A la manière et avec la bénédiction de Sufjan Stevens, Liz Janes semble vouloir elle-aussi réécrire l’histoire de la musique américaine. Avec talent.


A la Pinkushion team, la distribution des CD à chroniquer se fait un peu comme sur un marché. Et le rédac-chef de gueuler : « Et un Liz Janes, un! Qui veut mon Liz Janes, il est frais, il vient de sortir! ». Je me précipite donc sur la chose, ayant jadis chroniqué la gazelle, et, le hasard fait parfois bien les choses, ayant ressorti par hasard son dernier CD (Poison and snakes de son étui, me rappelant à mon bon souvenir une oeuvre plus qu’honorable, et prenant en le réécoutant littéralement mon pied. Vous pensez donc comment j’ai sauté sur l’occasion, avant qu’un de mes collègues ne me bouscule sauvagement et que je me fracasse les dents sur la pile « en attente », celle que l’on attaque quand on est puni.

Je rentre donc chez moi, bien content d’avoir obtenu la galette tant souhaitée.

Première déception : il s’agit d’un EP. Bon, allez, ne nous laissons pas abattre, il y a des EP qui valent bien des albums. Mouais!
Deuxième déception : elle n’est pas seule, mais avec Create (!) : ce qui veut dire que c’est comme un demi EP alors? Mouais!

Bon, tout ceci n’étant que des suppositions, déballons l’objet à la belle pochette mais au livret qui se imite au strict minimum, et plaçons le – bien décoré au passage – dans le lecteur. Force est de reconnaître que Liz Janes n’est pas celle qui semble avoir eu le dernier mot en studio, tant elle brille par sa timidité, sa voix étant comme étouffée, alors qu’elle est si précieuse. En effet, la protégée de Sufjan Stevens semble plutôt avoir servi de faire-valoir à ce collectif de free jazz originaire de Los Angeles. Mais ce serait faire fausse route. Chez Asthmatic Kitty, on ne fait pas les choses avec arrière-pensée, encore moins avec des visées marketing : on est ici dans la catégorie de l’art pour l’art, et ce sont les rencontres qui donnent – parfois – l’occasion, si l’envie s’en fait ressentir, de sortir un CD immortalisant la chose. L’avis contrasté sur la prestation de Liz Janes n’est cependant qu’une apparence première, vite estompée au fil des écoutes. Ce sont tout simplement d’autres facettes de son timbre de voix qui ont été exploitées ici, et c’est tout à son honneur et pour le bonheur de l’écoute.

L’idée est très bonne : faire de la musique sans électricité, tous (sept) dans une même pièce, à la gloire des ancêtres américains, comme au temps de Salem et de l’Amérique protestante des débuts. Le titre « Run Ol’ Jeremiah/Keep Your Hands on the Plow » semble avoir été écrit par les protagonistes de la bataille de Wounded Knee, et l’on se met à rêver devant tant de magie passée. Les clappements de mains, les chants, tout évoque une cérémonie autour d’un feu, la pipe of peace consumée. Les banjos et autres instruments d’époque (dont le violoncelle) sont ici légion. Le vieux blues, le folk et la tradition religieuse biblique ont été ensevelis dans un maelström qui est très créatif, même s’il faut mettre le volume à fond et se farcir quelques écoutes avant d’accrocher à quoi que ce soit. Le plaisir est au bout de la peine en tout cas, et en vaut – la peine -. Ce mélange hybride entre les influences de Liz Janes et le jazz de Create (!) fait en tout cas des étincelles. « Jesus is a Dying Bed-maker » est à ce titre un bel exemple de la beauté à laquelle peut aboutir une telle collaboration.

Quelque part, on est pas très loin de l’idée de Sufjan Stevens de réécrire l’histoire des Etats-Unis. Pour Liz Janes, on pourrait même dire réécrire son histoire tout court, elle qui a baigné dans le jazz, le blues et le gospel toute son enfance. On se désolera juste de la brièveté de l’oeuvre vu le format. Par contre, on suivra dorénavant avec une curiosité haletante l’actualité de Liz Janes, car on a là une grande artiste.

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