Le premier coup de coeur de l’année vient d’un français. Happiness construit avec nous des bonhommes de neige islandais autour de la plate-forme d’OK Computer. Encore un qui porte bien son nom.
C’était durant un hiver en 2002. La santé n’était pas au beau fixe, et ma tête me causait quelques tourments d’ordre professionnel et moral. Je me souviens parfaitement de ce lundi matin, à la sortie du métro place d’Italie, un rendez-vous de galère professionnel deux stations plus loin. Je me décidais à marcher un peu. Les nuages dégagés, le ciel clair laissait souffler une brise glaciale, celle à laquelle on ne se fait jamais en tout bon provincial expatrié sur Paris. En descendant l’avenue des Gobelins avec des questions existentielles plein la tête et mon casque de discman en guise de cache-oreille, une nouvelle lecture s’enclenchait, c’était l’album gris () de Sigur Ros.
Et tout bascula soudainement : une impression de flottement m’envahit, je marchais au ralenti, les larmes me montaient au yeux sans vraiment savoir pourquoi, si ce n’est que j’étais complètement focalisé sur cette musique qui semblait multiplier par mille le moindre de mes sentiments. La beauté de cette musique m’avait bouleversé. En état de confusion total, je décidais finalement de rebrousser chemin face à mon bourreau.
Ce souffle glacial m’est réapparu comme par enchantement durant l’écoute d’Happiness, premier album de Sébastien Schuller. Un choc : comment un percussionniste de formation peut-il accoucher d’une si jolie collection de berceuses éthérées ? Cela demeure un mystère. Ce disque d’ailleurs est un mystère. Ce jeune trentenaire parisien ne nous était pourtant pas inconnu, on l’avait déjà rencontré il y a deux ans autour d’une chanson cotonneuse “Weeping Willow”. Le potentiel était déjà là, mais les démêlés contractuels avaient eu raison de notre attente.
Premier album miraculeux, Happiness vous enveloppe comme une large couche de neige, celle que l’on retrouve dans le John Mc Cabe d’Altman, silencieuse et mystérieuse, ce phénomène naturel devenu personnage intégrant à la trame du film. Musicalement, derrière de si jolis flocons de neige planent les desseins d’OK Computer et l’Islande nébuleuse de Sigur Ros. C’est dire la beauté de la chose. On sent le travail méticuleux derrière ce « bonheur » opale, parfait balancement entre chansons atmosphériques et instrumentaux nuageux : un piano délicat et omniprésent, quelques éléments electro jamais violents, et puis cette voix hantée. Pour arriver à une telle somme, on imagine Schuller écouter en boucle “Street Spirit” (le fantomatique « Where We Had Never Gone”) afin de s’imprégner de cette atmosphère si particulière.
Bien souvent au détour de ses couloirs blancs règne une sorte de balais crépusculaire et hypnotique qui vous plonge dans un état semi-comateux. Ces petites mélodies en cristal ensorcellent et finissent par vous rattraper tel une boule de neige (“Wolf”), “Sleeping Song”. “Ride Along the Cliff”, unique chanson pop, possède une couleur psychédélique rappelant ses camarades Airiens. On est également frappé par l’homogénéité, malgré l’écart de deux ans qui sépare certains titres, Happiness ne pourrait faire qu’un. “Tears Coming Home” s’abat sur vous et on n’entend que cette phrase qui se répète à l’infini, « Too many Tears… », la pluie tombe alors sur nous. “Donkey Boy” autre chanson Amnesi(a)que, fascine par sa marche lente et voluptueuse.
Cela se conclue avec “Le dernier Jour”, unique chanson ironiquement titrée en français, une jolie promenade instrumentale où le Pink Floyd cotonneux de Wish You Were Here pointe le bout de son nez. On est sur un nuage, et on ne veut plus en redescendre.
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-Le site officiel de Sébastien Schuller