Grisé par un succès de masse, mais lucide pour ne pas tomber dans la facilité, Bruno Caliciuri remet tout à plat et livre un deuxième album d’une densité confondante. Où Cali rime avec Monteverdi. Menteur! Si si!


La dernière impression que nous avait laissé Cali, bien avant que son deuxième album ne sorte, en fin d’une tournée interminable, était mêlée de déception et d’interrogation quand à son avenir dans un circuit rock qui l’avait vu surgir. De concerts où il en faisait trop en passages télévisuels réguliers, on diagnostiquait une surchauffe. Rattrapé puis accaparé par les tacherons de la variété française, on avait peur que ce cirque le mange tout cru et qu’il s’y habitue. Pourtant, pour l’avoir rencontré plusieurs fois, tout ce manège ne correspondait pas avec l’homme, trop sincère pour être dupe, trop généreux pour être amadoué, trop entier pour se confondre avec cette mièvrerie. Lui qui a appris ses gammes au son des Ramones, U2, Patti Smith, Clash, Sex Pistols, Ferré, Brel, Debussy, Bartók devait avoir plus d’un tour dans son sac pour rebondir.

Et qu’elle ne fut pas notre surprise lorsque nous avons reçu de ses nouvelles. Un album au nom évocateur, Menteur, et des chansons d’une tenue étonnante tant au plan de la composition que de l’instrumentation, reléguant ses précédentes au rang d’anodines. Disque ambitieux, abouti et surtout peu opportuniste. Combien d’artistes auraient surfé sur la vague du succès et servi le même couvert pour récolter des dividendes encore plus ronds. Bruno Caliciuri profite de sa réussite commerciale pour servir son art. Ainsi, il convie un orchestre à cordes de plus de quarante musiciens, invite des copains sur l’album (Damien Lefèvre de Luke, « M »athieu Chedid, Daniel Darc) mais surtout satisfait ses rêves de fans (studio d’enregistrement en Irlande, présence de Steve Wickham des Waterboys sur plusieurs titres).

Sans réserve, le perpignanais dévoile son vrai visage, quitte à se salir. Menteur, il l’affirme d’entrée et avoue jouer la comédie en public mais une fois le rideau tiré en est-il de même ? Comme autant de bouteilles à la mer, il choie l’écriture et se sert des mots pour envoyer des signes à la vie remplie de manques à combler. Alors que les fantômes du passé le rattrapent, Cali les défie dans des chansons, seulement armé d’une plume bien acérée. Il témoigne à ceux qu’il aime de son amour (« Pour Jane »), aux autres il règle ses comptes (« Je te souhaite à mon pire ennemi »). Disque cathartique, Menteur, parle de l’absence d’une mère et la tristesse d’un père (« Je sais »), la séparation d’un enfant (« Le vrai père »), la difficulté d’aimer (« Pauvre garçon ») et puis toujours, en filigrane sur la plupart des titres, des plaies à cicatriser.

Les mots à vif, juste assez funambule pour tenir sur un fil, l’auteur rythme ses compositions d’émotions palpables. Bien que privilégiant le désespoir amoureux, poussé par un récent mariage et un nouveau-né, Cali remplit sa palette de couleurs vives et devient sybarite (« La fin du monde pour dans 10 minutes », « Tes yeux »). Sa musique s’est étoffée. Une aura particulière se dégage de certains titres à l’orchestration époustouflante. Dans un style purement classique à la limite du baroque, des chansons comme « Menteur », « Le vrai père » ou « Roberta » ont été gravées dans les mêmes pierres précieuses que celles qui ornaient les symphonies de Ferré bien sûr mais aussi de Manset ou Vannier. Juste à côté viennent se greffer d’autres aux accents mi folk irlandais, mi country louisianais avec un violon souverain comme sur « Je m’en vais (après Miossec) », « Pour Jane », « La fin du monde pour dans 10 minutes ». Le rock n’est pas en reste non plus, on n’oublie pas ses racines, aussi « Je ne vivrai pas sans toi » et « Je te souhaite à mon pire ennemi » sont deux sommets rageurs qui collent bien à notre écorché. Comparé à ces pépites, on se demande encore comment la chanson « Qui se soucie de moi », la plus faible de l’album à notre avis, a été choisie en single.

Peu importe, le pari est gagné. Bruno Caliciuri satisfait notre exigence mais surtout ressuscite l’album concept pour notre plus grand plaisir.

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-Le site de Cali