Propulsé sur une major, le quatuor américain tente une percée dans les sphères pop alambiquées. Pas toujours concluant, mais quand même.


Généralement, lorsqu’un excellent groupe de rock indépendant connaît le succès, les langues commencent généralement à se fourcher et les spéculations vont bon train sur sa cote de crédibilité. Après l’impressionnant déballage d’artillerie sur Transatlanticism, il aurait été étonnant de voir Death Cab For Cutie continuer à stagner dans le giron alternatif. C’est ainsi qu’Atlantic leur a offert un pont d’or et surtout une distribution à grande échelle, avec des rentrées non moins considérables pour promouvoir leur précieux label indépendant Barsuk (Nada Surf, The Long Winters, Rilo Kiley…). Le succès ne venant jamais seul, le leader Ben Gibbard et le guitariste Chris Walla connaissent hors du groupe une ascension tout aussi remarquable.

Peu avant Transatlanticism, Ben Gibbard a goûté au succès via son duo avec Jimmy Tamborello (DNTL) mené par correspondance, le Postal Service. Il a ensuite eu l’honneur avec DCFC de faire la couverture de Rolling Stones Magazine (US) avec Springsteen and co grâce à son engagement dans la tournée « Vote For Change ». Oui, John Kerry, ça vous dit vaguement quelque chose ? Un souvenir lointain… De son côté, le guitariste Chris Walla a également un agenda très chargé en tant que producteur, avec à son palmarès les superbes albums de The Decemberists et Nada Surf. Avec toutes ses activités, est-ce que Death Cab For Cutie trouve toujours le temps d’écrire des chansons dignes de ce nom ? La question est légitime.

Cinquième album, et premier virage chez une major, Plans est -ne tournons pas autour du pot- frustrant. Il faut dire que le superbe Transatlanticism en 2003, qui est un peu leur The Bend, avait levé la barre très haut. C’est un peu interloqué que l’on ressort de l’écoute du disque dans un premier temps. On cherche à assouvir nos désirs de guitares vibrantes, celles croisées sur “Expo 86” ou “The Sound of Settling”, en vain. A la place, des claviers traîtres ont occupé le terrain de jeu et le tempo a suivi. Death Cab For Cutie prend grand soin de ne pas suivre le sillon de son précédent opus : huit titres sur onze sont des ballades (haaaargh ! le mot est laché) atmosphériques (ah oui, là on se rattrape). Bon, ce n’est pas une surprise non plus, Death Cab a toujours excellé dans les tempos ralentis, tous leurs disques en regorgent. Pourtant, au-delà de la déception, on ne décèle pas vraiment de titres calibrés pour occuper un maximum d’espace dans les bacs de présentation de la Fnac. Hormis l’excellent single, “Soul Meets Body” et l’aiguisé “Crooked Teeth”, les autres titres ne cèdent pas à la facilité et s’enfoncent même dans des constructions alambiquées. On retrouve d’ailleurs quelques-unes des compositions les plus touffues du groupe comme “Different Names for the Same Thing”.

Mais passé la barrière de l’appréhension, Plans dévoilent des charmes qu’on n’avait pas envisagé au départ. Il y a d’abord et toujours la voix inimitable de Gibbard et ses paroles souvent inspirées (l’introductif “Marching Bands of Manhattan”). Autre bon point, la production impeccable de Chris Walla vaut toujours à elle seule le détour, imbriquant génialement séquences analogiques et sachant malgré tout recréer ce son chaleureux de quatre musiciens réunis dans une pièce. Il faut reconnaître à ce groupe une intelligence, une connaissance rare du son qui leur permet d’éviter les pièges en sonnant comme un énième (bon ou mauvais) ersatz de U2.

Si le charme est moins instantané, l’inspiration n’a pas déserté les lieux, encore moins le spleen toujours bien imprégné dans les murs. Résolument plus recherché, la qualité qui s’en dégage sera peut-être plus durable que sur les opus précédents, même s’il est un peu tôt pour déjà s’avancer là-dessus. Parmi cette volonté de virer la spontanéité, il y a tout de même une énigme, le très beau “I Will Follow You into the Dark,” où Ben Gibbard s’accompagne seul d’une guitare acoustique, manipulant quelques lyrics qui font froid dans le dos. On ne pensait pas le bonhomme capable d’une telle épuration de sentiment. Peut-être une direction envisageable pour le prochain opus, puisque ce groupe sait si bien nous prendre à rebrousse-poil.

Finalement, Plans renoue avec la mélancolie apaisée du superbe We Have The facts and we’re voting yes (2000), les guitares cette fois troquées contre des claviers, renouvelant ainsi sa carlingue. Disque du « dilemme », il y a autant de bonne raisons pour le bouder qu’il y en a pour l’apprécier.

-Lire notre entretien, Le rock sans frontières de Death Cab for Cutie (avril 2004)
-La chronique de Transatlanticism
-La chronique de Give Up (Postal Service)
-Le site de Death Cab For Cutie
-Le site du label Barsuk