En pleine tournée, quelques heures avant de monter sur scène, les membres de Deportivo nous accueillent dans leur loge avec convivialité et bonhomie agréable. Car Deportivo est avant tout une histoire d’amitié de longue date, d’une grande complicité.
Loin des poses arty, du snobisme et de l’autosatisfaction de certains musiciens, le trio reste simple et affiche une sincérité et une franchise dans les propos qui font toujours plaisir à entendre. Même dans les rires, l’honnêteté est primordiale. L’enregistreur est à peine enclenché qu’un fou rire les gagne. Habitués aux questions du genre « Pourquoi Deportivo ? », les trois garçons nous avouent être surpris par notre demande. Satisfait de la tournure de l’entretien, le groupe n’est pas avare en mots, et disponible il reste volontiers plusieurs heures à discuter. On ressortira de cette rencontre satisfait d’avoir croisé des musiciens passionnants. Le concert qui suivit confortera notre opinion. Trois garçons attachants à l’image de leur musique pleine de spontanéité et surtout jouée avec le coeur.
Pinkushion : Quel rôle a joué la musique dans l’approche du groupe ?
Julien (batteur) : Plus jeune, j’écoutais des styles musicaux différents, beaucoup de rap. Puis le premier album des Doors m’a amené vers d’autres connections plus rock. A l’âge de quatorze quinze ans, un ami m’a fait découvrir Noir Désir, le Velvet Underground puis il y a eu l’effet Nirvana qui fut une sorte de déclencheur mais à retardement.
Jérôme (chanteur) : Lorsqu’on allait dans des soirées pour petits bourgeois à Garches (dans les Yvelines 78), en fait nous aussi nous sommes des petits bourgeois mais de Bois D’Arcy (78), c’est plus classe (Ndlr – sourires), on regardait tous ces gens qui dansaient sur Nirvana et on se disait que ce genre de musique était faite pour un public de masse. Déjà à l’époque nous avions un petit côté rebelle (Ndlr – sourires). Dès qu’un artiste avait du succès, on le rejetait aussitôt, ce qui fait que nous n’avons pas ressenti la vague Nirvana. Et puis, des années plus tard une fois qu’est sorti In utero, notre avis avait changé. Alors que tout le monde disait que cet album était un sous Nevermind, pour notre part on le trouvait vraiment bien. Nous étions des réacs un peu comme Michel Sardou ou Delpech (Ndlr – rires).
Les disques que nous écoutions nous ont influencé dans notre choix de devenir musiciens. Je me rappelle aussi d’une vidéo de « Desire » sur Rattle & Hum de U2 où les filles entouraient le groupe. J’aurais aimé aussi porter un chapeau et un pantalon à la Charles Ingalls. Bon, il s’est avéré que ce genre de vêtements ne m’allait pas trop mais pendant un an, avant qu’on ne touche vraiment aux instruments on rêvait d’être des rocks stars.
Le grand révélateur a été un concert à Polytechnique à Palaiseau où se produisaient les Wampas et Noir Desir lors de la tournée Tostaky. A partir de cet instant, on savait que c’était cette voie que nous voulions prendre.
Julien : Le déclic a été plus ou moins collectif. Chacun s’est passionné pour un instrument et naturellement la formation a trouvé son moteur. Avant d’être un trio, ils nous arrivait de jouer avec d’autres personnes mais du fait que nous sommes des amis d’enfance l’alchimie s’est faite automatiquement et les liens autour de la musique se sont soudés facilement.
Pinkushion : Les études vous ont-elles ouvert un sens critique ?
Jérôme : J’ai arrêté mes études avant le bac. Richard a poursuivi jusqu’en thèse. Nous avons un docteur parmi nous !
Julien : La musique joue un rôle éducatif. Au delà de pouvoir développer un sens créatif, elle te permet d’éviter de tomber dans une sorte de désoeuvrement, d’oisiveté délicate à gérer. Ainsi, une fois rentré des tournées, du fait que je ne compose pas il m’arrive de me sentir un peu inactif et si je ne m’efforçais pas à m’occuper intellectuellement ou manuellement j’aurai peur de tomber dans une sorte de léthargie.
Jérôme : Julien a réalisé la typographie de la pochette de l’album et a participé très largement à la conception du disque. De concevoir la réalisation du disque à notre petit niveau nous permet de garder un oeil sur les actions menées autour de l’album et de contrôler notre image.
(Ndlr- Les membres du groupe évoquent alors leurs différentes sessions photos, certaines assez cocasses, puis leur collaboration avec le photographe Richard Dumas avant de revenir à la question posée.)
Richard (Bassiste) : Ma thèse porte sur la psychologie cognitive, la mémoire spatiale. Je ne sais pas si ça m’apporte plus de satisfaction que la musique mais je garde de bons souvenirs de mes études. D’apprendre ou de s’intéresser à de nouveaux sujets enrichit énormément l’esprit. J’aurai pu travailler dans la recherche mais les événements liés au groupe ont fait que je me suis retrouvé embarqué dans le train. En fait, tout s’est passé rapidement. Alors que nous répétions dans un studio à Coignières, nous avons eu des réponses suite à l’envoi de nos démos et parallèlement je finissais ma thèse que j’allais soutenir quelques jours plus tard, en décembre 2003. Pratiquement dans la même semaine, le Village Vert nous contactait pour nous proposer un contrat discographique. Durant cette période, j’avais des suées nocturnes, c’était assez fou !
Julien : En fait, tu n’as pas mis à profit ta thèse ?
Richard : Une fois que tout s’enclenche c’est difficile de faire machine arrière. C’est compliqué. Même avec un bagage scolaire, j’entendais beaucoup de personnes et encore aujourd’hui dire “mais quand est-ce que tu trouves un travail ?” Jouer de la musique à longueur de journée n’est pas perçu comme un travail.
Pinkushion : Comment s’est porté votre choix sur le Village Vert ?
Richard : On a regardé dans l’officiel de la musique les labels dont les catalogues étaient proches de nos aspirations et qui pouvaient être intéressés par notre musique.
Julien : Nous n’avions aucun contact dans les maisons de disques. Aussi, nous avons envoyé notre démo aux professionnels qui nous parlaient le plus. Les personnes du Village Vert ont été les premières à nous rappeler. On a senti une certaine motivation derrière leur démarche. Ils n’ont pas hésité à venir jusque chez nous.
Jérôme : Un soir dans un bowling, ils nous ont parlé des moyens qu’ils mettraient en oeuvre pour notre tournée, l’enregistrement de l’album, la possibilité d’acheter des instruments. Par la suite, d’autres labels nous ont contacté comme Barclay ou Slalom Music mais nos affinités se portaient plus sur le Village Vert. Fred et Nico tenaient un discours qui nous convenait. Même si Fred aime des musiques sophistiquées très pop anglaise bien léchée, il s’est laissé influencer par Nico. C’est peut-être bête à dire mais avec eux on se sent en famille.
Pinkushion : Comment vous vous êtes retrouvés à écouter les démos du deuxième album de Thomas Boulard, chanteur de Luke ?
Jérôme : Nous étions dans un bar aux Abbesses (Paris) et il nous disait qu’il avait apprécié nos démos et qu’il était en train de composer son deuxième album. On l’a poussé à ce qu’il nous fasse écouter ses ébauches et on s’est retrouvé entassés à six dans la voiture de Nico à délirer au son de sa musique. On avait trouvé une famille musicale.
Dans les Yvelines, lorsqu’on a commencé à jouer nos morceaux on avait l’impression d’être isolé. Si tu ne fais pas du heavy-metal tu as dû mal à être accepté par les autres. Et puis, nous n’avions pas toujours envie de prendre le RER de Versailles jusqu’à Paris pour trouver des mecs avec qui jouer.
Pinkushion : Vous ne trouviez pas des connections musicales à Versailles ?
Jérôme : C’est paradoxal mais lorsqu’on vit dans une ville, on ne s’aperçoit pas toujours du vivier musical dans lequel on baigne. De plus, à dix-huit ans tu cherches souvent à te mettre à l’écart des mouvements mais plus tu vieillis plus tu prends conscience du besoin d’appartenance à une scène. C’est flatteur si tu deviens « reconnu » à travers celle-ci.
Des groupes comme Air ou Phoenix nous ont ouvert les yeux sur une scène versaillaise dont on ignorait pratiquement l’existence.
Richard : Toutefois, à nos débuts nous avons été souvent confrontés aux tremplins musicaux où tu sers d’apéritif aux autres groupes locaux. Niveau son, on ne rivalisait pas avec du hardcore !
On ne se rend compte qu’aujourd’hui que beaucoup de musiciens viennent des Yvelines.
Pinkushion : A l’adolescence, aviez-vous d’autres hobbies que la musique ?
Richard : Tous nos centres d’intérêts passaient par la musique. Les répétitions nous prenaient beaucoup de temps.
Jérôme : Le soir avec des amis, on écoutait des disques, s’échangeait les derniers achats, discutait des coups de coeur. On jouait quelques fois de la guitare mais la plupart du temps on parlait pendant des heures à nous imaginer dans un camion à tourner dans les villes de France. Nos passe-temps étaient essentiellement dirigés vers la musique.
Pinkushion : N’avez-vous pas l’impression d’avoir sacrifié un bout de votre adolescence ?
Jérôme : J’ai l’impression que si la musique ne s’était pas autant imposée dans ma vie, je serais parti à l’étranger pour faire autre chose. Même si nos rencontres étaient limitées, que nous n’avions que très peu d’amis et peu de connaissances féminines, on essayait de mettre dans notre vie, aussi désolante qu’elle était, de la poésie, une certaine beauté.
Julien : La musique change beaucoup ta vie. Je viens d’avoir un enfant et du fait que j’ai tout plaqué pour la musique ma vie de famille en est bouleversée. Maintenant, je te dirai dans quelques années si je n’ai pas merdé quelque part. En tout cas, cette aventure est du plaisir.
Pinkushion : Ton écriture s’inspire-t-elle de lectures ?
Jérôme : Non. J’ai tout volé à Louise Attaque. Je puise mes textes dans la vie de tous les jours, par rapport à mon existence et je reprends quelques expressions entendues ici ou là comme un clin d’oeil aux amis. Par exemple « C’est du tout cuit pour la déconne » est une expression prise à des copains. Les paroles de l’album sont très adolescentes. Ce n’est que plusieurs années plus tard qu’avec le recul nécessaire j’ai compris cette période de ma vie, qui j’étais à ce moment-là.
Pinkushion : Les textes de chansons comme « L’immobilité » ou « La salade » semblent faire référence à une partie de votre éducation. On ressent une certaine amertume, une rancoeur envers une éducation stricte et des institutions bourgeoises dures à accepter pour un gamin qui cherchait à s’échapper de ce modèle.
Julien : Pour ma part, j’ai plus souffert de l’école que de l’éducation parentale. Je me suis retrouvé dans des sections scolaires où je n’avais pas de repères.
(Ndlr – A la question posée, une certaine gêne se fait ressentir chez les trois garçons. Aucun n’ose vraiment y répondre.
Pinkushion : Tes textes te servent-ils à exorciser une partie de ta vie ? On les lit comme une sorte d’échappatoire où tu recraches une certaine bile liée à ton adolescence.
Jérôme : Assurément. J’ai évacué beaucoup de ressentiments intérieurs grâce à l’écriture. Ces textes peuvent être vus comme une photo d’un moment de ma vie. Je voulais être fidèle à cette période et la poser sur papier le plus honnêtement possible, le plus justement possible mes sentiments sans mentir mais avec quelques maladresses, quelques contradictions. La vie est à mon avis aussi confuse que mes textes. Adolescent tu es assez catégorique, c’est blanc ou noir, puis avec l’âge tu évolues et tu mets de la couleur dans ce désordre. La vie n’est pas aussi simple que ça.
Julien : Je me reconnais pleinement dans les textes de Jérôme. D’ailleurs, je n’aurais pas pu jouer de la batterie dans un groupe où les paroles des chansons ne me toucheraient pas.
Richard : Il y a un côté assez universel dans les textes de Jérôme. Même s’il colle au plus près de sa vie, chacun peut y puiser une partie de ce qu’il a vécu.
Pinkushion : Alors que beaucoup de groupes rock français utilisent l’anglais dans leurs textes, ta langue maternelle s’est-elle imposée naturellement ?
Jérôme : Comme j’étais nul en anglais, je ne pouvais qu’écrire en français.
Pinkushion : Lorsque vous êtes entrés en studio, aviez-vous des références en tête ?
Jérôme : On avait déjà travaillé avec Arnaud (Ndlr- Arnaud Bascuñana a enregistré et mixé Parmi eux mais a aussi travaillé avec M et No One Is Innocent) sur nos démos et donc nous savions à peu près comment on voulait faire sonner les chansons. Pour l’enregistrement, Arnaud avait emmené avec lui un disque de Led Zeppelin, de Nirvana, des Beatles et de Metallica.
Julien : Le label voulait sortir nos démos, il aimait bien le son dépouillé. On a enregistré l’album en quinze jours au studio Black Box à Angers. Tout a été enregistré à partir de bandes, on n’a pas cherché à tricher, à utiliser des logiciels comme Pro-tools. Les voix sont mal ajustées, les parties de batterie visibles et c’est ce qui donne au disque sa singularité.
Pinkushion : Faut-il voir dans le titre de l’album Parmi eux une sorte d’adhésion à un groupe ?
Jérôme : L’album est issu d’une déconstruction personnelle qui permet de se connaître mieux. Lorsque ce côté revanchard s’est effacé, on passait d’agréables moments dans des soirées à s’amuser, à reprendre des morceaux de Brassens. On était alors parmi ces personnes qui nous donnaient tant de plaisir. Mais aussi, le titre veut dire être parmi les personnes des maisons de disques.
Pinkushion : Qu’est-ce qui motive vos reprises lors des concerts ? Vous entrez sur scène sur du Brassens, reprenez Miossec, Luke, Jeff Buckley, Clash.
Richard : En fait, ce sont des chansons qui nous touchent et que l’on est capable de jouer. (Ndlr- rires)
Pinkushion : Vous sentez-vous plus proche d’une scène française qu’anglo-saxonne ?
Jérôme : On s’identifie à des groupes comme Louise Attaque, Les Wampas, Ghinzu, Sloy, Dominic Sonic (Ndlr- Le rennais est, en attendant qu’une maison de disques veuille bien le signer pour sortir un nouvel album, roadie du groupe), de Dionysos, Emilie Simon. Il y a des musiciens que nous avons rencontré avec qui on partage un même état d’esprit même si on n’a pas d’affinités musicales particulières avec eux. Et puis, il y a d’autres personnes qui étaient pour nous des sortes d’héros et qui nous ont déçu.
((Ndlr- La discussion se porte alors sur une comparaison entre un courant rock anglais, américain et français. Les membres de Deportivo saluent les initiatives de sortir des compilations comme celles de CQFD des Inrockuptibles ou de Le Nouveau Rock’n’Roll Français, distribué par V2, malgré le différents qui les opposent à l’instigateur de ce dernier projet. Le débat s’anime, chacun donnant sa vision sur la façon dont est perçu le rock en France. Au fil de la discussion, on en vient à parler de la frilosité de certaines maisons de disques à signer des artistes atypiques, d’une scène rock française qui ne trouve pas toujours l’écho médiatique escompté, des prochains supports numériques disponibles sur le marché et d’un public grossissant depuis le début de la tournée.)
Pinkushion : Votre disque semble bien accueilli par les médias et le public. Comment envisagez-vous la suite des événements ?
Jérôme : Ça fait toujours plaisir de voir de plus en plus de monde à nos concerts mais pour l’instant on a un gros souci financier.
Richard : Ne me parlez pas des assédics ! On ne va pas s’acheter de château, ni de piscine… Plutôt réparer la Renault Onze. (Ndlr- sourires) On se concentre sur la tournée et les concerts. De toute façon, il est très difficile de savoir nos ventes et puis on n’y comprend pas grand chose. Ça nous dépasse un peu.
Jérôme : Le plus important et le plus intéressant dans la musique c’est les concerts. D’ailleurs, cet été on devrait faire le Paléo Festival de Nyon, peut-être Solidays, les Vieilles Charrues sont à confirmer. On espère aussi être présents sur d’autres affiches.
Julien : Quelques soient les retours médiatiques qu’on peut avoir, ce sont les concerts qui nous donnent l’envie de continuer.
Merci à Christophe.
Deportivo – Parmi eux (Le Village Vert / Barclay)
-Le site de Deportivo