L’occasion de rencontrer une légende du rock ne se présente pas tous les jours. Même si les Bunnymen n’ont jamais connu la gloire des Smiths, New Order et autres Cure, Mac et sa bande n’ont jamais rien eu à envier à leurs acolytes, ne serait-ce que pour « Ocean Rain » (1984), qui reste l’un des chefs d’œuvre impérissables des années 1980.


Surtout, Ian McCulloch et Will Sergeant sont toujours là, sans se contenter de faire de la figuration comme d’autres icônes de l’époque… Enchaînant des albums souvent de très haute facture depuis leur spectaculaire come back de 1997, ils nous livrent avec « Siberia » l’une des véritables réussites de cette deuxième période.
Quelques semaines avant un concert parisien (le 15 novembre au Trabendo), Mac commente ce nouvel album et se livre sans détour, parfois arrogant crâneur mais toujours touchant et sympathique. On découvre à la fois un chanteur en perpétuelle quête de reconnaissance, et un grand songwriter à la recherche de la « pop song » parfaite…

Pinkushion : je voudrais commencer par te demander tes sentiments sur ce nouvel album, et comment tu vois sa place dans la discographie des Bunnymen…

Je ne suis pas journaliste ! Il est évident que je ne l’aurais pas fait si je ne pensais pas qu’il est génial. Je pense qu’il est fantastique. Mais bon, c’est votre boulot de me le dire. What are you gonna do with your life était un disque un peu différent. La chanson elle-même est l’une des meilleures que j’ai jamais faites. Il y a des gens qui disent que c’est comme un album solo, mais bon j’écris toujours toutes les chansons moi-même. Je crois que ça s’inscrit dans… (il s’interrompt, regardant la vitre, ndlr). Il y a une mouche. C’est une guêpe ou une mouche ?

C’est une abeille je crois. (Je me lève pour la chasser).

Ouais, une guêpe. Donc je disais que beaucoup de gens pensent que cet album est plus à sa place que certains des truc récents. Le manière dont la guitare apparaît, peut-être. Mais bon ce n’était pas conscient. Je crois que c’est juste le résultat des trois dernières années où le groupe a joué ensemble. Ca fait pas mal de temps. Des gens qui font le tour du monde ensemble, et qui sont aussi des amis. Mais tu vois, c’est juste moi et Will maintenant, ça ne pourrait pas être autrement. Depuis la mort de Pete, ça deviendrait trop bizarre sinon.

What are you gonna do with your life mettait surtout en avant ta voix, alors que Siberia laisse plus de place à la guitare.

Oui ça s’entend, je crois que c’est un bon équilibre. Le mixage est vraiment très bon. Will complète bien ce que je chante et joue. Ce n’est pas forcément une simple soupe de voix et d’harmonies. Il joue en connaissant la dynamique de la chanson. Il sait comment ça marche aussi bien que moi. Et donc il y a plein de place pour sa guitare, des breaks aussi.

Comment travailles-tu avec Will pour la composition et l’enregistrement ?

La plupart des chansons, je les ai écrites sur une guitare acoustique, chez moi. Ensuite je les joue avec Will en disant ça c’est la batterie, ça c’est la mélodie, et puis il joue par dessus. Sur cet album tout ce qu’il apportait semblait vraiment bon, instinctif.

Vous procédiez de même dans les années 80 ?

D’une certaine manière, oui. “The Killing Moon” a été plus ou moins faite comme ça. J’ai écrit les accords et une ligne mélodique, et puis je l’ai jouée aux autres. Mais maintenant c’est très facile pour moi de le faire, alors qu’auparavant j’étais très timide pour ça. Parce que tout était partagé en quatre, même si ce n’était pas vraiment le cas : Les Pattinson n’écrivait pas de chansons, je ne crois pas qu’il y soit jamais arrivé. Il jouait de la basse sur ce que j’écrivais et les idées de Will. Depuis le come back, “Nothing Lasts Forever” et ensuite “What are you Gonna do”, en général j’écris tout, chaque chanson. Mais sur celui là, Will a été à l’origine de quelques trucs. “Scissors in the Sand” s’est construit entièrement sur un riff, un simple riff, du genre classique. “Make us Blind” dérive d’une ligne de guitare de Will, et j’ai rajouté des accords. Mais le reste a été fait sur mon acoustique.

Coucou ! Nous revoilou !


Il y a beaucoup de chansons sur cet album qui sonnent immédiatement comme des classiques, comme “All Because of You Days”. Est-ce quelque chose que tu recherches consciemment ?

Oui, c’est la manière dont j’essaie d’écrire. Tu vois, je ne veux pas écrire une chanson qui n’est pas un classique.

Est-ce que tu ne recherches pas davantage cet aspect classique, de pop-song simple et efficace, que dans les premiers albums du groupe ?

Honnêtement, si. J’aime que les chansons soient des chansons, qu’elles parlent de quelque chose. Mais des choses comme “Parthenon Drive” ou “Scissors in the Sand” sur cet album sont un peu différentes de ce point de vue. C’est Will qui est arrivé avec ça, et on a essayé de le transformer en chanson, ce qui ne s’est pas avéré très difficile. Ca prouve que l’on peut encore écrire de cette façon, et que je peux faire à la fois du songwriting très classique et des choses plus moins structurées, plus décalées.

Le come back des Bunnymen est l’un des rares comeback artistiquement réussis de la pop musique. Qu’est-ce que ça représentait pour toi : reprendre quelque chose qui n’aurait jamais dû s’arrêter, ou prendre un nouveau départ ?

Pendant très longtemps j’ai refusé d’envisager la reformation du groupe. Quand des gens le suggéraient, je croyais fermement que ça n’arriverait jamais. Et puis un jour – une nuit en 96 – quelqu’un m’a téléphoné, un vieil ingénieur du son, et m’a dit « pourquoi tu n’y réfléchis pas ? » Et ça m’a paru être une manière de retrouver ma maison spirituelle, et également un moyen d’écrire toutes les chansons que je voulais écrire. Ca paraissait logique. A ce moment là, en tant que personne, je dérivais complètement. Je ne suis pas la personne la plus conventionnelle, au niveau du style de vie… A cette époque j’aurais vraiment pu mourir, je me disais « à quoi bon ? » Mais tout cela m’a donné une raison de vivre. Ca m’a paru être ma place naturelle. Pour moi, ça fait partie des raisons pour lesquelles ce come back a marché. Et c’est “Nothing Lasts Forever” qui a lancé ce qui était une deuxième phase, je suppose.

J’avais besoin que nous sortions nos meilleures chansons, nos chansons les plus nécessaires, et sans cette chanson là ça aurait été beaucoup plus difficile. Elle est entrée directement au numéro 8 en Angleterre, dès la première semaine. On n’avait jamais fait ça dans les années 80. C’est ça qui importe, écrire une grande chanson : “Nothing Lasts Forever”, “In the Margins”, ou “What if we are”… Si tu n’as pas de chansons tu n’as rien. C’est ce que j’ai toujours recherché, la raison pour laquelle je fais de la musique : faire comme Bowie. “Life on Mars” est une grande chanson : elle t’appelle, et tu es aspiré, enveloppé par cette chanson.

Mais Evergreen était très en phase avec la scène musicale de l’époque, dominée par des groupes comme Oasis ou The Verve, un peu comme si vous leur disiez « regardez, on peut faire la même chose que vous, mais en mieux ».

Ha ha ! Oui, il y avait certainement de cela dans “Nothing Lasts Forever”. Et Liam (Gallagher, ndlr) qui chantait dans le refrain. Cette chanson était meilleure que “Wonderwall” ou qu’une autre chanson d’Oasis ou The Verve ! Enfin, j’aime bien “Bitter sweet symphony”, mais ce n’est pas vraiment leur chanson, c’est les Stones ! (Elle plagie le riff de “The Last Time”, ndlr) Donc, c’est vrai que tout ce contexte était assez important à l’époque.

Oui, mais maintenant le contexte est un peu différent : les groupes qui dominent rendent hommage aux années 1980, et citent souvent explicitement Echo & the Bunnymen. Je pense à Interpol, Franz Ferdinand ou Coldplay… On dirait que votre nouvel album est également influencé par ce contexte. Il ressemble davantage aux vieux albums des Bunnymen.

Oui, oui, je crois que Hugh Jones (producteur de Siberia et également des premiers albums d’Echo & the Bunnymen, ndlr) a quelque chose à voir là-dedans. Et puis quand je vais au studio je garde toujours ce qu’on me dit à l’esprit, que ce soit mon grand frère, les critiques, ou des filles… Et là j’étais évidemment conscient que des groupes nous avaient cités. Chris de Coldplay m’a appelé, et j’étais très impatient de les rencontrer (Chris Martin joue et chante sur l’album solo de MacCulloch, Sideling, 2003, ndlr). J’ai lu qu’il m’a cité au même niveau que Bob Dylan et les Rolling Stones pour les paroles, c’était sympa. Pour eux je suis plus que le chanteur d’un groupe : je suis Mac des Bunnymen, avec le manteau, les ombres, et la coiffure, et les mots qui sortent de moi : je suis le Poète. Mais bon avec certains des autres groupes… j’ai l’impression que les voix sonnent mal ! Pourquoi ils chantent ? Ils ont des airs accrocheurs mais je crois qu’ils aiment davantage l’idée d’être dans un groupe que ce qu’ils font. Je ne sais pas… Je ne suis pas un grand amateur de musique, je n’en écoute pas très souvent. Même quand je tombe sur un album comme Want One de Rufus Wainwright, je me dis « wow, c’est incroyable » et je l’écoute tout le temps, et puis j’arrête d’écouter de la musique.

Et des vieilleries, tu en écoutes en ce moment ?

Toujours Bowie, et Stevie Wonder. J’adore sa voix. « Yester-me, yester-you, yesterday », je ne sais pas combien de fois j’ai écouté cette chanson en boucle, et je n’arrive toujours pas à croire à quel point cette chanson est géniale et les paroles sont bonnes. Et la voix est la plus incroyable que j’aie jamais entendue. J’aime les vieux trucs, ils paraissent toujours plus réels, plus crédibles. Saturer les gens de musique semble être devenu une nécessité aujourd’hui. Même les trucs merdiques des sixties sonnent toujours plus authentiques. Je voulais que ce nouvel album soit le plus authentique possible. Et mon idée pour le prochain album est qu’il soit simple et direct, peut-être sans batterie. Je veux le faire en une semaine, avec des violoncelles et du piano.

Les gens retiennent surtout des Bunnymen le côté atmosphérique de vos disques. Ocean Rain est sans doute l’album préféré de beaucoup de gens. Et pourtant maintenant tu préfères revenir à des choses plus simples et authentiques.

Oui, oui, je veux faire les chansons que je veux entendre. Ca va être très mélancolique.

Pour revenir à tes paroles, elles laissent une place à l’espoir, il y a un certain romantisme, mais toujours sur ce fond très sombre, mélancolique.

D’autres personnes le remarquent plus que moi, mais comme type je pense toujours que je suis positif, drôle et donc heureux. Mais être positif et drôle ne veut pas dire que tu l’es. Parfois je réalise soudain que je me sens très mal, mais je ne veux pas que les gens le sachent. De toute façon, souvent ils ne le remarquent pas. En général je suis occupé, j’ai des choses à faire, par exemple monter sur scène… et quelque chose me dit que je ne me sens pas bien. Maintenant, une fois que j’aurai fini ces interviews, j’ai juste envie de rester allongé.

Remerciements à Tanguy

-Lire également la chronique de Siberia

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