Nouvelle voi(e)(x) pour le trio parisien post-rock, cette incartade courageuse nous entraîne vers les tréfonds les plus noirs de l’âme. Désarçonnant mais toujours vivant.


Depuis Haut/bas, leur premier opus sorti en 2002, le trio parisien Innocent X s’est taillé une jolie réputation de trublion post-rock “bleu-blanc-rouge” au gré d’un parti pris artistique sans concession et de prestations scéniques redoutable, tranchant avec un paysage musical français vraiment pas à l’aise dans ce créneau (à une ou deux exceptions près). Il faut dire aussi que ce statut d’exception culturelle, le groupe le cultive, puisque servi chez Label Bleu, plus connu pour ses affiliations jazz que pour son penchant pour la musique dite post-rock.

On a tendance à classer rapidement Innocent X dans le créneau post-rock parce que leurs compositions étaient jusqu’ici instrumentales, mais à vrai dire leur approche musicale dépasse cet entendement. Plus de deux ans donc après le remarquable Haut/bas, ce nouveau chapitre discographique enregistré à Amiens laisse indubitablement souffler un vent de changement. Sentant certainement leur formule instrumentale binaire guitares/batterie commencer à tourner en rond, le trio a décidé de chambouler ses petites habitudes et de s’adjoindre pour la première fois les services de nouvelles cordes – vocales cette fois – en la personne de France Cartigny et du poète sonore Anne-James Chaton.

Aux premiers abords, cette nouvelle orientation qui alterne entre pièces instrumentales et vocales, se révèle moins accessible qu’auparavant. Les morceaux concernés n’étant pas chantés mais récités, Fugues semble vouloir pousser encore plus loin cette recherche sur les sensations de malaise déjà ébauché sur Haut/bas. En ce sens, Innocent X a réussi son pari en insufflant par le biais de ces collaborations un parfum inédit à ces compositions, tout en maintenant l’esprit originel caractéristique du combo.

Suivant cette démarche, “Comédie”, leur meilleur essai, n’a pourtant rien d’une partie de plaisir. La voix austère et grave de Chaton (qui se rapproche agréablement de celle de Rodolphe Burger, l’effet est saisissant sur « Valade Martial » ) noircit encore plus ce tableau malsain, dessinant un visage plus creusé aux envolées oppressantes du groupe, entre un Diabologum plus vissé et un Kat Onoma littérraire. Moins convaincante, France Cartigny peine à imposer sa prose et son ton, on la sent un peu en retrait sur la mélodie funeste de “Trois fois Barbare”.

Quant aux parties uniquement instrumentales, elles réservent encore de beaux moments, même si l’on aurait aimé là aussi un peu plus d’originalité parfois. Au cours de leurs diverses expériences scéniques, Pierre Fruchard (guitare), Cédric Leboeuf (guitare) et Etienne Bonhomme (batterie) ont pu observer au premier plan le travail tribal de The Ex et le sens mélo-dramatique de The Silver Mount Zion. Certains compositions s’approprient ces codes, tel “Nord”, qui démontre que ce trio compact et inoxydable sait transcender les thèmes désincarnés vers une approche séminale. Innocent X travaille toujours les panoramas désertiques, comme sur le très tendu “Insomnie”, où s’étire une tension moite et oppressante. Enfin, la colère sur l’implacable “Outremonde”, jolie démonstration d’implosion catalysée.

Contrairement à ce que laisse présager son titre, Fugues, est un disque courageux qui ne se veut guère agréable, tendant constamment à vous déstabiliser. En ce sens Innocent X semble avoir remplit avec succès le contrat qu’il s’était donné.

-Le site officiel d’Innocent X