Un rencard avec le plus grand crooner rock contemporain d’Angleterre, ça ne se refuse pas. Non, désolés sir Morrissey et Mc Culloch.


Des rendez-vous manqués dans la pop, on en a essuyé des tonnes : des artistes qui dès le second album ne tenaient par leur promesse et remplissaient notre cœur de désillusion, puis le jetaient dans un coin. Richard Hawley, lui, ne nous a jamais fait faux-bond. Il faut l’admettre, en cas de détresse, son nom ne figure pas vraiment en tête de liste de notre carnet d’adresse. Et pourtant, voilà un ami fidèle, un vrai gentleman qui connaît les bonnes manières et les mots bien pesés pour nous remonter le moral. Et nous, égoïstes que nous sommes, on ne l’estime pas à sa juste valeur. Peut-être est-ce dû au fait que l’illustre guitariste de Pulp n’est pas du style à avoir l’âme d’un meneur d’équipe. Non, Hawley serait plutôt du genre solitaire, à rester timidement sur le banc de touche, à observer l’action confortablement en retrait, puis éventuellement rentrer sur le terrain vers la fin de la partie pour assurer à l’équipe la victoire. Ça, Jarvis Cocker l’avait compris avant tout le monde du temps de Pulp. Finalement, Richard Hawley n’a pour l’instant jamais vraiment récolté les lauriers de la gloire, à l’instar d’un Jack Nietzsche caché derrière la mégalomanie d’un Phil Spector. On exagère, mais si peu.

Ce doux dandy de Sheffield est tellement détaché qu’il a fini par se lancer dans une carrière solo. Ses deux premiers albums ont reçu un accueil discret, bien qu’immensément respectés par des gens comme Scott Walker, REM et une solide poignée de fans admirateurs d’une certaine idée du lyrisme élégant.

Et puis tandis qu’on l’aurait vu continuer à produire des disques tranquillement chez l’indépendant Setanta, le voilà muté sur Mute Records, filiale « indé » du géant EMI. On se demande bien ce que musicien effacé peut bien manigancer au milieu de l’electro décadente de Goldfrapp, Add n To X voire même du larsen bruyant de Sonic Youth. Car la musique du songwriter est d’une étoffe rare : des ballades douces amères, ornés d’harmonies chatoyantes. On le sait capable d’écraser du petit doigt la concurrence lorsqu’il est en forme, une torch-song monstrueuse du calibre de « Run For Me », mélopée symphonique qui renvoie à la fanfare du collège Mercury Rev.

Coles Corner ne relève pas de changements radicaux depuis l’opus précédent, si ce n’est que la voix du baryton à encore pris de l’ampleur. Une voix qui ne semble jamais sentir l’effort, croonant sur des arrangements de classicisme dont seul ce fin musicien a le secret. Grand érudit, Richard Hawley se détache de plus en plus des clivages pop britanniques où il a officié depuis le début des années 80, pour tenter l’exil américain, celui des mythiques disques Sun fifties. D’un caractère timide, les chansons de ce sosie de Roy Orbison respirent l’hommage aux pionniers. “Darlin’ Wait For Me” et “Hotel Room” sont des hommages évidents aux ballades bluettes du King, sans oublier Gene Vincent et Eddie Cochran.

Et puis il y a aussi des panoramas en cinémascope : “Coles Corner” ouvre magistralement le disque, porté par une section de cordes mélo-dramatique spectaculaire. On croirait presque entendre Clark Gable débarquer à cheval dans notre salon aux côtés de Mam’zelle Scarlertt. Placés au milieu du voyage, il y a deux sommets : tout d’abord “Ocean”, une croonerie mégalo où Hawley rivalise de candeur avec le grand Frank. Et puis “Born under a Bad Sign”, country song sur le thème du looser éternel, exorcisé à la manière d’un Johnny Cash « anglais », dirons-nous. Exquis, on atterrit en douceur sur le reste du disque sans jamais se prendre de malencontreux trous d’air.

“Maybe there’s someone waiting for me. With a smile and a flower in her hair » chante-t-il. On se dit peut-être que c’est nous qui devrions venir au rendez-vous pour une fois. On le lui doit bien.

-Lire également notre chronique de Lowedges (2003)

-Le site officiel de Richard Hawley