Matt Ward est timide et peu loquace en interview. Il parle sur un ton très calme et vous renvoie les questions comme si son avis ne comptait pas plus que le votre, et en fin de compte vous vous surprenez à répondre à sa place aux questions posées. Sa musique parle pour lui, semble-t-il nous dire sans qu’il ait à développer plus.


Sur ses nombreuses collaborations, il restera laconique, ne trouvant rien d’exceptionnel dans la présence d’invités de premier choix sur son dernier album Transistor Radio : Vic Chesnutt, Howe Gelb (Giant Sand), John Parish, Jim James (My Morning Jacket), Jenny Lewis (Postal Service), Rachel Blumberg (The Decemberists), Jordan Hudson (The Thermals). C’est comme si vous invitiez des amis et que vous tapiez le bœuf rien de plus, si ce n’est qu’eux s’enregistrent.

En cette période de noël 2004, Matt Ward recherche un appareil photo pour un cadeau. Arpentant les rues de Paris, il nous emmène dans des magasins pour trouver son bonheur. On découvrira alors un garçon étonnant par sa simplicité, chaleureux et vivant qui même avec une certaine retenue se livre plus facilement qu’en entretien. Son avion l’attendant pour Hambourg, avant de partir il nous promet de revenir en France en début d’année 2005 pour des sets acoustiques. Choses promises choses dues, il se produisait sur la scène de La Guinguette Pirate à Paris le 16 février dernier. Aux dernières nouvelles, on ne sait toujours pas s’il a trouvé un appareil photo!

Pinkushion : Tu sembles être très productif. En quatre ans tu as sorti quatre albums et des apparitions pour diverses compilations!

Matt Ward: L’écriture m’est facile mais écrire de bonnes chansons est une discipline plus laborieuse. En fait, je ne sais pas trop d’où me viennent les idées pour composer et je préfère d’ailleurs ne pas y penser. Transistor Radio a pris deux ans pour être réalisé. A l’époque de Transfiguration of Vincent, j’avais déjà des titres enregistrés mais qui ne me semblaient pas correspondre à l’ambiance du disque. Un album peut se faire assez rapidement, l’enregistrer un peu plus, tout dépend dans quel contexte physique, moral ou financier tu te trouves. Et puis si les chansons ne te satisfont pas, tu peux les parfaire pendant des années. Par moment, je pense aux Beatles qui sortaient deux albums dans la même année et je me dis qu’à cette époque les gens osaient plus que maintenant. La plupart des musiciens font un disque tous les trois ou quatre ans, je suppose qu’en France il en est de même, alors lorsqu’on en sort tous les ans ça semble extraordinaire.

Pinkushion : Comment as-tu envisagé l’enregistrement de Transistor Radio par rapport à tes précédents?

Matt Ward : J’utilise une manière identique pour tous mes disques. J’écris depuis l’âge de seize ans et qu’une mélodie me vienne tout de suite ou qu’elle ait été enregistrée lorsque j’avais vingt ans émane du même processus. J’essaie de regrouper les morceaux que j’écris par ambiance, ou par thèmes, qu’ils soient liés entre eux. Pour mon dernier disque, la plupart des chansons parlent de radio. Dans « Fuel For Fire », je chante It’s always the same song, car quelque soit l’ambiance, tu recrées plus ou moins toujours la même chanson, avec des idées différentes. Mais l’approche reste la même, de l’écriture à la production. J’ai produit mes quatre albums solo et à chaque fois j’apporte la même touche, j’essaie de faire sonner les chansons le plus juste possible, sans avoir des arrangements sophistiqués, que ça reste simple et clair.

copyright Andy Sewell/Matador

Pinkushion : ton album précédent Transfiguration of Vincent traitait de la perte, de la séparation, quand est-il de Transistor Radio ?

Matt Ward : Transistor Radio parle du déclin de la radio. Il s’agit toujours de perte mais plus matériel. Les stations radio ont été anéanties par les corporations qui les obligent à suivre et appliquer le même modèle. Il y a plusieurs années, les dj diffusaient la musique qu’ils aimaient. Aujourd’hui, cet engouement, cet enthousiasme pour la musique a disparu. Sur toutes les stations tu écoutes la même musique, les animateurs utilisent tous le même ton, la programmation tourne autour des mêmes artistes déjà installés dans le milieu, les publicités sont les mêmes partout. (ndlr- Long Silence, Matt Ward reprend l’air dépité)
L’album parle de moi lorsque j’avais onze, douze ans et que je découvrais des stations de radio qui émettaient des musiques originales et surtout de la passion. Cette écoute fut déterminante dans mon éveil musical. Aujourd’hui, je n’ai plus la même sensation lorsque je parcours la bande FM.

Pinkushion : Est-ce que tes goûts musicaux t’ont été dictés par ce que tu entendais à la maison?

Matt Ward : Dans un sens oui… et non. Ma mère adore le classique, mon père la country, mes deux frères et deux sœurs écoutent du classique et du rock. Donc j’ai été bercé par beaucoup de styles musicaux différents.

Pinkushion : Tu es le seul à jouer de la musique chez toi?

Matt Ward : Une de mes sœurs joue du piano mais je suis le seul de ma famille à avoir pris cette voie. Il n’y a pas vraiment eu de déclic. Mes parents m’ont donné le goût d’écouter la radio et d’apprécier les sons qui en sortaient. Je reproduisais certains morceaux sur la guitare de mon frère qui d’ailleurs n’en a jamais joué, et j’en suis là maintenant.

Pinkushion : A t’entendre parler, on te sent assez calme, discret, tu n’extériorise pas tes émotions. Ressens-tu le besoin d’écrire pour exprimer cette retenue?

Matt Ward : (ndlr – Matt Ward très hésitant et réfléchit longuement) Je n’ai pas d’humeur particulière lorsque je compose, comme tout le monde par moment je suis triste puis gai. Je puise mon inspiration plus sur des événements extérieurs que de mon comportement. Je peux être influencé par des vieux disques, des chansons d’autres musiciens. La musique des autres me stimule beaucoup, en tout cas plus que mes humeurs.

Pinkushion : Est-ce la raison principale pour laquelle tu multiplie les collaborations avec d’autres musiciens?

Matt Ward : En effet, je suis heureux d’appartenir à une communauté de musiciens avec qui j’ai eu la chance de pouvoir jouer, Bright Eyes, Giant Sand, My Morning Jacket, Postal Service, Grandaddy. Jason Little (Chanteur de Grandaddy – Ndlr) m’avait invité sur un de ses disques alors je lui ai demandé de venir me rejoindre sur “Swing Like a Metronome”. La plupart du temps, c’est plus des échanges amicaux que des collaborations au sens professionnel du terme qui opèrent. J’enregistre la structure principale des chansons et en jouant avec d’autres musiciens elles évoluent. De la même manière, lorsque je reprends des chansons de Pete Townshend (« Let My Love Open The Door » disponible sur Sweetheart, a collection of Starbucks Hear Music – Ndlr), de Daniel Johnston (Discovered Covered – Ndlr) ou d’Alejandro Escovedo (Por Vida – Ndlr), j’admire et respecte ses artistes avant tout. Les reprendre est une partie de plaisir. (La discussion tourne alors sur la pochette du tribute de Daniel Johnston et sur l’artiste, he seems to be a funny guy concède Matt Ward – Ndlr).


copyright Andy Sewell/Matador

Pinkushion : Pourquoi as-tu quitté le groupe Rodriguez pour poursuivre une carrière solo?

Matt Ward : En fait, j’ai déménagé un temps à Chicago et comme le groupe était à Portland, nous avons décidé de mettre un terme. J’ai alors enregistré sur un quatre pistes ma propre musique. J’aime la simplicité des chansons, la fluidité des mélodies, jouées avec le cœur. Je m’emploie à produire un jeu simple et rempli d’humilité. C’est peut-être pour ces raisons que beaucoup de journalistes me comparent à John Fahey. Si je ne ressens pas l’envie de composer ou tout simplement jouer, je ne me force pas. La musique vient comme elle doit surgir. Elle s’exprime par elle-même.

Pinkushion : Que retiens-tu de l’échec de la tournée Vote For Change que tu as fait avec Springsteen et REM?

Matt Ward : J’ai été attristé par le vote des américains en faveur du gouvernement en place. Je n’apprécie pas la façon dont l’administration Bush gouverne tant sur le plan de la politique intérieure qu’extérieure.
Musicalement, j’ai eu la chance de partager la scène avec Bruce Springsteen qui est vraiment une personne attachante. Je pense que ces concerts ont permis à des personnes de se rendre compte des idées malveillantes des Républicains et même si ça ne s’est pas vu pour les élections de novembre, les opinions peuvent évoluer à l’avenir.

-Lire également notre chronique de Transistor Radio