Une odeur de Kebab empeste lorsque nous entrons dans la pièce où Luke Pritchard déjeune, porte parole des Kooks et nouvelle petite sensation britpop outre-manche suite à leur revigorant premier album, Inside In/Inside Out. Le jeune homme à la tignasse protubérante n’a pas encore terminé son assiette mais se lève, volontaire, pour nous serrer la patte, un sourire franchement amical en guise d’accueil. Poli, on insiste pour qu’il finisse son plat et on en profite pour observer la pile de cds rangée derrière lui…


Avec stupéfaction, la collection est fournie et pertinente pour un groupe de 18 ans de moyenne d’âge : pas un seul cd ne dépasse l’année 1975, avec notamment le double Live at Bangladesh de Georges Harrison placé bien en évidence. Excellent signe, deux albums de Shack émergent du lot. Porté par l’engouement de cette découverte, on demande au jeune érudit s’il est fan des frères Head. Le jeune homme, visiblement embarrassé, avoue que ce n’est pas trop sa tasse de thé, et que c’est sur les conseils du manager que les disques traînent sur la pile. Déçu mais pas vaincu, on bifurque rapidement pour lui vanter les mérites du premier album des Pale Fontains, Pacific Street, vendu comme une pièce cruciale de la pop anglaise 80’s (ce qui est vrai). Visiblement curieusement intrigué par l’excitation qui se dégage de son interlocuteur, le jeune homme prend note et promet qu’il se procurera le Graal. Mission accomplie, on pose le dictaphone.

Pinkushion : Comparé à toute cette scène rock dite « sérieuse», The Kooks se distingue par son attitude plus positive.

Luke Pritchard : Oh oui, absolument. Je pense qu’effectivement nous sommes assez positifs. Mais au niveau des paroles, c’est assez… colérique. On écrit une musique assez simple qui parle de sujets communs.

Avec un certain sens de l’humour tout de même, je pense particulièrement à “Jackie Big Tits”, “Eddie’s Gun”…

(NDLR : toussotement gêné). Oui, absolument, il y a quelques chansons où l’on se permet de déconner un peu. Mais je suis quelqu’un de très sérieux en ce qui concerne notre musique. Lorsque j’ai écrit “Eddie’s Gun”, je ne pensais pas que le titre serait perçu de manière si amusante (NDLR : La chanson parle d’un problème d’érection). Je pensais que c’était juste un sujet intéressant sur lequel écrire. D’autres groupes l’ont fait avant. C’est assez marrant de constater combien les gens sont nerveux lorsqu’on parle de leur vie. J’ai pensé que ce serait sympa qu’on l’inclue sur l’album.

Votre premier est superbement produit par Tony Hoffer (Supergrass, Belle & Sebastian). Est-ce qu’il aurait apporté cette cohésion qui manque parfois à un jeune groupe ?

Tony Hoffer est un génie, c’est vrai qu’il a définitivement apporté plus de cohésion. Musicalement, nous étions plus éparpillés auparavant, on jonglait avec les styles. Tony a conservé cette diversité tout en parvenant à nous souder en tant que groupe. Il a vraiment développé cet aspect. C’est quelqu’un d’intéressant, qui a l’esprit ouvert. Il nous a tout de suite mis à l’aise, spécialement en studio où l’on peut devenir très possessif lorsqu’il s’agit de ses chansons. Je pense qu’il a compris d’où nous venions et ce que nous voulions. On a beaucoup parlé de la production avant de rentrer en studio. Il fallait que ce disque sonne « live ». Je suis vraiment ravi du résultat car la plupart des disques qui sortent en ce moment sont froids. Nous, on voulait sentir la chaleur, le goût. Lorsque tu travailles sur un ordinateur, tu as vraiment un son très spécifique, je trouve que cela « ne saigne » pas assez, on a vraiment évité de tomber dans le piège.

Quels albums modèles aviez-vous en tête lors de l’enregistrement ?

Probablement pas un album en particulier, mais plusieurs éléments : Hunky Dory de David Bowie pour le son de batterie. Je pensais beaucoup également à L.A. Woman des Doors, surtout pour le son des vocaux. Nous avons essayé différentes approches sur chaque titre, certains morceaux sonnaient très similaires au départ -je veux dire en terme de son. On modifiait ensuite le son de la batterie sur chaque prise, on changeait les harmonies ou bien des parties de guitares. Le processus d’enregistrement avec Tony était propice à cela. Il y a eu beaucoup de surprises au cours des sessions. Enfin, pas vraiment des surprises, disons que nous détections ce qui conviendrait le mieux au morceau.

Comment s’est déroulé l’enregistrement du disque ?

En deux temps, cela a pris environ un mois. Nous avons enregistré à deux endroits différents. Toutes les parties « Live » de l’album ont été enregistrées à Londres dans les studios Konks (ndlr : dont le proprio n’est autre que… Ray Davies des Kinks). L’endroit est fantastique, très vieux, il a été conçu par Georges Martin. C’est très paisible, et en même temps, la salle d’enregistrement procure un très bon son. Dans un deuxième temps, nous sommes ensuite allé dans une sorte de complexe studio, radicalement différent du premier avec un bar gigantesque afin de peaufiner les parties live enregistrées aux studios Konks.

Comment procédez-vous dans le groupe pour écrire les chansons ?

Tout le monde s’y met.

Même le batteur ?

Oui, il a d’ailleurs écrit la première chanson sur l’album, «Seaside». Nous l’avons composée ensemble. Il y a différentes manières de travailler, on ne se cantonne pas à une seule méthode. Parfois on jam tous ensemble et je chante dessus, une autre fois quelqu’un se pointe avec une chanson acoustique ou un riff. Chaque chanson est différente. Personnellement, je ne considère pas le songwriter comme quelqu’un qui écrit seul les mélodies et les paroles. Plein d’autres choses rentrent en facteur, je peux me pointer avec un air… (ndlr : il prend alors sa guitare acoustique et se met à chantonner un LA LA LA LA). Mais ce qui en sort n’est pas une chanson. Tu vas alors en studio et les autres rajoutent d’autres éléments dessus et les choses prennent forme.

D’où vient cette influence Ska que l’on perçoit sur certains titres ?

Cela vient probablement du batteur et du bassiste. Ils adorent jouer du regae et écouter des disques de Bob Marley. Personnellement, je ne suis pas à fond dans le ska, mais j’aime bien. J’ai toujours adoré le reggae, mais je n’en joue pas. C’est assez excitant pour nous (il balance une rythmique reggae sur sa guitare et se met à imiter l’intonation jamaïcaine). Notre batteur est vraiment le plus grand fan de reggae que tu n’aies jamais rencontré.

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L’Angleterre voit émerger actuellement de jeunes groupes vigoureux qui sont dans la même tranche d’âge que vous (Subways, Arctic Monkeys). Est-ce qu’il y a une certaine fraternité qui s’instaure entre vous sachant que vous êtes de la même génération ?

Heu… nous avons le même âge, donc oui nous appartenons en quelque sorte à la même génération (rire). On a croisé les Subways deux ou trois fois l’année dernière. Avec les Arctic Monkeys, on a quelques projets en commun. On entretient de bonnes relations, ce qui est cool car je suppose que dans le monde de la brit pop les groupes ne se font pas la guerre entre eux. L’ambiance est amicale et on essaie de travailler ensemble. Nous sommes actuellement en train d’organiser un album où nous pourrions enregistrer avec les Mystery Jets, Larrinkin Love… Il y a tellement de groupes excellents de notre âge, et ce sont des amis. Nous essayons de nous réunir pour aboutir à quelque chose. J’essaie juste de trouver le temps pour m’y consacrer.

Vous êtes très jeunes et avez par conséquent laissé tomber l’école, que pensent vos parents de tout ça ?

Hein hein ! (rire) Au départ, ils étaient plutôt coriaces à cause de toute cette merde rock n’roll, tu vois ce que je veux dire. Et puis lorsque le succès a commencé à venir, ils semblaient se porter bien mieux ! Je vis avec ma mère (ndlr : son père est décédé lorsqu’il n’avait que 3 ans), elle est plutôt cool et me soutient. Elle a confiance en moi, je ne suis pas un idiot. Je pense qu’elle est plutôt ravie que je vive ma propre vie.

Vous êtes originaires de Brighton. Quelle est la différence selon toi entre Londres et Brighton ?

Je vis à Brighton, mais je suis originaire de Londres, j’y ai vécu jusqu’à l’âge de 16 ans. Je trouve Brighton bien plus amical, spécialement pour les musiciens. Il y a tellement de groupes à Londres soit-disant « cool » avec une horde de gens à leurs pieds. Tu vois ce que je veux dire ? Brighton est une ville bien plus tolérante. Il y a une poignée d’endroits à Londres qui sont sympa où tu peux faire ce que tu veux, mais la ville est régie par une sorte de loi basée sur le « branché et cool ». En résumé, Londres est une ville immense, avec quelques endroits sympa qui surnagent au-dessus de toute cette merde. Brighton, c’est une ville très belle, concentrée, il y a de super bars, les gens sont sympa et il y a la mer.

Durant les années 90, Brighton était réputée pour sa scène électro, une ville assez branchée…

(ndlr : il gratouille sa guitare) Oui, je pense que c’était en partie dû à Fatboy Slim et ses gigantesques Beach Party. La scène clubbing était très importante. Mais tout cela est un peu passé maintenant. Il n’y a pas spécifiquement de scène rock à Brighton, mais elle est très éclectique : tu as des groupes de heavy metal, grungy ou indie…

Votre bassiste Max Rafferty a temporairement quitté le groupe l’année dernière. Que s’est-il passé exactement ?

(ndlr : il cesse de jouer, comme s’il entendait marquer un certain respect) C’est assez dur, il nous a quitté en pleine tournée. Max est mon meilleur ami. Il se moque des tournées, il ne supportait plus d’être sur la route pendant une éternité. Ce n’est pas le fait d’être casanier, c’est juste qu’il y a tellement de choses à gérer en tournée, sortir tous les soirs… Il avait vraiment besoin d’une pause. Il doit revenir en mars. C’est une situation particulièrement horrible, spécialement lorsqu’il s’agit de ton meilleur ami et que tu le connais depuis longtemps.

Du fait de ces 22 ans, il est peut-être comme un grand frère pour toi ?

Oui, d’une certaine manière. Je suppose que tu peux le dire. Nous étions vraiment proches Max et moi. Pendant deux ans, tout le temps collés ensemble. Il me manque beaucoup. (ndlr : triste silence) C’est étrange d’être dans un groupe, c’est comme être dans une famille. Si tu vis une relation amoureuse et que cette personne part, cela te brise le coeur. On a voulu arrêter la tournée, mais il a insisté pour que nous continuions, il ne voulait pas qu’on s’arrête. C’est vraiment dur, on a perdu du temps, mais en même temps on ne peut pas se plaindre.

Avant que tu ne commences à tourner avec le groupe, est-ce que tu t’imaginais que la vie dans un groupe de rock serait aussi compliquée ?

Non (rires). Nous avons eu quelques moments très durs. C’est vraiment un groupe compliqué à cause de la manière dont nous fonctionnons : Chacun a son ego du fait que tout le monde écrit des chansons dans le groupe. Mais en même temps, on a passé des moments fantastiques ensemble. Bref, tu me demandais au départ si j’aurais imaginé tout ce cirque il y a quelques années. C’est vraiment cliché à dire, mais tu ne réalises pas ce qui se passe sur le moment. Nous avons eu du succès en Angleterre assez vite, cela n’a pas été très dur pur nous. Je pense que tu n’apprécies jamais vraiment ce que tu fais, parce que tu penses toujours à la dernière chose que tu as en tête.

Peut–tu me donner tes 5 albums favoris ?

Ho man…

Hunky Dory, David Bowie

Highway 61 Revisited, Bob Dylan

MansunMansun

Peut-être bien Out of Our Heads, Rolling Stones

Velvet Underground, Velvet underground

-Lire également la chronique d’Inside in/Inside Out