Avec un troisième album plus mature, ce singer-songwriter atypique nous dévoile de nouveau un univers sombre et fécond, petite musique de l’intimité tourmentée, malgré tout baignée de lumière.


Quand ce dernier n’officie pas au sein du passionnant et récent projet en trio Espers (dont on conseillera l’écoute du premier disque de folk psychédélique, le remarquable Espers, sorti à la fin de l’année dernière), Greg Weeks réalise des albums en solo tout aussi inspirés, qui allient exigence instrumentale et savoir mélodique imparable. Passée la propension un peu appuyée pour la noirceur dramatisée de ses débuts, Weeks atteint à présent, sans se départir d’une tristesse savamment dosée, une plénitude poignante, tout autant dans les linéaments de l’écriture que dans le raffinement des compositions.

Avec Blood Is Trouble, il reprend ainsi les choses là où il les avait laissées avec son précédent opus, le très beau Awake Like Sleep (2003). Mais plutôt que de déroger aux préceptes inhérents à son style, il préfère au contraire en affiner les grandes lignes, en diversifiant les motifs et en apportant quelques couleurs supplémentaires à sa palette musicale pourtant déjà bien garnie : aux désormais habituelles couches de guitares, kora, Moog, Mellotron et machines entremêlées viennent donc se rajouter une harpe discrète (instrument décidemment très en vogue), la batterie à la présence plus soutenue de Otto Hauser, la basse de Jesse Sparhawk, ainsi que l’émouvant violoncelle et la sensuelle contre-basse de Margie Wienk. L’ensemble pourvoyant les chansons de Weeks de multiples reliefs – qu’une seule écoute ne saurait discerner -, et leur permettant de s’étendre sur une gamme de nuances et de sentiments plus variée que celle d’un songwriting d’inspiration plus traditionnelle.

Malgré ce soin patent accordé aux divers arrangements, il découle pourtant de l’écoute de Blood Is Trouble une troublante sensation de mélancolie monotone, surtout lors des transitions d’un morceau à l’autre (aspect qui, de prime abord, peut parfois les desservir), laquelle étrange impression rend compte in fine des tourments obsédants du musicien qui se vit dans cet exercice du (quasi) solo, littéralement, comme un être abandonné à lui-même. L’album en son entier peut d’ailleurs s’appréhender comme un condensé de ces instants de recueillement tant il exsude un sens de la solitude et de l’isolement (avec davantage de sérénité toutefois que sur son précédent album), sentiment renforcé par la présence récurrente du moog, instrument expressif, de facture cosmique, aux harmonies douces et planantes.

La petite histoire voudrait que les visions pour le moins sombres de Weeks soient, en grande partie, dues à une maladie inflammatoire chronique (survenue suite à un cancer du sang) qui lui occasionnerait des douleurs dévastatrices et affecterait en particulier ses articulations des mains, des coudes et des épaules. Ne jouant, d’après ses dires, qu’à soixante dix pour cent de ses capacités, sa musique résulterait d’une succession de concessions et d’adaptations algiques à son désir de musicien frustré. Petits arrangements avec la maladie et l’impondérable, à l’image de ces fragiles assemblages sonores qu’affectionne Weeks, emboîtements d’aspirations et de respirations diverses qui ressortissent autant au domaine du folk acoustique qu’à celui des expérimentations électroniques, et semblent hantés par un destin précaire, toujours prêts à s’effondrer.

Pourtant, les morceaux de Blood Is Trouble ne sentent pas le renfermé d’une chambre de malade qui se lamenterait sur son sort : comme chez Matt Elliott, l’obscurité n’est jamais pesante, puisque constamment tempérée par un besoin vital d’aérer et de donner chair aux morceaux. Chevillée au cerveau de Weeks, cette musique de penseur taraudé par son devenir reste tout de même suffisamment lumineuse pour éveiller chez l’auditeur un réel plaisir dépourvu de tout voyeurisme malsain. Composer est très certainement pour Weeks une forme comme une autre de thérapie, et l’effet ainsi obtenu tient davantage du réconfort que du malaise – impression qui prévaut aussi à toutes autres chez l’auditeur. A la grimace de celui qui souffre, Weeks préfère un sourire en coin ironique, manière courageuse et honnête de noyer son destin dans l’espoir (d’être à deux, comme il le chante sur le bouleversant « Interchange ») plutôt que dans le sang.

Le site officiel de Greg Weeks