Eiffel en vacances, le chanteur compositeur Romain Humeau en profite pour s’évader en solo. L’éternité de l’instant, grand disque malade, fait la part belle aux arrangements inspirés de la musique modale. Le rock sort de sa routine pour un voyage insolite, remarquable.


Musicien, ce métier institutionnalisé et usé, se voit de temps à autres abîmé sous les coups de boutoir de certains trublions, aux allures de pure génie ou d’agités du bocal. Ces têtes brûlées viennent alors secouer l’establishment de la musique trop engoncée dans ses propres charnières pour réellement s’ouvrir à d’autres horizons. Ainsi il y a des Romain Humeau qui bâtissent des oeuvres singulières et bousculent le quotidien en nichant un peu de déséquilibre dans une machine bien huilée qui vit sur ses dividendes. Musicien précoce, son apprentissage musical rigoureux lui ouvre les portes de la composition qui devient son passe-temps favori. Trop indiscipliné et innovateur pour un milieu dicté par les lois du marché qu’imposent médias et industrie du disque, sa nouvelle reconnaissance médiatique le partage entre joie et suspicion. Depuis peu sollicité par une large presse sur la foi d’un single séduisant « Prends ma main », il bénéficie également de l’appui des radios. S’empressant de s’emparer de l’album solo du girondin L’éternité de l’instant, ces dernières l’ont associé un peu rapidement à la nouvelle scène française des Delerm et autres Benabar. Irrité par ces raccourcis médiatiques et par certaines critiques omettant ses productions au sein du groupe Eiffel, Romain Humeau bien que satisfait par les passages radiophoniques de ses chansons affirme n’avoir rien en commun avec les musiciens précités. Dans une interview, pour une mise en ligne prochaine, il nous confiait son attachement à l’esprit d’indépendance contracté depuis une dizaine d’années et son désir d’être relié médiatiquement à une appartenance familiale allant de Sixteen Horsepower à Nick Cave en passant par Eddie Cochran et Stray Cats.

Profitant d’une pause dans la carrière d’Eiffel, notre homme pousse son désir de s’embarquer vers un ton novateur et en assume la direction sous son patronyme. Concevant comme un ingénieur en r&d des prototypes de laboratoire pour de futures commercialisations, il prend le risque de graver ses essais à vif, quitte à dérouter son auditoire. Cherchant à aller le plus loin possible dans son expérimentation, moteur de son action, il définit une base qui n’a pour frontière que sa dimension mélodique. En phase avec son répertoire, il développe un nouveau langage réservé habituellement plus aux maîtres du dodécaphonisme qu’aux illustrateurs de sons pop rock.

Elevé au classique, ce passionné de musique bardé de prix du conservatoire s’est épris avec l’âge aussi bien de musique baroque, modale, sérielle que de rock. Et il n’hésite pas à montrer son affection pour les disques qui ont marqué sa vie. Ainsi, sur deux titres de son album solo, à l’instar des citations littéraires, il empreinte à Bowie puis aux Pixies quelques harmoniques. « The man who sold the world » s’immisce sur « Prends ma main » et l’intro de guitare de « S’enflammer » lâche un clin d’oeil au « Where is my mind » de Black Francis. Bien qu’inspiré par la composition sérielle, la musique de Humeau reste en effet ancrée dans le rock, mais un rock qui aurait trouvé un second souffle. Trois compositions en sont le parfait exemple, « L’éternité de l’instant », « La mort sifflera trois fois » et « Je m’en irai toujours ». Dans l’ordre, les deux premiers titres se targuent d’une intro polyrythmique qui laisse pour l’un libre cours à un sextuor à cordes de jouer une variation modale, à l’autre de pousser le rock dans des retranchements chaotiques, quant au troisième morceau il s’amuse à faire danser une scansion rap sur une rythmique empruntée au hip hop.

En explorant de nouveaux territoires propices à des cultures fertiles, l’auteur se démarque des sorties actuelles bien ternes comparées à celles de L’éternité de l’instant. Toujours aussi audacieux, Romain Humeau enfonce le clou avec le titre « Toi » qui se pare des plus beaux atours qu’on puisse imaginer pour une chanson d’amour. Soient des arrangements de cordes d’une finesse et fluidité subjuguante associés à un texte qui évite les raccourcis coutumiers lorsqu’on évoque ce type de sentiment pour choisir une écriture métaphorique en invitant les éléments naturels à cette étreinte.
De cette escapade solitaire, quelques moments plus faibles sont toutefois à noter comme le rock sans grande originalité de « Sans faire exprès » et « Leurs échines » ou le folk peu inspiré de « Possédés » dont on préfèrera celui de « Tu restes mon ami », placé en morceau caché, avec ses choeurs souverains. Cependant, ce n’est pas ses deux trois morceaux moins plaisants qui nous empêcheront de penser qu’avec L’éternité de l’instant Romain Humeau nous offre un disque d’une rare densité, d’ores et déjà l’album rock français de l’année.

-Le site de Romain Humeau