Récupéré de Brooklyn par le label Asphalt Duchess, Grizzly Bear est une fascinante découverte , indécise entre folk alternatif, electronica et post-rock. On s’en lèche les babines. Et un cd bonus de remixes en prestigieuse compagnie.


Etrange manie commerciale que de refourguer avec un album un CD bonus rempli de remixes, B sides et autres bonus en tout genre. A l’origine, les majors ont élaboré cette stratégie pour relancer l’intérêt d’un album six mois, voire un an après sa parution – dans le créneau rock, Placebo est le champion du monde en la matière. Cette technique s’est depuis généralisée dès la sortie du disque. En guise de « valeur ajoutée », on séduit l’acquéreur par moultes offres alléchantes.

Le courageux label indépendant parisien, Asphalt Duchess en bon épicurien du son, nous fait partager le premier album de Grizzly Bear, sorti à l’origine en 2004 en catimini et réédité cette fois sous un double album. Le deuxième CD est un disque de remixes, en l’occurrence… Mais point d’entourloupe ici, sans même écouter l’album, rien que la prestigieuse liste de remixes vous donnera envie de vous procurer cette étrange oeuvre mutante : Dntel, Castanets, Ariel Pink, Alpha, Circlesquare, Solex, Final Fantasy… Que du pointu, et le tout sans influer sur le prix d’un simple CD ! Avec une offre pareille, même Darty va devoir s’aligner.

Avant de devenir une meute sauvage, Grizzly Bear fut d’abord l’oeuvre d’un ermite, Edward Drosté. Plutôt de tempérament ours, il passe quinze mois d’hibernation dans une chambre de Brooklyn et pose les bases de son projet Grizzly Bear. Mais ce n’est qu’avec le concours de Christopher Bear (ça ne s’invente pas !) que la bête commence vraiment à se réveiller (il cosigne également 6 titres du disque).

A la croisée des genres folk, electronica, Krautrock, psychédélique et post-rock… Horn Of plenty est un disque insaisissable. L’album s’ouvre sur des arpèges de guitare ultra réverbérée, perturbée par des fréquences electro et un chant lointain. La tension se fait crescendo jusqu’au final explosant en radiation post-rock. On pense alors cerner Grizzly Bear en tant que nouvelle incarnation post-rock, mais voilà que “Don’t Ask”, une folk song renversante de fragilité remet tous nos préjugés en question. Et les pistes ne cesseront d’être brouillées durant l’écoute de cet album indomptable : guitares boisées délicates, nappes synthétiques magnétiques, crépitement électro, délirium folk, choeurs californiens ou guitares post-rock, l’éventail procuré là est très, très, riche. Il faudra un peu de temps pour accrocher une laisse à ces quatorze chansons, peut-être un peu éprouvant à enfiler cul sec. Il se démarque quelques moments au charme hypnotique : “Disappearing Act” est une folk song disparaissant dans une brume psychédélique incantatoire. Plus loin, cette perturbation atmosphérique s’obscurcit, puis s’illumine soudainement par une mélodie solaire “Fix It”. Capable de s’enfoncer dans des méandres cérébraux chers à un autre animal (Collective), le disque est régulièrement contrebalancé par quelques harmonies vocales mélancoliques et léchées. Prêt à tout pour bousculer l’auditeur, on ne s’étonne pas d’apprendre qu’ils ont repris le tube prog/new wave “Owner of a Lonely Heart” de Yes, avec une approche intimiste proprement désespérée. La prochaine hibernation devrait découler sur du franchement fantasmagorique.

Enfin, le second CD « remixes » oscille entre très bon et anecdotique, ce qui n’étonnera personne vu l’exercice. Parmi les surprises, une relecture heavy très spectaculaire par Alpha (“Don’t Ask”) … le tour de force “Deap See Diver” par The Bomarr Monk se transforme en superbe ballade synthétique. Son s’éprend de cordes classieuses sur “Shift”. Autre grand moment, le Shoegazing solaire de Dr Cuerpo sur “This Song” fait de véritables étincelles. Le petit protégé d’Animal Collective, Ariel Pink, préfère insuffler un souffle dance à “This Song”, loin de ses fantaisies psychédéliques de poche. L’enigmatique DJ Circlesquare insuffle enfin ses beats malsains sur “Shift”. Pour bien d’autres intervenants, on restera sur sa faim (trop de bip bip et pas assez d’âme), notamment Dntel, très décevant, nous livre une interprétation plus « karma » que « cramée ». Un comble pour ce fantastique metteur en son.

-Le site d’Asphalt Duchess

-Le site officiel de Grizzly Bear