Ce quintet anglais à l’allure parfaite était bien parti pour se tailler une place de choix chez les amateurs d’Interpol, Chameleons and co. Mais c’était trop beau.


Docteur, j’ai un problème. Je suis sujet à une grave dépendance. Cette drogue, je l’appelle « les groupes à guitare sophistiqués ». Des Chameleons en passant par Interpol, House of Love, The Church, Easterhouse, Robyn Hitchcock ou les Psychedelic Furs, impossible d’en décoller mes oreilles, il me faut ma dose quotidienne… Attention, les quantités doivent être infiniment bien dosées : un pincée d’urgence post-punk anglaise, une certaine flamboyance mélodique, et enfin un chanteur qui aurait appris sur le bout des ongles colorés les mimiques glam de Bowie. Ah si j’oubliais docteur, il faut aussi une petite facette lugubre, histoire de magnétiser un peu l’audience. Bref, dès qu’on mentionne ces modèles dans une chronique, un forum ou un torchon de cuisine, je ne peux m’empêcher de foncer tête baissée chez le disquaire, chercher sans ordonnance ma came.

Depuis tout petit, je suis conscient de ce vice caché et cela ne me dérangeait guère auparavant, mais depuis quelques temps les symptômes se sont aggravés… En particulier depuis ce nouveau groupe, The Departure. Le diagnostic est affligeant : incapacibilité d’avoir une opinion tranchée là-dessus, de distinguer le bien du mal, le bon du mauvais. Pour mieux embrouiller l’affaire, ce vert quintet (23 ans de moyennes d’âge) est très côté chez les spécialistes rock de la City, décrit comme la réponse british à Interpol. Formé il n’ y a même pas 18 mois, nos cinq lascars, tous originaires de la bourgade Northampton (sud de l’Angleterre), ont directement été signés chez Parlophone. Le chanteur s’appelle David Jones (la vraie identité de Bowie, ça ne s’invente pas) et dispose d’une garde rapprochée qui a fière allure : Sam Harvey (guitare), Lee Irons (guitare), Ben Winton (basse) et Andy Hobson (batterie).

Après trois singles, quelques dates au Japon et une première partie pour Placebo et Gang Of Four, voilà donc venue l’épreuve fatidique du long format. Pour sonner crédible, des spécialistes du mur du son ont été réquisitionnés : le vétéran Steve Osborne à la production et l’impérial Alan Moulder au mixe. Et l’illusion est parfaite : son impeccable, guitares rugueuses et inventives, une voix Curtisienne et puis une élégance certaine. Et pourtant…

D’un point de vue honnête, si The Departure se positionne bien en concurrent direct d’Interpol, à l’écoute des plans guitares de “Only Human”, il est pratiquement impossible de ne pas penser aux Chameleons. Ce groupe maudit aurait du déposé des brevets de leurs riffs, ils seraient milliardaires par les temps qui courent… Et pourtant, la bio nous indique que Dirty Words a plutôt puisé sa quintessence de trois disques de chevet : War de U2, Meat Is Murder des The Smiths et Violator de Depeche Mode. Soit… de toute façon, si on mélange ces trois là, on tombe sur un disque d’Interpol, sponsor officiel des Chameleons pour la quatrième année consécutive.

Détenteur d’une vigueur certaine, The Departure semble à chaque brûlot vouloir partir en bataille, faire front à l’envahisseur : une énergie vengeresse érigée via un forfait « effet reverb guitare » visiblement illimité et des textures synthétiques dark-wave, mais pas trop écoeurantes. En bon citoyen britannique, la musique de The Departure est portée par des dilemmes shakespeariens emplis de tourments et d’échos, boostée par une section rythmique intrépide et coléreuse. Si quelques bonnes idées s’en dégagent et certains titres démarrent sur les chapeaux de roues, malheureusement, les morceaux ne tiennent par leurs promesses sur la longueur. Peut-être peut-on l’incomber à l’effet de style qui prend le pas sur l’âme, ou tout simplement à un manque de talent patent ? Et c’est là le problème, on écoute ce disque avec plaisir, tiraillé par la frustration, l’impression d’avoir toutes les cartes en main sans parvenir à concrétiser ce sérieux potentiel. Bien entendu, en tant que fan du genre, on se contente des miettes. Dites, c’est grave docteur ?

Le site officiel de The Departure