C’est en retard que j’arrive pour l’entretien avec I Am Kloot. Pas grave, on me guide jusqu’au groupe, qui sirote un cocktail de son cru (à vue d’oeil, whisky/coca)… John Bramwell, le chanteur et leader du trio, se lève, me serre la main de manière vigoureuse, et arbore un sourire de circonstance.


Nous allons nous isoler sur l’un des bancs des jardins du Botanique, pour une interview au soleil, loin du brouhaha du public venu pour les Nuits du Bota, dont le succès devient de plus en plus évident. C’est au son des glaçons jetés dans son verre qu’un John Bramwell un peu entamé par l’alcool va répondre consciensieusement à mes questions. Très vite, on comprend qu’on a pas à faire à n’importe qui, mais à un sacré personnage, dont la sympathie et l’émotion l’emportent sur tout autre jugement. I believe in gods and monsters…

Le concert qu’ils donneront ensuite à La Rotonde vaudra tous les discours : le groupe se donne véritablement, montrant que la générosité est la première de ses qualités.


Pinkushion : Lorsqu’on écoute un disque, on l’associe très souvent à des choses ou autres que l’on vit à ce moment-là. J’imagine que c’est encore plus le cas lorsqu’on enregistre un album. Comment définirais-tu dans cette optique vos trois albums?

John Bramwell : Le premier (Natural History) me rappelle l’Ecosse. Nous l’avons principalement enregistré sur l’île de Mull, nous étions tous les trois avec un des gars de Elbow. Nous n’avons jamais vu quiconque d’autre, à part deux gosses. Nous avions acheté plein de bouffe et nous étions dans une vielle église qui avait été modernisée à l’intérieur, sur les bords d’une énorme écluse. Il y avait des aigles, des loutres, des daims, de grands ciels bleus… le temps semblait s’écouler si lentement qu’on a énormément travaillé. C’était super.

Le deuxième (I Am Kloot), je l’aime bien mais le processus de création était bien plus dur. Nous étions dans un studio, jour et nuit. J’aime le résultat et ce que Keith (Stewart, le producteur) en a fait. Mais l’ambiance n’était pas… Nous avons décidé que nous ne voulions plus enregistrer d’album à Londres.

Le troisième, (Gods and Monsters), nous l’avons fait dans un studio près de Stockport, enfin à côté de chez nous. Le studio était bourré d’instruments dingues que nous avons tous essayé, on a pris notre pied à le faire. Il me revient aussi plein de trucs qui étaient en attente dans ma vie… J’attendais de voir ce qui allait arriver dans plein de domaines personnels. C’était un moment vraiment propice pour être concentré sur la musique, quatre semaines.

J’ai trouvé que votre dernier album et celui de Madrugada étaient assez similaires dans cette approche assez « américaine », autant dans la musique que dans les thèmes abordés et les paroles, avec un résultat très noir, très authentique. Es-tu d’accord et comment expliques-tu la chose?

Personnellement, j’ai été baigné dans la musique depuis tout petit. Ma soeur, dans les années 70, était à fond dans David Bowie et T-Rex. Mon père écoutait John Lee Hooker et ma mère Frank Sinatra et plein d’autres trucs. C’était donc toujours un grand mic mac. L’album blanc des Beatles passait souvent… Andy (Hargreaves, batteur) est dans plein de trucs différents, surtout du rock & roll des premières années. Nous n’essayons en tout cas pas d’emprunter quoi que ce soit aux autres, c’est juste que l’on était dans ce genre de musique quand on était jeunes. Ceci dit, je ne crois pas que nous ayons une grande influence américaine. Les genres sont peut-être américains, mais je ne crois pas qu’on ait un son américain à proprement parler. Ne serait-ce que par la manière dont je chante d’ailleurs, qui est très nord-anglaise.

Oui, bien sûr, mais je parlais de la musique et des paroles. Par exemple, un groupe auquel je pense en vous écoutant c’est The Doors, surtout à l’écoute d’un titre comme « Gods and monsters »…

Nous avons été comparés à tellement de gens… mais celui qui revient sans cesse, et ce depuis le premier album, c’est les Doors… J’aime bien les Doors, mais je n’ai jamais été un grand fan. J’ai déjà pensé moi-même en nous écoutant qu’on y ressemblait…C’est vraiment étrange.


Tu parlais de Bowie tout à l’heure, maintenant les Doors. « Gods and monsters » et son côté Cabaret m’a évoqué un titre comme l' »Alabama song » de Kurt Weill.

Oui, il y a ce côté-là en effet. Un côté très Mack the Knife aussi. Il y a ce genre d’ambiance de cabaret berlinois. Etant petit, j’aimais bien regarder des émissions comme « Caroussel ». Ce genre d’écriture a maintenant envahi la musique rock oui.

Dans le très beau morceau « Astray », tu chantes « Time moves so fast that now there doesn’t seem to be any, once it felt that there was more then plenty, I do believe that someone somehow sent me« …. Ce sont les fameux Gods and monsters?

Oh je vois (sourire). Oui, les dieux et fantômes sont l’amour, le sexe, l’argent, l’ambition, la religion, la politique. Dans mon cas, l’argent, le sexe et l’amour principalement. Cette chanson traite du fait d’être guidé par ces choses, sur le fait d’être tenté. La passion, l’envie etc…

Dans « I believe » tu dis « I believe in the halleluyah choirs of the shopping malls« . L’argent mène le monde alors?

Ouais, dans « I believe » je suis très sarcastique. Car parfois, comme tout un chacun, j’aime faire du shopping. « I believe that the strain of your heart will one day make a start with me ». Parfois, quand je chante ça, je le crois, parfois pas. C’est sur cette ambivalence.

Qu’est-ce qui influence les paroles de tes chansons? La littérature, la musique, le cinéma?

Le cinéma surtout. J’aime regarder des films et j’écris souvent après en avoir regardé. Je profite de l’atmosphère dans laquelle m’a plongé le film, et par le fait d’en être encore affecté.

A propos de films, à la manière dont Asian Dub Foundation a réécrit toute la bande sonore de La haine, quel film choisirais-tu?

(Long, très long silence). Tu n’es pas en train de me demander quel est mon film préféré n’est-ce pas?

Non.

Oui, c’est bien ce que j’ai compris (rires). Car mon film préféré, je l’ai vu deux fois, c’est avec Nicolas Cage qui est écrivain… Adaptation! C’est un putain de film de dingue. Il y a trois possibilités et tu peux choisir. Enfin, je crois que c’est ça, je ne suis pas sûr (rires).
Pour revenir à ta question, je pense que ce serait un mélange de plusieurs films : Betty Blue (37,2 Le matin), Raging Bull et Nosferatu. Des bouts de chacun d’eux oui.

Qu’en est-il de la littérature?

Je pense que c’est difficile à dire car j’adore lire. Forcément, de manière subconsciente, la littérature te donne du vocabulaire. Je crois que ça ne t’affecte pas consciemment, mais inconsciemment oui. Le fait de lire permet de rendre plus fluide et plus clair ton discours. Par exemple là maintenant, qu’est-ce qui fait que j’utilise les mots et les phrases que j’utilise? Personne ne le sait, mais ce que je lis joue forcément un rôle.

Quelle est la littérature qui te touche particulièrement?

C’est un domaine tellement vaste… J’aime Dickens, Antoine de St Exupéry, Sallinger… Qu’est-ce que j’ai lu récemment et vraiment aimé?… Fuck! J’ai relu toute la saga de la Guerre des étoiles par exemple. Rien à voir avec la sortie actuelle du film … Pour revenir au bouquin qui m’a récemment marqué, c’est « His dark secrets » ou un truc dans le genre. Merde, comment il s’appelle ce bon dieu de bouquin!

Est-ce difficile de mettre autant de toi-même dans tes disques?

Inévitablement tu mets du moi dans tes chansons. Il y a quelques chansons simples et honnêtes que j’ai écrites, mais la plupart du temps ce sont des dramatisations. Je mélange certaines parties de ma vie et celles d’autres personnes. C’est de la biographie en quelque sorte, mais pas de l’autobiographie. Quand tu es un enfant, tu écoutes une chanson, puis tu te la chantes. C’est principalement une mélodie, tu ne te souviens guère vraiment des paroles en fait…

« Gods and monsters » semble être un album qui prend toute sa signification lorsqu’on l’écoute tout seul, tu vois ce que je veux dire?

C’est un album plus austère, plus nu que les précédents oui. Je pense cependant à ceci : toi et une personne très spéciale, en voiture la nuit en été sous un ciel étoilé… (rires). Il y a encore de la place pour le romanesque.

Sur « Avenue of Hope », vous utilisez une trompette et un piano, ce qui donne une touche très latin-jazz qui est nouvelle chez vous, et qui peut même faire penser à Calexico. As-tu envie d’étendre la chose dans le futur?

Ouais, je pensais à Sergio Leone en fait. Nous pensions vraiment au film Le bon, la brute et le truand. Nous pensons toujours plus à des films qu’à des groupes. On imaginait Clint ici (rires). On verra si on utilise ça dans le futur, c’est plus par à coups que ça se fait ce genre de trucs.

Lorsqu’on vous évoque en live, vous avez une sacrée réputation, et vous êtes seulement trois. Aurais-tu envie, comme d’autres, d’avoir plus de musiciens, voire même un orchestre?

Non, pas vraiment. Nous aimons l’espace. L’espace dans la musique est ce qui lui donne sa grandeur. Pas un espace clinique, non, un espace qui lui donne sa majesté. Je pense que c’est la raison pour laquelle les gens nous apprécient en concert. C’est fort, mais pas trop, car il s’agit aussi de laisser de l’espace.

Que penses-tu de la musique actuelle?

Je pense qu’il y a une sacrée explosion post Strokes et post White Stripes. C’est bon pour tous ceux qui font de la musique. La musique est revenue au premier plan, elle est devenue à nouveau plus importante aux yeux des gens. C’est ça qui compte. Nous ne faisons pas partie de ce qui est « in », mais ça nous rapporte aussi tout ce mouvement.

Dernière question : quels sont tes 5 albums préférés?

1 The White album des Beatles
2 Best of de Leonard Cohen (1975)
3 Motorhead par Motorhead
4 Hunky Dory par David Bowie
5 Music for airports de Brian Eno.

De très belles photos ici.