Entouré de garçons aussi talentueux les uns que les autres, (Lou Reed, Rufus Wainwright, Devendra Banhart, Boy George) on découvre sur le deuxième album du new-yorkais Antony des chansons taillées dans l’écrin soyeux réservé au meilleur de la pop.
Frère d’armes de Danielson, Damien Jurado, Jens Lekman ou encore June Panic au sein de l’écurie Secretly Canadian, Antony & The Johnsons se sont fait connaître alors qu’ils partageaient l’affiche avec Current 93 lors d’une tournée aux Etats-Unis en 2000. Puis Antony fut révélé à un public plus large en prêtant sa voix sur l’album de Lou Reed The Raven and Animal Serenade, le suivant dans la foulée sur les routes du monde durant l’année 2003.
Leur premier album Antonyandthejohnsons nous avait paru plaisant sans trop nous emballer réellement. Pourtant, dès ce premier opus, tout l’univers d’Antony y était injecté, un timbre de voix emprunté aux divas de cabaret, son goût pour les arrangements sophistiqués de cordes et de cuivres et un thème récurrent pour l’androgynéité, le tout bercé dans une ambiance sombre. Aussi, plongé dans cette issue fatale on avait plus envie de fuir que de s’y approcher.
En prêtant une oreille attentive à I Am A Bird Now, on découvre une richesse de sons et de mélodies qu’on n’avait pas perçu ou su remarquer dans son prédécesseur. Plus abouti musicalement, ce deuxième opus chérit les mêmes idées noires si précieuses à son auteur mais sans pour autant ouvrir en grand les volets, aère ses chansons et sort peu à peu de son isolement. Pour ceux qui aimeraient se faire de nouveaux amis, friands d’arrangements de cordes et de cuivres à la fois subtils et soignés et qui sont abonnés aux histoires du type Middlesex ou Tiresias, ce disque est pour vous. Ajoutons aussi que si vous êtes réticents à la pop romantique et mélancolique ou lecteurs assidus de Loaded, ce genre de symphonie ne vous touchera pas.
A l’écoute de cet album, on comprend pourquoi Hermaphrodite refusa d’aimer la nymphe Salmacis, on voit les hommes se découvrir entre désespoir, prisonniers de leur propre sort entre quatre murs, et beauté charnelle, les femmes séduisantes sur leur lit de mort. I am a bird now comme son prédécesseur Antonyandthejohnsons ne tient pas un propos particulièrement gai mais n’est pas non plus tourné vers une neurasthénie totale. Passée l’image de sa pochette noire, on entre dans un monde certes peu amène aux sifflements joyeux mais où les masques tombent, où l’on fait face à une réalité estimée : you are my sister and I love you may all of your dreams come true chante Antony sur « You are my sister ».
Ici on ne cache pas ses faiblesses ou ses larmes derrière une virilité feinte, les hommes se maquillent et admettent leur part de féminité, les femmes se révèlent mystérieuses, attirantes même dans la souffrance. Antony porte un regard sombre sur son entourage, l’amour et la mort sont confondues et deviennent la seule fuite possible pour s’évader de sa funeste condition.
Et un propos aussi poignant ne peut être mis en valeur qu’à travers une musique sensible. Ainsi, le piano, les violons et violoncelle s’en donnent à cœur joie pour rendre l’atmosphère du disque mélancolique. Derrière chaque mélodie se détache une certaine sensualité androgyne due à la finesse des compositions et la voix soprano du chanteur, aux intonations proches de celles de Bryan Ferry ou de Chet Baker. Et puis lorsque celle-ci se mélange à celles des invités, les chansons sont de toute beauté. Ainsi sur « You are my sister », Boy George illumine la chanson pour un duo de velours avec Antony. Et des moments d’harmonie et d’éclat comme celui-ci, l’album en regorge. Collaborant aussi bien avec son mentor Lou Reed (« Fistfull of love »), que les fées libres Cocorosie ou les troubadours Rufus Wainwright et Devendra Banhart (« Spiralling »), c’est tout l’esprit du greenwich village qui se dégage de ce disque.
Tant de poésie et de grâce sont réunies dans ces dix compositions qu’il faut être insensible à toute émotion pour ne pas succomber à leurs charmes. Passé le côté sombre et triste que renvoie le disque, I am a bird now est avant tout un chant d’espoir permettant à ses protagonistes de gagner leur liberté même si le prix à payer est la mort. Les chansons « Free at last » et « Bird girl » en sont de parfaits exemples. Ainsi même lorsque la résignation se fait présente, (when she’s calling my name she’s crying mama help me to live) chante Rufus Wainwright sur « What can I do? », le cri du coeur se fait entendre. Derrière ce sentiment de détresse jaillit le plaisir que procure l’amour (Give me a fistfull of love).
Mis en avant par une écriture pop raffinée, on redécouvre un auteur sincère et doté de talent. Et avant qu’il ne quitte le navire, les démons de la dépression n’étant jamais très loin, on a envie d’ouvrir les fenêtres et de crier au monde que cet album est tout simplement beau.
-Le site de Antony and the Johnsons