Nous sommes en 2006 après Jésus-Christ. Toute l’Europe est ravagée par les dérives de la globalisation et la commercialisation de la culture… Toute ? Non! Un petit village peuplé d’irréductibles belges résiste encore et toujours à l’envahisseur.


Festival organisé par des ascètes opposés à beaucoup de choses (Clear Channel, Coca Cola et Cie), le Rhaaa Lovely est un festival atypique. Je me trompe peut-être, mais il donne l’impression d’être un rêve d’ados devenu réalité. Je m’explique. Quand on est un adolescent vivant dans un bled paumé, il est inévitablement frustrant de devoir toujours trouver un moyen pour se taper les grandes villes ou les gros festivals dans le but d’assouvir sa soif de décibels. On se demande souvent pourquoi personne ne prend le risque d’organiser des concerts intéressants dans la salle des fêtes du village. On se dit que lorsque viendra le moment d’être grand, on promet d’organiser des bons concerts dans son fief. Les organisateurs semblent donc être des adolescents devenus grands qui, eux, ont réalisé ce rêve un peu fou. Mes respects!

Comme écrit plus haut, le plus marrant est que, non content d’arriver à faire jouer leurs artistes préférés dans le village où ils ont grandi (en l’occurrence, Cortil-Wodon en Belgique), les organisateurs se permettent le luxe d’être contre le système : pas d’artistes étiquettés « Clear Channel » (pour les néophytes et pour faire simple : Clear Channel est le plus gros tourneur d’artistes et occupe une position quasi monopolistique), pas de publicités, pas de marques de boissons ou nourritures connues (avec les dommages collatéraux que cela implique, car vous aurez vite fait de choisir entre l’option de carburer une journée au jus Oxfam ou à la bière locale)… Dans un tel contexte, quelle ne fût pas ma surprise de remarquer l’absence de tout un florilège de stands à la gloire d’associations alter-quelque-chose… Même cela, ils ont l’air contre! Bien que l’accueil affichait fièrement le portrait d’Ingrid Betancourt (leur a-t-on dit que même Renaud faisait cela?)…

Un tel radicalisme peut paraître un peu naïf, mais a cependant un grand avantage: au Rhaaa Lovely, on ne peut rien faire d’autre que d’écouter de la musique et on est bien loin de ces véritables parcs d’attractions que sont devenus la plupart des festivals, où au final on ne sait plus trop si on vient pour écouter de la musique, faire la fête ou donner du temps de cerveau aux innombrables sponsors ou associations alter-quelque-chose qui vendent leurs mérites. Bref, un véritable retour aux sources. A nouveau, mes repects!

Venons-en à la musique. Le Rhaaa Lovely est un festival à la gloire du post-rock et qui, mine de rien, arrive à attirer des noms que personne ne connaît à l’exception des nombreux connaisseurs qui se rendent à ce festival. Le post-rock, vous savez, ce genre joué par des musiciens généralement intégristes et alter-quelque-chose qui expriment leur rage et leur tristesse en jouant une musique souvent instrumentale, alternant moments purement dépressifs et un tonnerre d’électricité. Reste que comme le post-rock vit ses dernières heures et est visiblement à bout de souffle, l’affiche accueille maintenant des groupes simplement alternatifs ou plus punk-rock.

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Le festival s’ouvre avec I Love Sarah, groupe belge bordélique jouant une musique bricolée quelque peu bruitiste, un peu trash parfois, mais bien trop amateur pour moi. Ensuite, V.O., également belge, ne m’a tellement pas marqué que je ne saurai rien en dire. Absinthe (Provisoire) de Montpellier suit en clonant les expérimentations électriques et bruyantes de Sonic Youth et GY!BE. Seul ce côté très français du chanteur crachant sa haine du monde au micro m’incitera à ne pas crier au plagiat. Les australiens de This Is Your Captain Speaking relèvent enfin le niveau et ce, même si la prestation reste un peu soporifique. Ils pratiquent un post-rock instrumental assez ambiant et efficace, mais sans un poil d’originalité. Les jeunes anglais de Charlottefield enchaînent ensuite avec un punk-rock tonitruant rappelant celui de Fugazi. A nouveau, rien de bien neuf, mais cela se laisse écouter sans déplaisir. Les canadiens de Picastro ont clôturé l’après-midi en déprimant tout le monde avec leur musique principalement acoustique et la voix fragile de sa chanteuse. Cela semble prometteur, mais doit nettement mieux sonner sur CD.

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Le début de soirée fait la part belle aux groupes américains. Deerhoof parvient à m’enthousiasmer. Il est vrai que je suis un grand fan de ce groupe alliant le rock indé méticuleux d’un Blonde Redhead avec le côté syncopé et fun de Melt Banana. Cela vole dans tous les sens et le final où la chanteuse arrive à faire chanter « Bunny Bunny Bunny Bunny » à ce public de sinistres obscuristes que nous étions lui vaut sans conteste une mention spéciale. La seule petite claque de la journée suivait et se nommait Grails. Grails pratique un rock crépusculaire et aride qui, avec son utilisation du banjo et d’une guitare acoustique à 12 cordes, lui confère une allure que n’aurait pas renié 16 Horsepower. Ils sont sans conteste les vainqueurs de la journée à l’applaudimètre. 31 Knots jouait ensuite son clone de Fugazi (décidément : serait-ce un prochain revival?). Ce n’est pas les sauts du chanteur dans le public qui vont me faire crier au génie.

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La tête d’affiche de ce festival nous fait revenir de ce côté-ci de l’Atlantique et est assurée par les anglais de Piano Magic. Si sur disque, le groupe est souvent largement au dessus la moyenne, sur scène, il sonne comme un groupe de new wave poussiéreux et ce n’est pas le look de fonctionnaire du chanteur donnant l’impression d’être une ex-gloire du rock sur le retour qui arrangeait les choses.

Mon festival se clôture par 65daysofsatic. C’est globalement nul, mais très rigolo à voir. Ils donnent l’impression d’être des Linkin Park anglais jouant du M83 sous stéroïdes. Cela sonne donc comme un mélange d’électronique et de murs de guitares. Ils sont jeunes et pleins d’énergie. Ils ne tiennent pas en place. J’ai rarement vu un groupe aussi gesticulant.

– Le site du Rhaaa Lovely
– Lire la chronique de The Runner Four de Deerhoof
– Lire la chronique de Disaffected de Piano Magic