Et si Will Oldham et Sleater-Kinney décidaient de monter une petite troupe country/folk et effectuer une tournée des pubs de Brooklyn ? Cette « Company » s’en rapprocherait beaucoup.


Ce qu’il y a de remarquable chez certains groupes américains, c’est cette faculté de sonner brouillon avec une assurance désinvolte. Une attitude fascinante pour nous, timides européens, car ce n’est pas dans notre culture que de faire sortir nos chemises bien repassées du pantalon. Pour ne citer que les plus fameux, Will Oldham et Cat Power, eux, se mettent carrément à poil, lorsqu’on n’entrevoit pas carrément leurs boyaux extirpés de leur musique. Company est un peu leur digne rejeton.

Parallel Time est le quatrième album de Company, et le premier à être signé sur un véritable label. Le label en question, Brah Records, est une toute jeune mini-structure montée par les membres du groupe Oneida, sous le haut parrainage de Jagjaguwar (elle-même sous-division de Secretly Canadian, vous suivez ?). Brah Records est un gage d’indépendance artistique pour Oneida, leur permettant de sortir nombre de singles à leur guise, et par-dessus tout défendre des compagnons de route qu’ils affectionnent – la terminologie « groupe » n’étant pas vraiment adéquate ici. Parallel Time est la troisième et dernière sortie annuelle du label après l’album de Dirty Faces et un split d’Oneida avec Plastic Crimewave Sound. Les deux disques n’ont pas grand chose à voir avec le rock psychédélique d’Oneida, et tendent plutôt vers la country alternative chère à Jagjaguwar et Secretly Canadian (Black Mountain, Okervil River…).

Quant à Campany, sa seule ambition jusqu’ici était de fouler les planches des pubs de Brooklyn, y raconter quelques histoires destructrices à des âmes égarées, partager du bon temps en dépit de tout. De ces brèves de comptoir mises en musique, il est bien souvent question d’aliénation, de perte d’innocence, de mort. Bien souvent, l’unique récompense de ces soirées sont les tournées offertes après leur set par un gars accoudé au bout du comptoir. Bien que le coeur charitable en restera là, cette générosité coutumière vaut tous les discours du monde. Depuis, Company (parce qu’il fallait quand même trouver un nom de scène pour faire des concerts) a trouvé un label. Ou plutôt, c’est le label qui les a trouvés, car ce n’est pas vraiment le style de la maison que d’envoyer des démos. Suivant cet état d’esprit, leur contrat a certainement été signé sur le coin d’une table, à proximité de la scène où ils venaient juste de jouer.

A les entendre, Chris Teret, David Janil, Stephanie Rabins et Adam Davison donnent l’impression de s’être retrouvés par hasard dans le même local de répétition. Ils ont emprunté les instruments qui traînaient par terre, et commencé à jammer avec un plaisir indescriptible. Ça se sent sur disque, et ça fait quatre ans que ça dure. Leur country/folk a beau être étoffée d’un piano et de quelques arpèges de guitare Gretch, elle sonne définitivement punk. Et l’alternance du chant, masculin/féminin, aussi doux soit-il, n’y fait rien. De la country-core écorchée dans la droite lignée du Joya (joyaux ?) de Will Oldham voire le précurseur Time Fades Away du Loner. Ces ballades n’usent d’aucun subterfuge édulcoré, et même lorsqu’ils entament des Sha La La, (“In The Jaws of the Lion”), elles bouleversent profondément, car sont authentiques. D’ailleurs, la production est assurée par Paul Oldham, partisan du minimum syndical, et on le remercie mille fois pour ça.

Prise directe, ce n’est qu’à ce prix que la magie est préservée. Un peu comme les géniaux Okervil River, Company tente de dépoussier un genre avec une crudité et une générosité que l’on entend que trop rarement.

-Le site de Brah Records
-Le site de Company

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