Deux albums réédités en guise d’introduction à l’univers de ce songwriter précieux, élevé au biberon des grands pontes de la pop 70’s, Randy Newman et Harry Nilsson. Une seconde facette de son travail laisse entrevoir une personnalité plus tourmentée. Intriguant.


La dernière lubie du prestigieux label Secretly Canadian est un jeune homme de 27 ans qui répond du nom de Richard Swift. Et qui porte bien mal son nom (trad : rapide, martinet) ! En toute logique, celui-ci devrait s’appeler Richard Sweet tant sa musique est évocatrice de volupté, douceur. Pratiquement inconnu, Swift a pourtant déjà à son actif six albums artisanaux, distribués en très maigre quantité (pour les copains quoi). Véritable coup de coeur du faux label Canadien basé dans l’Indiana, Secretly Canadian réédite deux de ses albums sous un copieux double CD, en guise d’introduction, avant la parution d’un tout nouvel opus annoncé pour printemps 2006.

Richard Swift est né dans le Minnesota, puis a ensuite grandi en Californie. Loin de la tumultueuse côte Ouest, on sent bien que sa musique s’épanouit plutôt à travers ses souvenirs d’enfance passés dans une ferme au nord du pays. Car The Novelist / Walking Without Effort est imprégné de valeurs authentiques, nostalgie d’un temps révolu -meilleur qu’aujourd’hui ça va de soi. Rien que la pochette du disque est un manifeste, réminiscence d’un de ses vieux 33 tours de folkgsingers (Dylan, Cohen), fixant l’objectif de l’appareil photo d’un air mystique, le tracklisting placé en évidence à droite. Désormais, on trouve ce genre de présentation dans les bacs de librairies, un écrivain prenant la pose en couverture de son ouvrage. Times are changin’

Mais cet esprit « vintage » ne se cantonne pas qu’au visuel et s’imprègne aussi sur disque. Ici règne en maître l’odeur des vieux vinyles, cette chaleur qui remplacerait presque un bon vieux feu de cheminée. Jusqu’à sa rencontre avec les fins dénicheurs du label Secretly Canadien, Swift ne jurait d’ailleurs que par le saphir de sa fidèle platine stéréo, ne publiant ses albums que sous format vinyle. On suppose alors que son nouveau label a du batailler ferme pour finalement lui faire signer une distribution CD. En vérité, il n’en est rien, en témoigne la sortie récente de l’album Instruments of Science & Technology, radicalement tourné vers des sonorités plus… modernes.

Swift est donc de la trempe de ses musiciens imprévisibles, et son background musical est déjà conséquent. Ce premier volume de réédition (le reste devrait suivre) pourrait tenir sur un seul CD en terme de quantité, mais chacun des deux albums détient une telle originalité que le choix du double album s’avère plus juste et respectueux.

Le premier chapitre de ce Collection Volume 1 regroupe d’abord l’album Walking Without Effort enregistré en 2001. C’est le disque le plus consistant des deux, le plus accessible aussi. Swift se présente à nous comme un esthète, portant une certaine fascination pour les pop songs dites nobles, façonnées de manière à défier le temps. En tout cas, toutes les dispositions ont été prises pour. Les huit chansons (plus une ouverture instrumentale, c’est une tradition sur ses disques) ont été produites à la manière d’un Jon Brion, avec un soin méticuleux porté aux arrangements chatoyants : des cuivres débonnaires, une touche de xylophone rêveur, clavier classieux… La qualité d’écriture ne manquera pas d’évoquer au fil qu’on avance la timidité d’un Ron Sexsmith (“Half Lit”), les désillusions d’un Harry Nilsson (“Above & Beneath”) voire sur la fin la théâtralité d’un Rufus Wainwright (“Beautiful Heart”). A 27 ans, Swift chante déjà avec l’éloquence d’un Randy Newman, avec ce grain un peu brisé qui donne certainement plus de maturité qu’il n’en suppose.

Le deuxième recueil, emprunte des chemins plus sinueux. Enregistré dans sa chambre sur un modeste quatre pistes, The Novelist est nettement plus court que le précédent (19 minutes). Malgré ses possibilités techniques limitées, ces pop songs se vrillent, optent pour une carapace plus cabossée qui n’est pas sans lui conférer le parfum cabaret d’un Tom Waits, voire les déconstructions baroques d’un Van Dyke Parks. A bien des égards, on jurerait que The Novelist a été enregistré bien avant Walking Without Effort, alors qu’il n’en est rien (le disque date de 2004, contre 2001 pour l’autre). Certaines chansons ont visiblement plus de caractère, même si les influences sont encore un peu trop flagrantes. Il reste que cette atmosphère de music-hall transposée sur cassette s’avère touchante, un peu comme une symphonie qui serait interprétée sur une boîte à musique.

Entre pop léchée et récréations lo-fi, Richard Swift semble avoir plusieurs cordes à son arc, et un sacré potentiel, reste à toucher la cible. Verdict au printemps 2006.

Le site de Richard Swift