Folksinger d’une justesse incomparable, Matt Ward nous donne des leçons d’histoire tout en développant sa propre dramaturgie. Une onde à l’étendue universelle.


En ce début d’année 2005, les menuisiers de la mélodie les plus valeureux semblent se bousculer au portillon pour sortir leur dernier bébé. Après Six Organs of Admittance, Jason Molina, Lazarus et le souvenir ému toujours très présent du passage d’Hayden sur la scène de la Java, c’est au tour de M. Ward de passer nous dire un petit bonjour. Et dieu sait que nous avons toujours un couvert de prêt pour accueillir cet homme de goût à notre table.

Brasseur érudit de country, folk, blues et rock, ce jeune trentenaire originaire de Portland fait partie de ces musiciens précieux, hors du temps, qui en l’espace de trois albums nous ont apporté une sacrée charge de bois pour maintenir la flamme de notre cheminée folk en vue des prochains temps rudes. Savant artisan, respectueux de ses aînés, l’univers musical de ce grand monsieur sonne pourtant prodigieusement intimiste, toujours teinté d’une approche lo-fi chaleureuse. Tellement chaleureuse à vrai dire que face à des jeunes coudes comme Bright Eyes ou Devendra Banhart (qui tous deux le vénèrent à l’extrême), sa musique paraît d’une maturité tout bonnement insultante.

Transistor radio, son quatrième album solo, (second chez Matador), deux ans après le monumental Transfiguration of Vincent, laisse pantois. Ce n’est plus un caillou jeté dans la mare, mais plutôt un pavé, non, un rocher. De ses débuts entre country/rock alternative et tradition puriste sur le déjà solide Duet for Guitars #2 (2000), il ne reste pratiquement plus que la deuxième option, la musique de Matt Ward vieillissant à une allure prodigieuse. Concevant ses disques dans la tradition des vinyles 33 tours (deux faces équitablement réparties), ces disques sont de grands hommages à directions variables.
Entre blues crépusculaire (“Four Hours in Washington”), blues aux allures quinquagénaires (“Big Boat”), bleuette country (“Radio Campaign”), ou ballade folk indémodable (“I’ll Be Yr Bird”), Transistor radio est une véritable antenne analogique capable de capter des signaux vieux de plus de 70 ans.

A côté de ses propres compositions l’homme produit un fil conducteur en insufflant une sélection éclectique de quatre standards, revisités avec brio (on se remémore d’ailleurs sur le disque précédent sa version fragile et aux antipodes du “Let’s Dance” de Bowie).

Comment ne pas tomber amoureux de ce disque dès son premier jet aux allures de Guet-Apens : une relecture instrumentale de l’intemporel “You Still believe In Me”, l’une des plus belles chansons des Beach Boys, qui nous laisse sans voix (sans jeu de mot). Méconnaissable dans un premier temps, la six-corde de Ward s’approprie la trame mélodique du morceau et parvient à redévelopper une nouvelle dramaturgie. Des frissons nous envahissent le corps, et le plus incroyable, c’est que ça ne fait que commencer : “Sweetheart on Parade”, vieux standard jazzy des années 30 popularisé par Louis Armstrong, prend ici des allures en lévitation, la voix de M. Ward empruntant beaucoup les intonations du trompettiste noir. Que dire aussi lorsque ce fascinant guitariste s’attaque à la Carter Family (“Oh take me Back”) ou une composition classique de J.S Bach en guise d’épilogue, c’est toujours un sans faute.

On n’oubliera pas de mentionner que la liste d’invités est longue et mémorable et que ce consortium prestigieux n’entache en rien la qualité du disque : Jim James (My Morning Jacket) , Jenny Lewis (Rilo Kiley, Postal Service), Howe Gelb, John Parish , Rachel Blumberg (The Decemberists), Vic Chesnutt, Jordan Hudson (The Thermals)… et d’autres amis anonymes. Alors que dans la plupart de ces disques cérémoniaux, leur degré d’implication souvent limité (faute de temps) laisse quelques séquelles, ici tout le monde ne pense qu’à rendre justice à ses compositions fragiles et sans pareil.

Tout comme Sam Beam, Hayden, Ben Chasny, Sufjan Stevens, Matt Ward et ses amis sont les nouveaux dignes représentants de la folk/country alternative. Ce sont les John Martyn, Richard Thompson ou Berth Jansch de notre temps, visionnaires et assez malins pour ne pas tomber dans les caricatures des genres. Des valeurs sûres, incroyablement méconnues, qui construisent une carrière basée sur la valeur du temps.

-Cette petite perle est en écoute
-Le site de M. Ward sur Matador