A peine a-t-on fait connaissance avec Howl qu’on l’adopte aussitôt. Parce que l’album tourne en boucle sur nos platines, on veut en savoir plus sur ce changement de ton des turbulents Black Rebel Motorcycle Club. Aussi, lorsqu’une interview des américains s’est profilée à l’horizon, on a sauté sur l’occasion.
De nos inconnus, peu d’énigmes seront élucidées. Seule certitude, le groupe est devenu moins agité et arrogant que par le passé et moins avare en paroles, même si le discours reste peu volubile. Sur le tournant des compositions aux accents folk, Peter Hayes dira que le moment était venu pour sortir ces chansons et qu’il n’y a rien de plus à ajouter, le blues faisant partie de leur bagage musical depuis leurs débuts. Sur le retour du batteur Nick Jago (présent à côté de Peter lors de l’entretien), l’intéressé confiera qu’il ne s’était jamais beaucoup éloigné des autres. Par intermittence, il interviendra dans la discussion entre deux dessins représentant des personnes assis en terrasse du Palais de Tokyo et un portrait de votre serviteur.
Le profil bas, on découvre alors deux jeunes gens timides et d’une simplicité étonnante. La conversation touchant à sa fin, de notre rencontre on retiendra du groupe une sobriété dans les propos qui cherche à donner une image de personnes réservées faisant corps le plus naturellement possible avec leur musique. Pour comprendre leur évolution musicale, l’indice est donc plutôt à chercher du côté du comportement des musiciens, discret et tout en retenue. Toutefois, même si le combo américain s’est assagi, l’esprit du rock reste bien entretenu. Qui a parlé de sobriété ?
Pinkushion: Endroit inhabituel que le Palais de Tokyo pour un entretien?
Peter Hayes (Guitare, Chant): Nous voulions visiter un quartier de Paris que nous ne connaissions pas. Lorsqu’on nous a proposé de donner des interviews au Palais de Tokyo, on a sauté sur l’occasion.
Nick Jago (Batterie): Nous avons fait une petite excursion dans le musée et repéré quelques oeuvres d’art contemporain intéressantes. On a fouiné dans le magasin de souvenirs. On y trouve des tas de choses insolites comme des pilules pour stimuler son énergie intérieure, ou d’autres pour capturer l’aura de Dieu.
Peter Hayes: Il y a des pilules pour être entreprenant, devenir un grand écrivain… (Ndlr – Rires. La visite du magasin vaut en effet le détour).
Pinkushion: Avez-vous des affinités particulières avec l’art contemporain?
Nick Jago: J’ai un peu étudié à l’école certains artistes mais sans vraiment approfondir le sujet.
Pinkushion: Actuellement, les designers français M/M ont relooké le palais à leur image. Qu’est-ce que vous en pensez?
Peter Hayes: J’ai entendu parler de ces mecs, ils sont à la mode en ce moment. Je ne comprends pas trop l’intérêt de relooker Calvin Klein. Ça n’a pas de sens. Leur travail ne me parle pas. En insérant leurs propres logos sur ceux de Calvin Klein, je ne sais pas s’ils s’amusent de la situation pour se moquer de lui ou s’ils l’encensent. M/M font du graphique design assisté par ordinateur et non des oeuvres d’art.
Pinkushion: Quel type d’art aimez-vous?
Nick Jago: Dans la peinture, j’aime bien Gerhart Brüder. C’est un peintre allemand qui commence à avoir une certaine reconnaissance et une influence sur la peinture moderne.
Pinkushion: En écoutant votre nouvel album Howl, on a l’impression que vous revenez à vos premières influences, aux racines du blues et du folk.
Peter Hayes: En effet, nous voulions revenir à une musique plus directe dans sa structure avec moins d’effets, de distorsions. Certaines chansons ont été composées à l’époque du premier album mais nous avons préféré les écarter au profit d’autres avec plus de guitares électriques. Puis, nous n’avions pas assez de chansons pour faire un album du même style qui soit cohérent. Depuis tout jeune, nous sommes bercés par des sons acoustiques, la musique blues, folk. Robert (Robert Turner, bassiste du groupe – Ndlr) adore Sam Cook, Johnny Cash. Nous pouvions refaire un album comme le précédent Take them on, On their own mais nous avons choisi une autre option. De toute façon, Howl comme les deux autres disques, contient la même énergie, la même âme du rock’n’roll.
Pinkushion: As-tu grandi dans une famille qui écoutait ce genre de musique?
Peter Hayes: Pas vraiment. Ma mère écoutait beaucoup de flamenco. Mes premiers souvenirs de musique sont des chansons espagnoles. J’ai grandi dans une famille où nous allions tous les dimanches à la messe. Je me rappelle des choeurs d’église. Mon père écoutait du classique soit sur vinyles ou à la radio. Puis, adolescent j’ai commencé à m’intéresser au rock, Jimi Hendrix, Pink Floyd et la country. Je cherchais dans les bacs à soldes des vieux blues. Il y a tellement de bons musiciens mais malheureusement rarement disponibles au grand public. Le mauvais blues ne reste pas caché lui. Le pire c’est que beaucoup de personnes aiment bien cette merde (Ndlr – Rires).
Pinkushion: A l’origine votre nouvel album devait s’appeler Americana. Pourquoi avoir changé son titre?
Peter Hayes: Nous avons eu peur que ce titre ne soit trop lourd à porter et qu’on nous taxe de trop américains (Ndlr – Rires). Puis, le label a eu peur que le virage soit trop à angle droit, que le public ne se retrouve pas dans l’image du groupe. « Si vous vous éloignez de vos références, les gens ne suivront pas. Pourquoi ne pas brouiller les pistes ? nous ont-ils suggéré ». (Ndlr – Rires). Donc on a décidé de l’appeler Howl.
Nick Jago: C’est comme si on mettait une surprise à l’intérieur du gâteau d’anniversaire.
Pinkushion: Howl fait référence au livre d’Allen Ginsberg. Partagez-vous la même attitude que celle des poètes de la beat generation?
Peter Hayes: On ne se revendique d’aucun mouvement, d’ailleurs je ne crois pas que la beat generation voulait appartenir à un quelconque mouvement, c’est des histoires de business pour que les éditeurs vendent leurs livres. Les mecs vivaient une aventure personnelle faite de découvertes au gré de leurs péripéties, autour du sexe, des drogues, de la musique. Puis des personnes aux dents longues se sont emparées de leur image pour se faire de l’argent. Il faut faire attention avec l’image qu’on veut te coller. C’est comme pour le film The wild one (Black Rebel Motorcycle Club a emprunté son nom à la bande de motards du film L’équipée Sauvage (The Wild One), film de Laslo Benedek avec Marlon Brando et Lee Marvin datant de 1953 – Ndlr) qui date je crois des années cinquante. Alors que le rock n’en était qu’à ses balbutiements, le groupe de bikers se faisait appeler beatniks et aujourd’hui on les taxe de rockers.
Notre nom de groupe comme le nom de cet album sont juste des références à ce qu’on aime. On se retrouve dans la beat generation par ce côté expérience mais ça s’arrête là. J’ai beaucoup voyagé à travers les Etats-Unis, faisant une halte au milieu de nulle part, dormant dans des bars perdus en pleine campagne.
Pinkushion: Qu’est-ce que ces voyages t’ont apporté?
Peter Hayes: Le principal enseignement de ces balades repose sur le cours de la vie. Tu peux mourir dans un endroit retiré du monde et personne ne le saura ni s’en préocupera. Et une fois que tu reviens à la civilisation, tu réalises combien tu es un individu quelconque, qui n’a pas grande importance aux yeux des autres.
Pinkushion: Vous semblez vous concentrer plus que tout dans le passé sur une écriture tangible qui reflète votre vie. Est-ce que vos textes s’inspirent des oeuvres des poètes de cette époque?
Peter Hayes: Il est vrai que de plus en plus les textes prennent de l’importance dans notre oeuvre. Nous n’avons plus peur de nous cacher derrière l’électricité, nous assumons aujourd’hui la faiblesse de nos textes même si nous travaillons beaucoup les paroles. Nous cherchons à ce que nos textes fassent un tout avec la musique et qu’ils évoquent une partie de notre vie la plus réelle possible.
Je ne suis pas influencé par un écrivain en particulier. En plus, j’ai une mauvaise mémoire et ne suis pas assez malin pour citer en interview des noms qui font bien. Le but lorsque tu lis un livre est à mon sens de puiser un sens personnel à l’histoire, je ne suis pas trop calé pour le name-dropping. On nous parle beaucoup du changement de direction musicale que nous avons pris avec cet album mais nous avons toujours joué en acoustique, pour des sessions radio ou pour des shows dans la rue. Nous reprenons nos vieilles chansons avec une guitare comme « Love burns », « Salvation » et elles paraîtront peut-être en b-sides prochainement. Si tu n’arrives pas à jouer tes chansons avec une guitare c’est qu’elles ne reposent sur rien. Nous sommes revenus simplement à l’essence de la musique.
Pinkushion: Vous avez fait la première partie de U2 à Glasgow il y a quelques jours suite à leur demande. D’être ainsi invité par un groupe d’une telle ampleur, comment l’avez-vous perçu?
Peter Hayes: C’est gratifiant d’être sollicité par un groupe comme U2. De plus, ce fut une chance de pouvoir jouer en face de milliers de personnes qui peut-être ne te connaissent pas. Devant leurs fans, on a essayé de proposer un set qui nous mette en valeur.
Nick Jago: C’est une opportunité qu’il fallait saisir, en plus U2 nous aiment bien donc il nous restait à plaire aux gens qui venaient les voir.
Peter Hayes: Tous les groupes de rock aimeraient faire la même carrière qu’eux. Sincèrement, je trouve que ce qu’ils font est plutôt remarquable. Ils jouent devant un public conquis et essayent d’aider des groupes à se faire connaître plus largement. En plus, ils se battent pour des causes qui méritent le respect. Il y a beaucoup d’autres groupes qui sont très connus qui n’en font pas autant et ne pensent qu’à eux et gagner plus d’argent.
Nick Jago: L’autre soir on était invité à jouer avec Patti Smith. C’est gratifiant de faire partie d’une même communauté de musiciens qui militent et font encore de la bonne musique.
Pinkushion: Jugez-vous les positions politiques de ces artistes proches des vôtres?
Peter Hayes: L’art est politique et puise son inspiration dans des faits politiques. D’ailleurs, c’est une des raisons pour lesquelles les gouvernements marginalisent ceux qu’ils ne veulent pas servir (le mainstream) et abêtissent les autres avec un lavage de cerveau médiatique. Tant que l’art revendicatif restera dans l’underground et n’intéressera qu’une partie infime de la population les choses n’évolueront pas. Mais si un large public peut avoir accès à cet art dit alternatif et que les puissants s’y intéressent, il peut y avoir des changements. Les gouvernements gagnent à contrôler l’art, à asservir les gens en leur proposant des oeuvres formatées. En appauvrissant la culture, les classes sociales qui n’ont pas accès à d’autres moyens de divertissement que la télé ou la radio ne pourront jamais faire partie d’une autre société plus éveillée. De cette façon chacun reste à sa place et n’interfère pas dans le discours des gouvernants. Si demain un autre visage plus critique est offert au monde ça risque de devenir dangereux pour les institutions en place.
Black Rebel Motorcycle Club – Howl
-Lire également la chronique de Take them on, On your own
-Le site de BRMC