L’ancien leader du Ben Folds Five, tire sur son second album solo un auto-portrait sincère, aux traits mélancoliques et encore une fois magnifique. Solitude, quand tu nous tiens…


Sur les notes de livret de Songs For Silverman, Ben Folds remercie éperdument Frally, sa compagne et mère de ses deux enfants. Le père Folds semble la porter, ne pas faire de distinction entre vie familiale et professionnelle, puisque sa muse est créditée en tant que « contributrice de l’album sur tous les points ». En voilà un qui n’a pas peur de céder ses royalties si l’avenir sentimental s’annonce moins radieux. Mais c’est ce trait de caractère romantique, limite candide de notre « Sentimental Guy », qu’on retrouve dans ces pop-songs prodigieuses et qui nous le rend plus attachant.

Voilà quatre ans, son premier disque « sérieux » en solo, Rockin in the Suburbs était parvenu à nous faire oublier la séparation du désormais mythique Ben Folds Five, power trio sans guitare (piano, basse, batterie) à la discographie parfaite. Plus pop, moins tarabiscoté que l’ultime Reinhold Messner, Rockin the Surbubs impressionnait par la masse de mélodies imparables occupée au M(inute)2. Malheureusement, Epic France boudera ce pianiste incroyable : le live suivant, Ben Folds Live, n’atteindra chez nous que les bacs « imports ». Seul sur scène accompagné de son piano, il confirme pourtant ses talents d’“entertainer” auprès d’une audience complètement renversée par son charisme. Là-dessus, on déconseillera fortement à Vincent Delerm de poser une écoute sur ce malstrom, de crainte qu’il ne se laisse pousser la barbe pour de bon et fuit honteux se cacher dans la grotte de Lascaux.

Le « Bens » vétéran (il a crée un trio avec ses homonymes Kweller et Lee) a depuis sorti quelques singles via son site web, un brin décevants, il faut le concéder. Qui a dit que signer sur une major n’apportait que des privilèges ?

C’est donc peu dire que les amateurs de pop-songs exigeantes savent qu’une nouvelle cuvée de ben Folds est l’un des grands rendez-vous de l’année 2005. Le pianiste compositeur-interprète affirme depuis ses débuts ne vouloir en aucun cas ressembler à un Billy Joel ou Elton John… et ce n’est que justice, car son talent mérite bien meilleur considération que l’association à ce club mièvre et has-been.

Placé en première ligne, “Bastards”, est vigoureux à souhait et démontre encore une fois des aptitudes de mélodiste hors du commun. Puis, la fougue se dilue au fil que l’on s’enfonce dans le disque pour laisser place à un tempo plus intimiste… Song For Silverman compte moins de chansons que son précédent album, mais semble paradoxalement plus long. Peut-être est-ce dû au nombre majoritaire de ballades sentimentales, reflet de la nouvelle vie rangée de Folds depuis la dissolution de son groupe fétiche ?

Visiblement encore marqué par sa dernière tournée en solo, ce nouveau recueil de chansons pourrait se passer d’une section rythmique tant ses compositions épurées se suffisent d’une voix et d’un piano. Promptes à cette démarche, les parties de piano regorgent d’une profusion d’idées géniales, et les arrangements évoquent les ambitions orchestrales de la dernière phase du Ben Folds Five. Parolier cynique, le voilà moins porté sur l’humour tranchant de Rockin the Suburbs. D’un caractère plus mélancolique, ces « chansons pour homme d’acier » produites en cinémascope sont paradoxalement empreintes d’une solitude douce, même si certains titres rendent hommage à sa fille (“Gracie”) ou à feu Elliot Smith, son équivalent « folk » (“Late”).

Plus personnel voire délicat, Silverman se veut au bout du compte un album solo digne de ce nom, moins démonstratif que son prédécesseur. Si certains déploreront de ne pas retrouver quelques perles immédiates de l’intensité d’un “Not The Same” ou “Annie Waits”, c’est que le sentiment général tend vers plus de simplicité tout en maintenant une qualité d’écriture largement au-dessus de la mêlée. Et lorsque le génie se réveille, les étincelles brillent toujours, comme sur “Time”, empreint de choeurs célestes, flânant autour des territoires de désolation d’un “Surf’s Up”; de même pour la cascade d’émotions sur “Trusted”, où la voix de Folds n’a pas son pareil pour tordre les coeurs.

Tout semble si facile pour Ben Folds : Chanteur, pianiste-multi-instrumentiste, parolier, mélodiste hors-pair, il collectionne les étiquettes. Ce disque frise l’écoeurement tellement tant de lyrisme semble être accouché sans douleur. Et le comble, c’est que Ben Folds ne se prend même pas au sérieux, comme le démontre sa récente cover de Dr Dre, “Bitches Ain’t Shit” disponible sur I-Tunes. La source du talent semble pour certains décidément intarissable.

Le site officiel de Ben Folds