Entre Pink Floyd, les Beatles et Talk Talk, Supergrass prend contre toute attente des risques commerciaux sur un – court – album. Mais si bon!


On entend ici et là que Supergrass a viré sa cuti. Le groupe lui-même avoue avoir pris une nouvelle direction, ayant l’impression d’avoir usé jusqu’à la corde le fil sur lequel ils étaient perchés, à savoir la pop foutraque dans laquelle ils se sont si bien illustrés. Ce virage avoué est en effet perceptible, même si leur patte est encore très présente.

Par exemple les cuivres et les ruptures de rythme qui caractérisent « Tales of indurance (parts 4.5 & 6) » ne sont pas si éloignés de « In the Money for it » tiré de l’album du même nom, même s’il est vrai que les guitares sont ici plus sèches qu’électriques, se rapprochant d’un Pink Floyd période Animals et Meddle. Un titre comme « Late in the day » ou le pianesque « Hollow your reign », au tempo très calme, mettant en exergue la voix de Gaz Coombes pouvait déjà faire deviner la suite non? Et puis dans « Moving », issu du troisième album, on pouvait déjà reconnaître la ligne de guitare du début de Animals. Mais si, avec les moutons qui braient…

Sans rentrer dans le détail, au gré des quelques interviews qu’on peut lire, Gaz Coombes déclare que le groupe a eu quelque mal à redémarrer après la compile célébrant leurs dix ans d’existence. De plus, des événements importants et aussi opposés que, d’un côté, la paternité et de l’autre la perte de sa mère (qui a également touchée son frère Robert aux claviers) ont quelque peu changé les priorités. Ceci dit, l’album a bel et bien été enregistré, en Normandie (d’où le titre de l’album), dans un endroit retiré et bucolique. D’une certaine manière, le groupe s’est remis en question du point de vue musical, mettant fin au style pop qui les caractérisait. Le propos s’est apaisé et assombri à la fois. En effet, outre le très joyeux instrumental « Coffee in the pot », inspiré d’un disque jazz qui traînait, et qui ressemble à de la musique pour enfants cubano-mexicains (…) ou à du Calexico tarabiscoté, les titres ressemblent majoritairement aux ballades coutumières du groupe (et qui faisaient office de ballades). Les guitares criardes et leur côté punk ou, en d’autres termes, le côté insouciant de la jeunesse a quelque part foutu le camp. Cela n’enlève rien au fait que Supergrass (passé quatuor avec le frère de Gaz Coombes) fait – si vous permettez l’expression – un putain de bon boulot. Sincère en plus. Car commercialement, mis de côté le single « St Petersburg », ça ne va pas être facile de vendre la chose… A cet égard, on ne peut s’empêcher de penser à Talk Talk qui, dans la fleur du succès, s’était mis à faire des albums pour le moins difficiles d’accès au commun des mortels (et rentrés par la même occasion dans la catégorie Albums cultes).

Lorsqu’on s’appelle Supergrass et que l’on a accumulé le succès que l’on sait, on a probablement envie à un moment ou un autre, la maturité aidant, de changer de registre. C’est pas sûr que ça fasse plaisir à la maison de disques, qui espère que le nom et le respect qu’en impose la réputation de celui-ci lui permettra sinon de faire des bénéfices, au moins de rentrer dans ses frais. Il est clair aussi que l’on ne se retrouve pas devant un groupe qui aurait totalement viré de bord. La trame reste la même, et l’on reconnaît vraiment la patte Supergrass : un putain de groupe rock en fin de compte qui, plus les années passent, se tourne vers ce qui lui a donné envie de faire de la musique. Une discothèque constituée de la discographie complète des Beatles et de John Lennon (« Roxy » et surtout « fin »), mais aussi Pink Floyd et Talking Heads (« Road to Rouen »).

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