to Behold » et ses violons brumeux n’a rien à envier à Sixteen Horsepower par exemple. Sur la plage suivante, « The Bodyes Break » assène une humeur à l’opposé, plus légère et tout aussi additive. Plus loin, « Todos los Dolores » et ses paroles hispanisantes ont des allures de berceuse.

Doté d’une virtuosité guitaristique confondante, Banhart assène des arpèges d’une rapidité parfois surprenante (« Poughkeepsie »), toujours au service de mélodies – limite tarabiscotées- mais fluides. Très éclectique malgré la pauvreté des moyens employés, l’art consiste ici à ne jamais s’enfermer dans un carcan musical propre. Le jeune prodige est un énorme catalyseur d’influences qui centralise tout sur son instrument de bois et ses cordes : tel un caméléon, il devient le Robert Johnson du XXIeme siècle sur « When the Sun Shone on Vetiver ». Par moments, quelques relents de vieux chants traditionnels folk reprennent le dessus sur « Will Is My Friend », tandis que « Fall » possède même une dynamique tribale. La dernière plage, « Automn’Child », poignante ballade au piano laisse présager de nouvelles perspectives d’avenir des plus prometteuses.

A vrai dire, malgré le peu d’arrangements utilisés sur Rejoicing In The Hands, les chansons n’ont pas vraiment besoin de ce genre d’artifices. Il faut voir Banhart seul sur scène ou en duo, hypnotiser son audience, feignant quelques grimaces, histoire de forcer le ton de ses chansons, pour comprendre que sa musique possède une réelle âme, une très belle âme même.

Rejoicing In The Hands est le deuxième album de Devenda Branhart. Un troisième serait déjà prêt, intitulé Nino Rojo, et devrait suivre en septembre. Si la prochaine livraison est du même calibre que celle-ci, il y a de fortes chances que ce singulier jeune talent rentre dans le carré d’élite des nouveaux prêcheurs folks solitaires que sont Six Organs of Admittance, Iron & Wine et Woven Hand.

-Tout sur Devandra Banhart ici

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