Rodney Hylton Smith surprend avec son troisième opus. Résultat d’une introspection qui va de pair avec la paternité, Awfully Deep déploit une belle palette multidimensionnelle.
Un album de Roots Manuva ne se chonique pas à la légère. Le bonhomme a déjà prouvé qu’il mérite bel et bien le titre de tenant toutes catégories de rap anglais, ouvrant la voie à des gens aussi divers que Dizzee Rascal et The Streets.
Après deux albums très rap, on est surpris par cette troisième galette. Pourtant, on ne peut pas dire qu’on s’attendait à du rap pur et dur, car ces collaborations avec les gens du label Ninja Tune laissaient une place à ce genre de surprise. Mais voilà, on ne pensait pas que Rodney Hylton Smith – c’est son véritable nom – pondrait un album distillant ses différentes inspirations – reggae, soul, drum & bass.
Originaire d’un petit village de Jamaïque, au doux nom de Banana Hole (le trou des bananes), il est élevé de manière assez stricte et religieuse et voue rapidement une passion pour la musique. Son père lui dit « pas question ». Désobéissant, il sortira son premier album en 1999, Brand new second hand, qui récolte rapidement les récompenses et la reconnaissance. Le hip hop anglais a enfin quelqu’un avec qui s’exporter et se faire connaître, ainsi que ce que l’on a coutume aujourd’hui d’appeler la musique urbaine. Son deuxième album lui vaut même une nomination aux prestigieux Mercury Prize. Ce qui le démarque de tout autre c’est sa voix chaude, très particulière, ainsi qu’un décorum drum & bass flagrant.
Awfully deep, comme son nom l’indique, fouille la chose jusqu’à la moelle, et ce dans tous les sens du terme. La musique, qui va fouiner dans ses origines et ses racines, mais aussi les paroles, qui n’ont jamais été aussi criantes d’authenticité personnelle, ce qui est, en hip hop, plutôt rare, habituée que sont ces représentants à taper sur le système ou à décrire la vie sociale (« Sometimes I hate myself » avoue-t-il). Ici, une introspection a été faite par Roots Manuva (devenu papa récemment), et les titres qui défilent sont autant de façons de décliner cette introspection. L’émotion est toujours là, en filigrane, avec ce timbre si spécifique que ça n’en devient que plus touchant.
On peut regrouper les morceaux de cette galette dans trois catégories : le hip hop, le reggae/dub et la drum & bass, avec quelques petites pincées de soul (notamment en faisant appel parfois aux cordes). On ne peut qu’être d’accord avec lui quand il chante « Colossal Insight invites for soul ». Et d’ajouter : « I don’t care about UK rap, I’m a UK black making UK tracks ».
En ce qui concerne le hip hop, « Chin High » ou « Move ya loin » (avec Lotek) utilisent les mêmes ingrédients qu’auparavant, mais la mélodie est toujours privilégiée par rapport aux beats et à la basse, ce qui est plutôt nouveau chez lui. Le débit y est parfois simlilaire à celui de Busta Rhymes, avec ces simili de chinoiseries carnivores.
C’est bel et bien le reggae-dub, en tant qu’influence, qui séduit l’auditeur. Pas seulement à travers certains appels aux cuivres ici ou là. Sur certains titres, comme le fabuleux « A Haunting », on croirait entendre Finley Quaye sur son formidable Mavering the Strike. Sur « Pause 4 cause », la basse invite à une telle détente que l’on y plonge deux fois plutôt qu’une (comme dans les bras des gazelles sur la pochette…).
Enfin, last but not least, peut-être pour mieux définir son état d’esprit, l’appel à ce qui se fait en drum & bass, qui peut parfois être très noir, voire très angoissant, est ici dérivé de fort belle manière. C’est le cas sur « Awfully Deep », « Rebel Heart » et « The Falling », on se dit alors qu’il pourrait tout aussi bien collaborer avec Roni Size pour prendre la place de Reprazent, ou faire équipe avec la néo-zélandaise Tali. « Toothbrush » clôture l’album avec brio, la basse se chargeant de faire trembler les vitres…
Cet album ouvre énormément d’horizions à Roots Manuva. Et on est prêt à le suivre où il voudra bien nous emmener. Le brasseur a gagné notre confiance. Espérons en tout cas qu’il n’est pas sérieux lorsqu’il dit « This could well be my last LP ».
Le site de Roots Manuva