Disque brûlant, Funeral se consume devant nous, détenteur d’une mélancolie funèbre et portée à fleur de peau par une fièvre rock flamboyante. En avant pour le décollage.


Il y a certains disques que l’on s’accapare avec une passion dévorante, le genre à vous obséder dès la première écoute et dont on sait d’entrée qu’on a affaire à quelque chose de sérieux, d’écrasant même. Funeral, des canadiens The Arcade Fire est de ce tonneau.

J’avais promis de mettre en veilleuse ma plume (où plutôt mon clavier) pendant les fêtes, mais découvert sur le tard, l’objet ici est tellement monstrueux qu’il fallait que je le clame haut et fort. On n’avait pas entendu pareil testament rock depuis The Texas/Jerusalem Crossroad des mystiques Lift To Experience. Et tout comme son prédécesseur, sur The Funeral il est question ici de trépas, perte d’innocence sur fond de théâtralité.

Généralement, une telle intensité découle d’une idée forte (le concept biblique du jugement dernier sur The Texas Jerusalem Crossroad) ou bien puise dans les tourments personnels de ces songwriters lumineux, que sont Jeffrey Lee Pierce, Jeff Buckley, Nick Drake, Elliott Smith… (liste mortuaire par excellence)

Quintet basé à Montréal, The Arcade Fire se concentre autour du couple Win Butler et Régine Chassagne. Funeral porte son nom suite aux décès consécutifs en 2003 de quatre parents proches de Win et Régine. Une année riche en évènements puisque le couple a également décidé de se marier au bon milieu de cette tempête. Cette succession de drames et bonheurs a directement influé sur le contenu de ce premier album funèbre.

Vous le devinez, The Arcade Fire fait une musique grandiloquente, un rock frontal, limite épique, conduit par des arrangements de cordes flamboyants. On pense souvent aux classieux The Auteurs de Luke Haines, mais dont la machine se serait emballée, propulsée par les arrangements tortueux des apôtres du label Constellation (le disque bénéficie d’ailleurs de la participation de membres de GYBE!).

Funeral n’est pas vraiment un album concept mais suit pour une partie ce cheminement : cela débute avec une pièce de quatre actes (chansons) intitulée “Neighborhood”, narrant l’histoire d’amour de deux adolescents confrontés brutalement à la mort de leurs parents, résonnant évidemment en écho aux événements intimes des musiciens. Il en découle de ce drame une introspection poignante teintée de culpabilité et de résignation. Le thème est récurrent tout au long de disque : un regard autour du passage vers la perte de l’être cher d’où résulte une autre perte, celle de l’innocence et le temps des désillusions. Les paroles déchirantes du symphonique “Wake Up” pourraient synthétiser ce tableau à merveille :

« Someone told me not to cry, Now that I’m older, my heart colder, and I can see that it’s a lie ». (trad : quelqu’un m’a dit de ne pas pleurer, mais maintenant que je suis vieux, mon coeur refroidit, je peux voir que c’est un mensonge).

Au milieu de cette tragédie Sheakespearienne, on en oublierait presque la musique. Très harmonique, celle de The Arcade Fire dévoile un talent de composition porté vers l’épique, mais qui n’aime pas tomber non plus dans la facilité et se plait à surprendre son monde en injectant quelques touches d’exotisme au milieu de cette tragédie rock. A l’instar d’ “Une année sans lumière”, qui démarre comme une ballade tamisée et se joue d’accélérations en cours de route, pour finalement prendre son envol ver les cieux. Ou encore “Crown of Love”, qui démarre de la même manière, puis prend soudainement une autre route sur la fin, jonglant sur un beat limite disco au beau milieu d’arrangements de cordes. La part d’ombre est omniprésente et certain titres comme le vengeur “Neighbourhood #3 (Power Out)”, qui feraient trembler d’effroi Interpol himself.

Autre crève-coeur, le dernier chapitre “Neighbourhood #4 (7 Kettles)” au parfum de fin de route introspectif, aurait fait des merveillles porté à bout de bras par le Man in Black, feu Johnny Cash. Mais il faut dire aussi que la voix emportée de Win Butler se débrouille pas mal non plus et est capable d’une dévotion rare. Toujours sur la brèche, ce gaillard à fleur de peau, savant mélange de Ziggy Stardust et Jonathan Denahue, est tempéré par les choeurs de sa bien-aimée Régine, qui peut se révéler tout aussi écorchée, comme en atteste le clôtural “In the Back Seat”. Mais lorsque les deux moitiés fusionnent, comme sur le brûlant “Rebellion (Lies)”, porteur d’une tension explosive, on se dit que la perfection est peut-être bien de ce monde.

Souvent sombre et désespérée, la grandiloquence écorchée de The Arcade Fire laisse pourtant une note d’espoir et se pose comme une main fraternelle sur notre épaule. Tout n’est pas perdu donc. Ce disque est béni des dieux. Note pour ce soir, penser à faire une petite prière pour The Arcade Fire.