Pour ce second opus les triples Yeahs de la pétillante Karen O surprennent agréablement et n’hésitent pas à baisser la garde rock pour nous dévoiler leur coeur (à défaut des os). A ce train là, les Yeah Yeah Yeahs risquent bien d’en faire… des vieux os.


Avril 2002. Le temps d’une jolie secousse engendrée par le Master EP et une tournée avec le Blues Explosion (le visage de Jon Spencer a pris trois rides au front ce soir là au Trabendo), les Yeah Yeah Yeahs étaient devenus la chose la plus cool du rock n’roll circus.

Avril 2003. Sortie de Fever To Tell. Avec le recul, l’engouement autour de ce disque (plus yo yo que yeah yeah yeahs) n’était probablement pas très raisonnable, mais recadré dans le contexte – tout ce qui sortait de New York à ce moment là prenait une ampleur démesurée – le trio mené par la vivifiante Karen O méritait bien son quart d’heure de gloire, notamment pour sa fougue scénique et quelques ballades sensibles.

Avril 2006. Faisant suite à trois ans de silence discographique, Show Your Bones marque le retour du trio de New Yorkais, non sans quelques chamboulements géographiques. Karen 0, désormais séparée du chanteur des Liars, a pris un billet pour la côte Ouest, laissant orphelins ces deux camarades (ici radio potin : on murmure qu’elle flirterait avec le clipper Spike Jonze). Les premières séances de réunion en studio ne sont pas à la hauteur et l’horloge tourne : trois ans dans la stratosphère éphémère du rock peuvent s’avérer fatals pour une formation croulant sous l’effet de la hype… Pour tuer le temps, le guitariste Nick Zinner se distingue sur quelques crédits d’albums (TV on the Radio, Bright Eyes, Blood Brothers). Show Your Bones a bien failli coûter la peau des Yeah Yeah Yeahs à défaut de perdre leurs eaux (os).

Peut-être parce qu’on n’attendait pas grand chose de cet opus, Show Your Bones est en ce sens une excellente surprise. La distance ne semble pas avoir affecté la créativité de Brian Chase, Nick Zinner et Karen 0, plus ambitieux que jamais. Acoquiné avec un producteur non identifié, Sam Spiegel aka Squeak E. Clean, Show Your Bones manigance quelques belles audaces, coincées entre deux hymnes à l’énergie binaire. La tâche délicate du mixage a été dévouée à Alan Moulder – excellent choix, le peu de chansons sur lesquelles il officiait sur Fever To Tell étant les meilleures.

Sur ce second opus nettement plus abouti, le carcan du trio éclate sur plusieurs titres : les parties de claviers ne sont plus mixées en retrait, et les multiples parties de guitares et autres effets de manche « dissoniques », seront cotons à reproduire sur scène. “Dudley” est certainement le morceau le plus surprenant de cette mini-révolution : imprégné de superbes claviers gothiques Karen O emprunte avec brio les manières félines de Siouxsie and the Banshees. Un titre pareil n’était pas à leur portée auparavant. Davantage de morceaux au format mi-tempo font également leur incursion (« The Sweets”, “Warrior”), propice à un spleen balayé par quelques guitares folk. Cette variation d’humeur culmine sur “Turn Into”, épilogue country/new wave du disque, qui apporte une touche lumineuse et de nouvelles perspectives pour le futur.

Mais surtout, Show Your Bones confirme le sentiment laissé par Fever To Tell : derrière ce mur de décibels se cache une habile fabrique de refrains entêtants, porté par une chanteuse à la présence indéniable et de plus en plus attachante (“Way Out”, le single “Gold Lion”). Lorsque Karen O, impatiente, brandit son micro sur un irrésistible “Cheated Hearts”, c’est l’essence même de la pop bubble gum qu’elle tient entre ses mains (haaaa ! ses «tick tick tick» tellement sexy). Tranchant comme une lame de rasoir Gillette, les riffs granuleux de Nick Zinner ont l’élégance de ne pas sonner comme le bottin mondain, même lorsque la formule des trois accords déjà bien trop huilée par l’histoire tourne en boucle (“Mysteries”). Une tentative plus funky, “Phenomena”, est l’une des rares déceptions de ce disque : gâché par une surdose d’éléments, le titre peine à maintenir l’attention.

Bien que traversé de moments foudroyants, on peut comprendre que les sceptiques ne seront guère contaminés par les bons sentiments de ce nouvel opus. Pour comprendre l’alchimie de ce trio à l’allure pas vraiment rock n’roll, c’est sur scène qu’il faudra aller chercher la réponse (c’est comme ça qu’on est tombé dedans personnellement) : une délicieuse pimbêche et véritable boule d’énergie, capable de retourner une salle à elle toute seule, un batteur avec des lunettes (sous-estimé donc) et un guitariste au physique de gamin dont l’innocence se prolonge au travers de ses riffs naïfs – essentiels à la bonne santé du rock. C’est bien là que réside le secret des Yeah Yeah Yeahs.

-Lire également la chronique de Fever To Tell (2003)

– Lire également la chronique de Master EP (2002)