Trois albums au compteur mais une présence discrète dans le paysage musical français. Holden, groupe emmené par Armelle Pioline et Mocke, a laissé les choses mûrir tranquillement jusqu’à nous offrir un album de pop atmosphérique parfait. Point de décharges de plombs avec Chevrotine mais un son tout en finesse, léger comme une fragrance et en même temps, des mélodies entêtantes qui se savourent comme des bonbons. L’heure de la reconnaissance aurait-elle enfin sonné pour ces esthètes ?


Pinkushion : Holden, c’est un duo ou un groupe à part entière ?

Armelle Pioline : C’est un groupe. Ça l’a toujours été. On est un duo dans l’écriture car c’est Mocke et moi qui faisons les compositions (paroles et musiques). Et puis, on apporte tout cela en répét’ et on les propose au groupe. Les trois autres membres sont très importants pour le groupe. S’il n’y avait pas Pierre-Jean à la batterie ou Cristobal à la basse etc… on n’aurait pas le même son.

Tu dis que vous assurez l’écriture à deux, les autres interviennent donc pour les arrangements ?

Disons que c’est un peu entremêlé tout ça. On adore arranger, Mocke et moi. On arrive souvent avec des choses assez finalisées. Mais là où on est vraiment un groupe, c’est parce qu’on joue ensemble depuis longtemps et qu’on a réussi à se forger un son.

Tous les membres ont eu leur importance depuis le début ?

Oui, dans le sens où on a toujours été attachés au concept de groupe. On pourrait se suffire à nous-mêmes avec toute la technologie existante. Ce qui nous a donné envie de faire de la musique, ce sont des influences comme le Velvet qui ne serait pas le Velvet sans Moe Tucker à la batterie ou Sterling Morrison à la guitare. Lou Reed en solo, ce n’est pas le Velvet. L’esprit d’un groupe ça s’entretient, il faut rester fidèle à ses musiciens et réciproquement parce que l’identité d’un groupe se définit collectivement et que ça met du temps. C’est quelque chose de très précieux.

L’histoire d’Holden est un peu particulière. Vous vous êtes rencontrés en Irlande, vous êtes revenus à la case France et puis, vous avez poursuivi l’aventure au Chili… Est-ce que, finalement, vous n’êtes pas un groupe français par accident ?

Oui, quelque part. Musicalement, je ne me sens pas française. Après, il y a des artistes en France que j’adore mais dans la démarche et dans la façon de composer, on ne se sent pas français. D’ailleurs, c’est peut-être aussi pour cette raison que l’on a jamais cartonné. On ne colle vraiment pas à une identité française. Je trouve que le public a vachement besoin de se repérer. Noir Désir pour le rock etc… et puis, là, étonnamment, avec ce nouvel album, tout le monde comprend ce que l’on veut faire. Ça nous aura pris trois disques.

Du point de vue de la critique ou du vôtre ?

Non, des autres. On a toujours su ce que l’on voulait faire même si ça a évolué. Mais pour répondre à ta question, je pense, qu’effectivement, on est un peu français musicalement par accident et ça nous a coûté. On a mis plus de temps que les autres à s’imposer.

En même temps, si on se base sur le côté atmosphérique de votre musique, vous n’êtes pas vraiment les seuls. Je pense à Murat par exemple…

Murat a mis longtemps à s’imposer, vingt-cinq ou trente ans. Il en garde une certaine aigreur d’ailleurs. Au fond, ça ne m’étonne pas, c’est tellement fin et subtil ce qu’il écrit que ce n’est pas facile de faire passer un univers poétique comme le sien à contre-courant de la chanson française actuelle. C’est un type à la fois talentueux et qui possède une vraie discipline de travail.

Il s’est passé quatre ans entre Pedrolira et Chevrotine : pourquoi tout ce temps ?

Oui, la réalisation de ce disque a pris du temps. Après Pedrolira, on a tous suivi des projets parallèles. J’ai fait le disque avec Icalma, puis un autre avec Pier Bucci, un franco-chilien qui habite à Berlin. Mocke s’est lancé dans un projet avec l’américaine Kelly de Martino. Le bassiste et le clavier ont joué avec Sébastien Schuller. Donc, voilà, tout ça a été un peu long. Mais, quand on décide de se mettre au boulot avec Mocke, on trace. C’est ce qu’on a fait pour Chevrotine : on s’est enfermé dans notre petit labo-maison sans se laisser parasiter par l’extérieur.

Vous avez tout composé d’un bloc ?

Presque. Le seul morceau de l’album qui a été fait en dehors, c’est « En septembre ». D’ailleurs, il sonne un peu différemment.

Vous maniez une écriture volontairement elliptique. Avez-vous une exigence particulière sur la qualité des textes ? J’imagine qu’il y a des formules ou des procédés que vous n’aimez pas employer et vice versa…

La première exigence, c’est que ça doit sonner. Chacun sait que le subconscient apporte un sens aux paroles même si elles sont jetées de façon nonchalante. L’exigence du sens vient après, quand on a peaufiné l’idée de base sur un plan musical.

Vous restez dans le domaine de l’abstraction et de la sensation, ne craignez-vous pas d’être un peu trop éthérés ?

Non, on essaie de fuir le côté chanson française de cette manière. La spécificité de la langue française en musique, c’est toujours un peu compliqué. D’où mes projets parallèles, toujours en anglais.

Pourquoi n’utilisez-vous pas davantage l’anglais ?

On l’a fait sur le premier album (L’Arrière Monde, Lithium 1998). Un tiers était écrit en anglais. On venait de passer quatre ans en Irlande et puis, un beau jour, on s’est dit qu’il fallait assumer le français. Autour de nous, il y avait des exemples encourageants. Dominique A, par exemple qui arrivait à écrire des choses intéressantes qui sonnaient. Alors, pourquoi pas nous ? Et on s’y est mis.

La production de Chevrotine est très homogène. Les chansons flottent comme si elle étaient en apesanteur. C’est aussi comme un vernis qu’on décide ou non de gratter pour aller explorer les couches inférieures… Comment avez-vous abordé la question du son ?

C’est un ensemble de choses. Le matériel vintage qu’on utilise, notre façon d’enregistrer et de mixer. Et puis, il y a la patte d’Atom qui est indéniable. Je pense que la vraie homogénéité de l’album vient de lui. C’est un excellent mixeur.

Comment l’avez-vous rencontré ?

En fait, on voulait déjà bosser avec lui avant même de le rencontrer car on était fan d’une partie de ses productions. On cherchait un producteur hors réseau rock, pas un anglais popeux ou quelqu’un dans le genre, mais une personne capable de nous emmener ailleurs. Les circonstances ont fait qu’on0l’a rencontré aux Transmusicales de Rennes en 2001. On lui a ensuite envoyé nos maquettes et il a eu envie de travailler avec nous. Comme il habite au Chili, on a mixé le deuxième là-bas. En revanche, Chevrotine a été enregistré et mixé intégralement au Chili.

Avez-vous un fan-club chilien ?

Depuis six ans, le Chili est devenu une sorte d’eldorado pour nous. On va s’y ressourcer et y travailler. Il se passe vraiment quelque chose là-bas depuis le premier album. On ne sait pas très bien pourquoi le coup de coeur a eu lieu avec ce pays. C’est vrai qu’on a cartonné dans les milieux étudiants.

Vous y avez beaucoup tourné ?

Oui, on a fait cinq tournées là-bas. On y était encore en février dernier.

Comment se passent les relations avec Village Vert, votre label ?

On est sur un label indépendant, ce qui induit une grande liberté artistique. Mais, cette liberté a un prix. On a des budgets vachement réduits par rapport à une major, surtout au niveau de la promo. En contrepartie, on nous laisse tranquille en studio, on peut choisir notre producteur : on a la confiance totale de Fred. Quand on lui a dit qu’on voulait enregistrer Chevrotine au Chili avec Atom Heart (alias Uwe Schmidt, alias Senior Coconut) il a dit oui tout de suite sans aucune condition. C’est hyper précieux pour nous.

Village Vert est comme une petite famille pour vous ?

Oui, dans la mesure où on est vachement soutenu. C’est un label qui marche bien avec des groupes comme Luke, notamment. Et puis, il y aussi une relation humaine de proximité qu’on aime privilégier. Quand ça marche, ce qui est le cas avec Chevrotine autour duquel il y a un vrai buzz, tout le monde est sincèrement content.

Comment arrivez-vous à transposer l’univers du disque sur scène ?

On joue de façon très douce, sans en mettre plein les oreilles. On essaie de se mettre en place à ce niveau-là pour faire passer la spécificité de l’album. Par ailleurs, je n’ai pas une voix qui porte énormément, mon registre est plutôt doux, donc on veille à rester cohérent.

Avez-vous une gestion du risque sur scène : impros etc…

Oui, bien sûr, on ne recrache pas l’album tel quel non plus. On improvise. Surtout Mocke et Pierre-Jean qui adorent ça. On en profite, c’est sûr.

J’ai particulièrement aimé le son des guitares sur l’album, est-ce qu’il y a des influences qui vous ont marquées particulièrement ?

C’est vrai qu’elles sont superbes les guitares sur ce disque… Au niveau des influences, on aime autant le rock que le jazz même si nos origines sont rock, on est de plus en plus fan de jazz. Il y a une dizaine d’années, avec Mocke, on est tombé sur « Straigh, No Chaser » de Thelonious Monk qui nous a fait halluciner. Avant cette découverte, je pensais que le jazz était de la musique à papa, très cloisonnée et érudite. Ce disque de Monk nous a paru à la fois très pop, très libre et très humble. Ce fut la porte d’entrée vers le jazz. Et puis, j’ai commencé à apprécier les chanteurs de jazz comme Chet Baker ou Billie Holiday.

On peut dire que l’identité du groupe s’est aussi forgée à travers les disques…

Oui, on a tous évolué en même temps et dans le même sens, au fur et à mesure que les disques circulaient entre nous.

Comment vous êtes-vous retrouvés embarqués dans l’aventure du film Violence des échanges en milieu tempéré ?

Jean-Marc Mouthout, le réalisateur, avait déjà entendu Mocke lorsqu’il accompagnait Silvain Vanot car celui-ci lui écrit ses musiques de film. Un jour, il est venu nous voir jouer et il a aimé ce qu’on faisait. Il y avait une scène de son film qui se déroulait dans un café. Il a pensé à nous, tout simplement.

Avez-vous déjà songé à composer de la musique de film ?

Oui, deux de nos morceaux ont été utilisés dans un film chilien sorti l’année dernière (Parentesis de Pablo Solis). D’ailleurs, j’ai un scoop, je viens d’apprendre que ce film est sélectionné à Cannes. Pablo est aussi le réalisateur de notre clip « Comme une fille ».

Par mon métier, je suis assez sensible au graphisme des pochettes. J’ai noté le raffinement des vôtres. Finalement est-ce qu’on ne pourrait pas dire qu’elles sont comme un prolongement de votre univers musical ?

Oui, moi je suis à fond là-dedans, même peut-être trop parfois. Je trouve ça super important. Je connais bien les deux graphistes qui ont fait la dernière pochette. Ils étaient très impliqués. C’est aussi un des avantages de travailler avec un label indépendant, on a une liberté totale pour choisir les personnes avec qui on veut bosser.

Vous vous montrez pour la première fois sur les pochettes, est-ce un choix personnel ou imposé ?

Disons qu’on en a discuté avec le label. Au bout du troisième album, il était temps que les gens identifient un peu plus le groupe. C’est une petite entorse à une règle que l’on s’était fixée de ne jamais apparaître sur les pochettes. Bon, là on a fait une concession marketing, mais au final, tout le monde s’y retrouve.

La présence de Murat sur Chevrotine, c’est une sorte de retour d’ascenseur de sa part puisque vous aviez participé à l’album Lilith ?

Oui, c’est ça. On avait déjà travaillé une ou deux fois ensemble assez brièvement. On s’apprécie mutuellement.

Avec « l’Orage », on peut dire qu’il vous a fait un beau cadeau …

Oui, vraiment. On avait la partie instrumentale mais pas le texte. On l’a envoyé à Murat qui nous avait lancé une perche quelques temps auparavant. Il nous a écrit ce texte magnifique en deux jours.

Sur ce titre comme sur d’autres, on éprouve vraiment des sensations physiques comme la moiteur de l’air, la langueur, le chaud etc…. Quelque part, on vous écoute avec les cinq sens…

Merci, ça fait plaisir. Ça signifie que c’est un album sensible. Murat aussi a fait preuve d’une grande sensibilité car il a écrit le texte de l’Orage sans connaître le reste de l’album. Le résultat colle parfaitement à notre univers. Ce titre est un chouette condensé de tout le disque. C’est son côté devin…

Il va venir vous rejoindre sur scène ?

J’aimerais bien. C’est possible parce que son album sort à la rentrée au moment où on part en tournée.

Où allez-vous tourner ?

On va faire une belle tournée : au Canada, d’abord, dans un super festival à Québec, avec Senior Coconut, puis on ira jouer en Israël et en Espagne. La tournée française démarrera à la rentrée.

Avez-vous d’autres projets sur le feu ?

Oui. Mocke est en train de terminer le deuxième album de Kelly de Martino. De mon côté, je vais retravailler avec Pier Bucci sur un projet commun qui va s’appeler « Bunnyone ». Et puis, j’ai aussi monté un projet parallèle, Superbravo, avec des musiciens chiliens dont le bassiste de Holden. On est en cours d’écriture et on devrait bientôt jouer à Paris.

Merci.

Le site officiel d’Holden