Quatre new-yorkais échappés de Brooklyn sortent un premier album éponyme de folk déviant dans lequel minimalisme lo-fi, propension aux expérimentations et esthétique primitiviste disputent aux lois du genre leur originale coexistence.


Le folk connaît depuis quelques temps une telle prolifération de sous-genres qu’il n’est pas toujours aisé de s’y retrouver : néo-folk, acid-folk, psych-folk, folkrock… caractérisent une mouvance pléthorique de musiciens soucieux de reprendre à leur compte un héritage musical populaire et codifié comme d’en repousser les frontières à l’aune d’une modernité semble-t-il toujours à redéfinir. Mais, si sur le papier ces intentions de renouveau dans la continuité sont louables et salutaires, une fois couchées sur disque ils leur arrivent parfois d’accuser des développements et des limites moins heureuses. C’est en partie le cas de cette première récolte de Akron Family.

Repéré par Michael Gira (l’éminent membre des Swans et des Angels Of Light, qui a aussi produit dernièrement Devendra Banhart), ce groupe de multi-instrumentistes doués (au total une bonne vingtaine d’instruments en tous genres se font entendre sur l’ensemble des plages) sème sur un folk d’obédience volontiers rural et traditionnel des sonorités discordantes, créant ainsi une sorte de champ de bataille musical d’où s’élèvent leurs quatre voix, tantôt douces ou enragées. Cette musique en friche, aux contours et aux textes parfois difficilement cernables, oscille ainsi au grès d’une inspiration cyclothymique. L’ouverture de l’album est à ce titre emblématique (le sublime “Before And Again”): à quelques accords de guitare dans la plus pure tradition folk, juste relevés par de subtils bruits électroniques parasites, bientôt se joignent les chants mêlés des quatre acolytes, puis suit une bifurcation rythmique surprenante, qu’achève des instruments à vent selon un mode plus « free ».

La modernité n’achève pas ici le classicisme, elle le prolonge véritablement, s’en extrait, s’inscrit dans sa continuité et se nourrit de ce cheminement temporel. Le reste de l’album n’aura d’ailleurs de cesse de réitérer ces passages successifs, abrupts parfois, d’un état (de folie) à un autre, ces glissements de terrains parfois dangereux d’où le groupe sort le plus souvent indemne (on regrettera là un dispensable interlude bucolique).

La réussite apparente d’une telle alchimie tient en fait surtout à une belle propension à composer des mélodies qui articulent, voire canalisent les penchants chaotiques du groupe. Véritable colonne vertébrale des morceaux, elles alimentent les dérives autant qu’elles les conditionnent. Elles sont un canevas sur lequel viennent se greffer des ponctuations libertaires, qui sont aussi des tentatives de renouer avec une forme musicale quasi primitive. Le moindre bruit (naturel ou artificiel) enracine les mélodies dans une esthétique de l’inachèvement, du collage sonore, non dépourvue de sauvagerie, comme si à la manière de pionniers les quatre musiciens échafaudaient une musique des origines.

Toutefois, passé l’effet de surprise des premières écoutes, les qualités indéniables de Akron/Family tendent à s’émousser, voire à se retourner contre lui : cet album ne serait-il pas en effet celui d’une seule bonne idée fondatrice, rejouée ensuite à l’infini ? La redondante dialectique construction/déconstruction, aussi brillante soit-elle, rend finalement plus prévisible que prévu la succession des titres, quand elle ne répond pas à un impératif de surenchère sonore artificielle. Contrairement aux membres de Animal Collective, arpenteurs émérites de terres aussi poétiques qu’inconnues, ceux de Akron Family semblent évoluer à l’intérieur d’un monde clos sur lui-même qui répond à un systématisme formel dommageable, et où les multiples sonorités s’apparentent parfois, sur la longueur, à de simples gimmicks décoratifs bien dans l’air du temps.

Avec Akron/Family, quatre cerveaux et huit mains ont donc accouché d’un album de freak-folk forcément diforme. L’avenir nous dira si ces musiciens sont réellement des visionnaires ou plutôt d’habiles suiveurs.

Le site officiel de Akron Family